Privation de l'indemnité compensatrice de congés en cas de faute lourde : le gouvernement s'oppose à un changement de législation

Privation de l'indemnité compensatrice de congés en cas de faute lourde : le gouvernement s'oppose à un changement de législation

17.02.2016

Gestion du personnel

La faute lourde sera-t-elle toujours privative de l'indemnité compensatrice de congés payés ? C'est à cette question sensible que va répondre le Conseil constitutionnel le 2 mars prochain. Auditionné hier, le représentant du gouvernement s'est prononcé en faveur d'un statu quo.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Le 2 décembre dernier, le Conseil constitutionnel a été saisi par la chambre sociale de la Cour de cassation sur l'article L. 3141-26 alinéa 2 du code du travail. Cette disposition prévoit que l'indemnité compensatrice de congés payés "est due dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur". La question posée au Conseil constitutionnel est de savoir si cette exclusion de la faute lourde est contraire à l’article 11 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que "la Nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs". La Cour de cassation estime que cette question présente un caractère sérieux car il s'agit d'un "cas de perte de jours de congés payés sans lien avec les règles d’acquisition ou d’exercice de ces droits au repos".


Le gouvernement soutient la constitutionnalité de la disposition

L'audience s'est déroulée hier au Conseil constitutionnel. Seul l'avocat de l'entreprise a présenté oralement son argumentaire, complété par celui du représentant  du gouvernement. Les deux ont plaidé pour la conformité à la Constitution de la disposition incriminée. La question est double, souligne Maître Spinosi, l'avocat de l'entreprise. "Cette disposition est-elle contraire au droit au repos et à la protection de la santé ? Cette disposition crée-t-elle une rupture d’égalité lorsque l’employeur est tenu d’adhérer à une caisse de congés payés ?". Il faut en effet rappeler que s'agissant des travailleurs dont les congés payés sont assurés par une caisse de congés payés, le droit à l'indemnité compensatrice de congés payés est maintenu, même en cas de faute lourde.


L’avocat soutient que cette disposition du code du travail est bien constitutionnelle en raison de la nature particulière de la faute lourde, qui se caractérise par l'intention de nuire à l'entreprise, et du "caractère indemnitaire par rapport à l’employeur" de la privation de l'indemnité compensatrice de congés payés. L'avocat souligne également qu’il s’agit de "la seule faute susceptible d’engager la responsabilité civile du salarié", même si elle est "illusoire dans les faits".


En ce qui concerne l’atteinte au droit à la santé des salariés, l’avocat souligne que ce droit n’est pas absolu et que, dans ce cas précis, elle est bien "proportionnée car doublement circonscrite par la jurisprudence".  D’une part, dans ses conditions d’application : "la faute lourde est exceptionnelle et traduit la volonté de nuire, et ce n’est pas un vain mot", insiste M° Spinosi. D’autre part, "la portée de cette exclusion est strictement encadrée : la règle n’a pas à vocation à s’appliquer pendant le préavis et seulement sur la période de l’année en cours".


Le gouvernement est sur la même ligne de défense. En cas de faute lourde, "l’employeur subit un préjudice particulier ; l’action en responsabilité n’exclut pas de garantir un dédommagement minimum à l’employeur", a ainsi argué le représentant du gouvernement devant les Sages, mettant également en avant "le nombre de cas limité et l’objetif de protection de l’entreprise". Cette disposition "n’épuise pas le droit à réparation des employeurs mais évite que le préjudice ne soit aggravé", insiste-t-il.


La décision sera publiée le 2 mars

La décision du Conseil constitutionnel sera connue le 2 mars prochain. L’avocat de l’entreprise a pris soin de demander au Conseil constitutionnel - dans le cas où il déclarerait la disposition inconstitutionnelle - de moduler dans le temps les effets sous peine de créer "une très grande insécurité juridique pour les contentieux en cours et un effet d’aubaine pour tous les salariés licenciés pour faute lourde" qui pourraient agir en répétition de l’indu.


Reste que la décision du Conseil constitutionnel ne clôturera pas le sujet. En effet, comme l’a rappelé l’avocat de l’entreprise devant les Sages, cette disposition du code du travail achoppe sur la directive européenne du 4 novembre 2003 qui garantit 4 semaines de congés payés. Si le Conseil constitutionnel ne procède pas à un contrôle de conventionnalité (et ne peut donc se prononcer sur la conformité à la directive), mais seulement de constitutionnalité, on peut se demander si le gouvernement pourra in fine écarter du débat cette norme européenne. Une proposition de loi déposée cet été, constatant cette contradiction entre le droit français et le droit européen, propose d'ailleurs de supprimer la perte de congés payés en cas de licenciement pour faute lourde. Reste à savoir si des amendements en ce sens seront déposés dans le projet de loi porté par Myriam El Khomri, indépendamment (ou non) de la décision du Conseil constitutionnel.


De son côté, la Cour de cassation pourra toujours, à l'occasion d'un contentieux, pointer le non-respect du droit européen, faute d’avoir obtenu satisfaction devant le Conseil constitutionnel. Déjà, dans son rapport annuel en 2013, elle invitait le gouvernement à procéder à une telle réforme.

Florence Mehrez
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