Le PLFSS pour 2024, considéré comme adopté en première lecture à l'Assemblée nationale le 30 octobre, modifie les conséquences de la contre-visite médicale diligentée par l'employeur sur le versement des indemnités journalières de sécurité sociale. Nous avons demandé à Bérénice Bauduin, maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne, si cette disposition pourrait passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a été adopté en première lecture mardi soir à l'Assemblée nationale. L'ensemble du texte n'a pu être examiné dans le temps imparti ce qui a conduit la Première ministre à déclencher l'article 49 alinéa 3 de la Constitution. L'article 27, qui modifie les conséquences de la contre-visite médicale organisée par l'employeur en cas d'arrêt maladie de l'un de ses salariés, n'a ainsi pas été débattu.
L'employeur a le droit de faire procéder à une contre-visite au domicile du salarié par le médecin de son choix. C'est l'article L.1226-1 du code du travail qui indique que l'absence justifiée par l'incapacité résultant de maladie ou d'accident doit être constatée par certificat médical et par une contre-visite organisée par l'employeur s'il y a lieu.
Un décret d'application aurait dû être publié afin de déterminer les formes et les conditions de la contre-visite. Comme il ne l'a pas été, aucun texte ne précise les conditions que doivent remplir les médecins chargés par l'employeur d'effectuer la contre-visite patronale. L'employeur est libre de faire pratiquer la contre-visite par le médecin de son choix et le salarié ne peut substituer aucune autre mesure de son choix, telle une visite par un médecin expert.
► A noter : un employeur d'Alsace-Moselle ne peut pas effectuer de contre-visite médicale et suspendre le versement des indemnités complémentaires de maladie qui sont à sa charge, ceci même si le salarié était absent lors de la contre-visite.
Lorsque le médecin mandaté par l'employeur conclut à l'absence de justification de l'arrêt de travail ou de l'impossibilité de procéder à l'examen du salarié malade, il transmet, dans un délai de 48 heures, son rapport au service médical du contrôle médical de la caisse de sécurité sociale. Au vu de ce rapport, le médecin-conseil de l'assurance-maladie peut demander à la caisse :
- soit de suspendre les indemnités journalières. Le salarié dispose alors d'un délai de 10 jours francs à compter de la réception de l'information de suspension des indemnités, pour demander à la caisse de sécurité sociale dont il relève, un examen de sa situation par le médecin-conseil. Ce dernier doit se prononcer dans un délai de quatre jours francs à compter de la saisine du salarié ;
- soit de procéder à un nouvel examen de la situation de l'assuré. Ce nouvel examen est de droit si le rapport a fait état de l'impossibilité de procéder à l'examen de l'assuré.
Si, après examen de l'assuré, le médecin-conseil conclut à l'absence de justification de l'arrêt de travail, il en informe immédiatement l'intéressé et lui communique oralement une date de reprise du travail. Il informe également les services administratifs de la caisse et le médecin traitant. L'employeur est alors en droit de ne pas verser les prestations complémentaires. A l'inverse, si le médecin contrôleur estime que l'arrêt de travail pour maladie est justifié, l'employeur doit continuer à verser les indemnités journalières complémentaires.
Comme le précise le document d'évaluation du PLFSS pour 2024, "ce n’est que lorsque le service du contrôle médical reçoit cet avis dans le délai de 48 heures et que celui-ci fait état d’un examen médical qu’il peut décider de suspendre directement le versement des IJ". Or, déplore le document, "en 2019, seuls 2 300 dossiers ont été reçus par le service médical dont 1 500 n’avaient pas fait l’objet d’un examen du patient et environ 370 n’avaient pas été transmis dans le délai de 48 heures".
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
C'est pour cette raison que le législateur entend modifier la procédure. "Cette perte de temps pour le service médical pourrait être évitée en rendant automatique la suspension des IJ à compter du rapport du médecin contrôleur concluant, après examen médical, au caractère non-justifié de l’arrêt. La décision de suspension ferait référence au rapport employeur et non plus à l’avis du service médical".
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoit ainsi que lorsque le contrôle effectué par un médecin à la demande de l’employeur conclut à l’absence de justification d’un arrêt de travail ou de sa durée, ou fait état de l’impossibilité de procéder à l’examen de l’assuré, ce médecin transmet son rapport au service du contrôle médical de la caisse dans un délai maximal de 72 heures. Ce rapport précise si le médecin diligenté par l’employeur a ou non procédé à un examen médical de l’assuré.
► Le délai de transmission passe de 48 heures à 72 heures car ce délai contraint "conduit à ce que des avis négatifs soient reçus hors délais et à ce que le service médical doive parfois réinstruire et réexaminer la situation d’un assuré qui vient pourtant d’être examiné par le médecin contrôleur", explique la note d'évaluation.
Si ce rapport conclut à l’absence de justification de l’arrêt de travail ou de sa durée, le médecin en informe également, dans le même délai, l’organisme local d’assurance maladie, qui suspend le versement des indemnités journalières. Cette suspension prend effet à compter de la date à laquelle l’assuré a été informé de cette décision. Toutefois, dans le cas où le médecin diligenté par l’employeur a estimé que l’arrêt de travail est justifié pour une durée inférieure à celle fixée par le médecin prescripteur, la suspension prend effet à l’échéance de la durée retenue par le médecin diligenté par l’employeur.
Le service du contrôle médical peut, au vu du rapport, décider de procéder à un nouvel examen de la situation de l’assuré. S’il décide de procéder à cet examen, il n’est pas fait application de la suspension du versement des indemnités journalières jusqu’à ce que ce service ait statué.
Le service du contrôle médical peut en outre être saisi par l’assuré, sur demande de celui‑ci, formulée auprès de son organisme de prise en charge. Le délai dans lequel cette demande est effectuée ainsi que le délai dans lequel intervient le nouvel examen de la situation de l’assuré sont fixés par décret en Conseil d’État.
Lorsque le rapport fait état de l’impossibilité de procéder à l’examen de l’assuré, le service du contrôle médical ne peut demander la suspension du versement des indemnités journalières qu’après un nouvel examen de la situation de l’assuré.
Le changement n'est pas anodin. Se pose alors la question de savoir si cette disposition pourrait être censurée par le Conseil constitutionnel. Bérénice Bauduin, maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne, se montre prudente. Certains droits constitutionnels semblent, selon elle, devoir être écartés.
Il en est ainsi des griefs fondés sur les principes constitutionnels du droit pénal "dans la mesure où on peut la privation d'indemnités journalières à la suite d'une contre-visite médicale ne présente pas de finalité répressive. En effet l'objet est de contrôler la pertinence de l'arrêt maladie et non de sanctionner l'usage que fait le salarié de son arrêt maladie".
"On aurait aussi pu être tenté d'invoquer le principe d'égalité et soutenir que le salarié est victime d'une différence de traitement", pronostique Bérénice Bauduin. Mais cet argument ne peut pas prospérer dans la mesure où la différence de traitement est une simple conséquence de fait qui découle de la décision de l'employeur et non directement de la loi elle-même" [lire par exemple la décision du Conseil constitutionnel du 23 septembre 2021].
Qu'en est-il des principes constitutionnels directement liés au droit de la santé ? "Le droit constitutionnel de la protection sociale a une place assez faible dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, explique Bérénice Bauduin. Il est vrai que les alinéas 10, 11 et 12 du Préambule de la Constitution de 1946 s'attachent à protéger l'individu (qu'il s'agisse de son développement, de sa santé ou contre les calamités nationales) et à promouvoir un principe de solidarité. Toutefois, le Conseil constitutionnel répugne généralement à leur faire produire toute leur potentialité et laisse au législateur une liberté certaine dans leur mise en oeuvre, tant qu'ils ne les privent pas de garanties légales. La suppression des indemnités journalières sur le fondement d'un contrôle diligenté par l'employeur pourrait-il porter une atteinte inconstitutionnelle au droit à la santé tel que protégé par l'alinéa 11 du Préambule de 1946 ? Il n'existe pour l'heure pas de précédent permettant de répondre par l'affirmative. Les Sages pourraient toutefois transposer à cette situation ce qu'ils ont fait dans le cadre de l'examen de la loi sur le marché du travail du 21 décembre 2022. Dans leur décision du 15 décembre 2022, ils ont jugé que les alinéas 5 et 11 du Préambule de 1946 étaient des exigences constitutionnelles impliquant l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi. Ils ont ensuite considéré que la suppression des allocations chômage à la suite du refus de deux CDI n'était pas inconstitutionnelle dès lors que cette suppression était strictement encadrée et que l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi n'était pas, en tant que telle, menacée. Le Conseil constitutionnel pourrait reproduire un raisonnement similaire en énonçant que l'existence d'un régime d'indemnisation au bénéfice des travailleurs malades découle d'une exigence constitutionnelle tout en considérant que, en l'espèce, l'atteinte est justifiée. Après tout, si le rapport du médecin, à l'issue de la contre-visite médicale, conclut que le salarié n'est pas malade pourquoi lui verser des indemnités journalières ? On ne porte pas atteinte au droit à une indemnisation".
Bérénice Bauduin estime que le mécanisme doit présenter des garanties suffisantes aux yeux du Conseil constitutionnel. Est-ce bien le cas ? "A cet égard, le texte semble très peu encadrer les conditions dans lesquelles la contre-visite médicale peut être demandée par l'employeur. Combien de contrôles peut-il diligenter ? A quel moment peut-il le faire ? La faiblesse de l'encadrement pourrait jouer sur la constitutionnalité. A minima, on pourrait imaginer que le Conseil constitutionnel énonce une réserve d'interprétation rappelant la stricte indépendance des médecins dans l'exercice de leurs fonctions, y compris lorsqu'ils sont diligentés par l'employeur".
"Par ailleurs, au-delà du droit à la santé, on peut s'interroger au regard du droit au recours du salarié qui subirait une telle contre-visite. Le grief pourrait prospérer car même si le texte prévoit la possibilité d'une saisine du service de contrôle médical, celui-ci ne prévoit pas ni les conditions ni les effets de celle-ci (le texte renvoie à un décret). Est-elle suspensive ou non ?
Le texte doit désormais être examiné par le Sénat qui pourra modifier ce dispositif, mais il est fort à parier que cette disposition sera soumise au Conseil constitutionnel.
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