Prime exceptionnelle de pouvoir d'achat : un régime juridique incertain

14.02.2019

Gestion du personnel

De nouvelles précisions sur les modalités de la prime de pouvoir d'achat viennent d'être apportées par une instruction interministérielle. Plusieurs points du dispositif sont ainsi abordés s'agissant des travailleurs temporaires, du calcul du plafond de trois Smic ou encore de son articulation avec l'intéressement.

La loi n°2018-1213 du 24 décembre 2018, à son article 1, a encouragé le versement d'une prime exceptionnelle, pour les salariés ayant une rémunération annuelle inférieure à 3 smic, en l'exonérant de cotisations et contributions sociales. Toutefois, bon nombre d'interrogations subsistent sur les modalités d'application de l'exonération de cette prime. Une première instruction interministérielle du 4 janvier 2018 a donné, sous forme de questions réponses, un certain nombre de précisions. L'administration vient de compléter cette instruction en apportant des réponses sur de nouveaux points. Les employeurs qui ont déjà attribué une prime à leurs salariés peuvent effectuer les éventuelles corrections en application de ces nouvelles précisions, indique l'administration. Ils pourront ainsi modifier les conditions d'attribution après le 31 janvier 2019 pour être en conformité avec ces dernières précisions sans remettre en cause leur éligibilité à l’exonération.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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Cette instruction étant publiée au bulletin officiel, elle est opposable (CRPA, art. R. 312-6).

Remarque : à noter toutefois que l'instruction prend le soin de préciser que les précisions données sont l''interprétation à retenir de l'article 1 de la loi du 24 décembre 2018 sous réserve de l'appréciation souveraine du juge, lorsque l'analyse de la portée juridique des textes législatifs ou réglementaires soulève une difficulté particulière.Il est vrai que certaines de ces précisions ont un fondement juridique incertain.
Salariés n'ayant perçu aucune rémunération en 2018

Pour ouvrir droit à exonération de cotisations et contributions sociales, la prime exceptionnelle doit être versée à tous les salariés ayant perçu une rémunération en 2018 et ayant un contrat de travail en vigueur au 31 décembre 2018. L'administration précise que les employeurs peuvent toutefois exclure du bénéfice de la prime les salariés n'ayant perçu aucune rémunération durant l'année, même si leur contrat de travail était en vigueur au 31 décembre 2018. Cette exclusion ne fera pas obstacle à l'exonération de cotisations pour l'employeur (point I-2).

Remarque : à noter que l'exclusion de ces salariés pourrait s'opposer à une interprétation littérale de l'article 1 de la loi du 24 décembre 2018 qui n'exclut pas expressément les salariés qui n'ont pas perçu de rémunération. En effet, la loi prévoit comme seules conditions d'éligibilité à la prime exonérée : une rémunération inférieure à trois fois le Smic annuel  et  l' existence d'un contrat de travail au 31 décembre 2018. Par ailleurs, l'interprétation de l'instruction se heurte, pour les salariés qui étaient en congé parental pendant toute l'année 2018, à l'interdiction de réduire le montant de la prime,  prévue au 2° de l'article 1-II de la loi.  Les juges pourraient donc adopter une autre interprétation que celle de l'instruction.
Appréciation du plafond de trois Smic

Les primes exceptionnelles ouvrant droit à exonération de cotisations et contributions sociales sont celles qui sont versées aux salariés dont la rémunération est inférieure à trois Smic (calculée pour un an sur la base de la durée légale du travail). Comblant les lacunes du texte légal, l'instruction du 4 janvier 2019 avait précisé que le plafond de 3 smic annuel devait être calculé selon les mêmes modalités que celles retenues pour l'éligibilité à la réduction Fillon issues de l'article L. 241-13- III du code de sécurité sociale. Par conséquent, le plafond devait être proratisé en fonction du temps de présence (et même si l'instruction ne le prévoyait pas, ce qui impliquait de proratiser aussi selon la durée du travail prévue au contrat).

Remarque : la question du calcul du plafond de 3 smic annuel reste une source de contentieux en l'absence de précision sur les modalités de calcul de ce plafond par la loi du 24 décembre 2019. A la lecture du texte légal, ce plafond peut être interprété comme un plafond intangible qui s'appliquerait, quels que soient la durée de travail et le temps de présence du salarié en 2018; seule serait envisageable la modulation du montant de la prime pour les salariés à temps partiel ou qui ont été absents au cours de l'année 2018. En effet l'article 1 de la loi du 24 décembre 2018 ne précise pas les modalités d'appréciation du plafond de rémunération.  L'instruction du 4 février continue de préciser que "la limite de 3 smic doit être calculée selon les mêmes modalités que celles retenues pour calculer l'éligibilité à la réduction Fillon, c'est à dire au prorata du temps de présence du salarié selon les modalités prévues à la deuxième phrase du deuxième alinéa de l'article L. 241-13-III du code de sécurité sociale. Il s'agit d'un ajout au texte légal et à ce titre susceptible d'une interprétation différente des juges.

La nouvelle instruction ajoute que le plafond de 3 smic ne doit pas être majoré si le salarié effectue des heures supplémentaires ou complémentaires; la loi imposant de retenir strictement la limite de 3 smic en fonction de la durée légale de travail (point V-2).

Remarque : en revanche, la rémunération annuelle, perçue par le salarié, à prendre en compte, selon l'instruction, doit être calculée selon les modalités prévues à la 2ème phrase de l'alinéa 2 de l'article L. 241-13-III du code de sécurité sociale, c'est à dire qu'elle  est calculée "pour un an sur la base de la durée légale du travail, augmentée le cas échéant du nombre d'heures complémentaires ou supplémentaires, sans prise en compte des majorations auxquelles elles donnent lieu".Cette précision ne résulte pas directement du texte légal qui est muet sur ce point.

Une tolérance sera appliquée si un salarié perçoit, après la décision de lui octroyer la prime de pouvoir d'achat, un élément de rémunération qui ne pouvait pas être anticipé, et qui fait dépasser le plafond de trois Smic. Dans ce cas, l'éligibilité à l'exonération ne sera pas remise en cause, indique l'administration (point V-2).

Remarque : dans la mesure où seule la rémunération versée en 2018 est prise en compte pour ouvrir droit à l'exonération de la prime, cette précision devrait concerner principalement le cas où  l'octroi d'une prime exceptionnelle a été décidé avant le 31 décembre 2018 alors que le montant de la  rémunération effectivement versé en 2018 n'était pas encore totalement connu . Après cette date, la rémunération annuelle, avec l'ensemble de ces éléments, réellement perçue en 2018 est connue.
Travailleurs temporaires

Les travailleurs temporaires peuvent recevoir plusieurs primes exceptionnelles lorsque le versement d'une telle prime a été décidée par plusieurs entreprises utilisatrices où est affecté l'intérimaire et/ ou lorsque le versement de cette prime a été décidée par l'entreprise de travail temporaire (point I-11).

Remarque : cette précision est conforme au principe selon lequel les salariés intérimaires doivent percevoir le même montant de rémunération, primes comprises, que les salariés de l'entreprise utilisatrice occupés au même poste et de qualification équivalente  (C. trav., art., 1251-18 et L. 1251-43).

Dans ces situations, le plafond de rémunération du salarié ainsi que le montant maximal de sa prime sont calculés dans les mêmes conditions que si chaque versement était décidé par un employeur distinct, précise l'instruction. Cela implique notamment que chaque entreprise apprécie si la rémunération qu'elle verse au salarié dépasse ou non la limite des 3 Smic annuels ouvrant droit à l'exonération, sans avoir à tenir compte de la rémunération perçue par ce salarié dans les autres entreprises (point I-11).

Dépôt auprès de la Direccte

Lorsque les modalités de la prime (montant, modulation, salariés éligibles) sont définies par un accord d'entreprise, cet accord doit être déposé, comme tout accord collectif, hors dérogation expresse, auprès de la Direccte (C. trav., art. L. 2231-5-1 et D. 2231-4).

Remarque : à noter qu'il est précisé que la négociation de la prime peut avoir lieu en même temps que les négociations annuelles obligatoires. Mais attention, elles doivent être formalisées dans deux accords distincts (point III-1).

Jusqu'au 31 janvier 2019, les modalités de la prime pouvaient être fixées par décision unilatérale du chef d'entreprise donnant lieu à information des représentants du personnel. L'instruction indique que l'employeur n'est pas tenu de déposer auprès de la Direccte sa décision unilatérale; aucune obligation légale ne le prévoit (point III-4).

Exclusion du calcul du  montant de l'indemnité de rupture

L'instruction précise que la prime exceptionnelle est exclue du calcul des indemnités de rupture du contrat de travail, "en raison de sa nature non récurrente" (point II-7).Cette exclusion s'ajoute à celle prévue par l'instruction précédente et concernant la rémunération servant à calculer l'indemnité de fin de contrat ou de fin de mission (point II-7).

Remarque : l'exclusion de la prime "pouvoir d'achat" du salaire de référence servant au calcul des indemnités de rupture du contrat n'étant pas prévue par la loi du 24 décembre 2018, il n'est pas certain que cette interprétation soit suivie par les juges en cas de contentieux. En effet, l''article R 1234-4 du Code du travail mentionne qu'il faut inclure dans l'assiette de l'indemnité « toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel ». Toutefois, il est admis qu'une gratification bénévole dont l'employeur fixe de façon discrétionnaire les montants et les bénéficiaires et qui est attribuée à l'occasion d'un événement unique n'a pas le caractère de salaire (Cass. soc., 14 oct. 2009, n°07-45.587). Les juges auront donc à se prononcer sur la nature de cette prime exceptionnelle pour déterminer si elle doit être ou non incluse dans le salaire  de référence .
Articulation avec l'intéressement

Le questions-réponses de l'administration est complété par deux nouveaux points relatifs à l'intéressement. D'abord, le texte précise que les primes exceptionnelles ne doivent pas être neutralisées dans le calcul de l'intéressement.  L'accord d'intéressement doit être appliqué tel qu'il a été rédigé, conclu et déposé. Le fait, pour un employeur d'ajouter unilatéralement un élément de neutralisation du résultat opérationnel non prévu dans l'accord d'intéressement constitue une irrégularité susceptible de requalification de l'intéressement par les Urssaf à l'occasion d'un contrôle. L'attribution d'une prime de pouvoir d'achat peut donc parfois empêcher le déclenchement de l'intéressement ou la possibilité de financer un supplément d'intéressement à l'ensemble des salariés. "L'entreprise est alors amenée à faire un choix entre ces deux dispositifs", souligne l'instruction (point I-10).

Ensuite, l'administration indique qu'il est impossible de verser la prime sous la forme d'un complément d'intéressement. Le supplément d'intéressement, quand il a été mis en place, découle directement de l'application de l'accord d'intéressement en vigueur dans l'entreprise. Le fait de verser la prime sous forme de supplément d'intéressement correspondrait à une substitution de la prime à d'autres éléments de rémunération que l'entreprise aurait dû verser, ce qui est proscrit par la loi du 24 décembre 2018 (point I-11).

Sanction : étendue du redressement

Enfin, l'instruction précise qu'en cas de non -respect par l'employeur d'une ou plusieurs conditions d'attribution de l'exonération, ce dernier sera invité à régulariser sa situation dans un premier temps (point VI-1).

A défaut de régularisation, le montant du redressement pourra être réduit à proportion des seules erreurs commises au lieu de porter sur l'ensemble des primes. Ainsi les employeurs concernés seront tenus de payer des cotisations et contributions sociales sur la seule part correspondant aux montants des primes versées ne respectant pas les conditions prévues par la loi :

  • lorsque des salariés éligibles ont été omis, ,les sommes faisant défaut pourront être calculées en fonction du montant moyen de prime attribué et  du nombre de salariés omis  ;
  • lorsque la modulation de la prime n'était pas autorisée  les sommes faisant défaut pourront être calculées en fonction de l'écart entre le montant des primes réduites à tort et le montant des primes non modulées défini par l'employeur;
  • lorsque la prime a été versée à des salariés dont la rémunération excéderait le plafond défini dans l'entreprise ou a été attribuée en substitution à d'autres éléments de rémunération, les sommes en excédent correspondront notamment aux sommes exonérées versées aux salariés non éligibles;
  • lorsque l'employeur a procédé à l'exonération de prime versée à des salariés dont la rémunération excédait le plafond de 3 smic annuels ou pour un montant excédant 1000 euros, seule la part excédant ces limites sera assujettie.
 
 
Nathalie Lebreton, Dictionnaire permanent social Laurie Mahé Desportes, Actuel-RH
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