Procès France Télécom : "Les RH n’ont pas joué un rôle de régulateur et de préventeur de la santé"

Procès France Télécom : "Les RH n’ont pas joué un rôle de régulateur et de préventeur de la santé"

13.06.2019

Gestion du personnel

Après six semaines d'audience, le témoignage d’une sociologue ayant participé à une vaste enquête de Technologia sur les conditions de travail, est venue alourdir le malaise déjà palpable dans le tribunal. Sept anciens dirigeants du groupe France Télécom y sont jugés pour "harcèlement moral au travail" entre 2007 et 2010.

Le temps a passé mais les souvenirs sont toujours aussi vifs et précis. Lorsque ce mardi 12 juin, Fanny Jedlicki, maître de conférences en sociologie à l’université du Havre, ancienne consultante en risques psychosociaux pour le cabinet d’expertise Technolgia, témoigne à la barre, le constat est sans concession : "c’est une enquête hors norme qui a donné l’occasion à un nombre inégalé de salariés d’exprimer une souffrance rarement atteinte", a résumé la sociologue.

Cette enquête du cabinet Technologia, désigné par la direction de France Télécom et le comité d'hygiène et de sécurité, a réuni 30 consultants et a permis à 80 000 salariés sur les 120 000 que comptait l’entreprise de s’exprimer sur leurs conditions de travail. Fanny Jedlicki a participé, de janvier à mars 2009, à son volet qualitatif. Elle a interviewé 83 personnes travaillant dans 15 villes différentes et 19 sites de France Télécom dans les fonctions support et la vente aux particuliers.

Elle décrit une "libération de la parole des salariés" face à une direction "dans le déni".

Ecoute psychologique pour les consultants

Le choc est violent. "L’enquête a charrié une souffrance d’une telle ampleur que nous nous sommes retrouvés face à la question suivante : que faire face aux salariés en situation de détresse aigüe ?" Pour déminer la situation, Technologia a même décidé de mettre en place une procédure d’écoute psychologique pour les consultants. "Au fur et à mesure de son déroulement, nous redoutions de rencontrer quelqu’un qu’on ne saurait aider", ou alors "de se rendre sur un site où un drame se serait passé", ou bien encore "d’apprendre le suicide de quelqu’un que nous aurions rencontré".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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"La peur d'être le prochain"

Comment en est-on arrivé là ?

Fanny Jedlicki rappelle que France Télécom n’était pas "une entreprise comme les autres" car elle "incarnait l’un des fleurons technologiques". Elle souligne qu’au départ "les salariés adhéraient aux discours des dirigeants", qu’ils considéraient "les changements comme nécessaires", notamment "la réduction de la dette" et "le virage technologique". Mais en dépit des efforts consentis, qui se sont traduits par "des changements de métiers", "d’activités", "de lieux d’exercice", les exigences étaient toujours plus fortes.

Surtout l’objectif des 22 000 départs, inscrit dans le programme Act, "a instauré un climat de peur", celle "d’être le prochain". Ce climat a entraîné "une remise en cause de soi" et a amené "certains salariés à ne pas se sentir à la hauteur jusqu’à s’en rendre malades".

L'éloignement du service RH ? Un facteur de "fragilité"

Pourquoi la prévention n’a-t-elle pas fonctionné ?

Tout au long de l’audience, la sociologue a listé plusieurs dysfonctionnements. Les ressources humaines, tout d’abord, sont pointées du doigt. "Elles n’ont pas joué un rôle de régulateur et de préventeur de la santé". L’éloignement et la restructuration des services ad hoc ont été un "facteur de fragilité". La formation est, elle, jugée "insuffisante", le salarié se retrouvant "en difficulté pour réaliser la tâche".

Le travail, de son côté, s’est "intensifié". Et l’autonomie y était faible. De plus, "l’agressivité commerciale demandée au salarié a provoqué des problème éthiques face à ce qui était parfois perçu comme de la vente forcée, voire de l’escroquerie".

Dans un même temps, les efforts consentis ne semblent pas être reconnus. La rétribution ? Elle est "jugée peu élevée". Les possibilités d’évoluer ? "Extrêmement faibles". Les primes ? "Difficiles à obtenir".

Le sentiment d'être déjà "dehors"

Le management, non "plus technique" mais "gestionnaire", est également critiqué. La sociologue souligne "un manque de soutien de la hiérarchie", plus "préoccupée par les objectifs à atteindre que par la manière de les atteindre". Entraînant "des pratiques extrêmes". "Il y a les "humiliations de celui que l’on présente comme nul sur un plateau de vente", et "le phénomène de placardisation de ceux qui résistent et refusent la mobilité".

"Ces pratiques furent minoritaires mais pas marginales", observe Fanny Jedlicki qui recense cinq cas parmi les personnes qu'elle a elle-même interviewées.

"Le socle fondamental du climat de peur était cette mobilité forcée. « Time to move » pour les cadres, offres d’emploi dans la fonction publique ou rencontres avec les espaces de développement". Avec le sentiment d’être déjà "dehors".

Plan d'action

Les avocats des prévenus ont tenté de discréditer la pertinence de cette étude. Ils ont cité son volet quantitatif et ont contredit l’affaiblissement des collectifs de travail, en mettant en avant le score de 79 % d’avis positifs recueillis à propos de l’item sur les relations avec les collègues. Ils ont également dénoncé l’utilisation de la "phraséologie" du rapport similaire à d’autres écrits de la sociologue.

De leur côté, les avocats des parties civiles ont insisté sur le caractère scientifique de cette étude, réalisée à partir d’un fichier de salariés, transmis par le service RH et tirés au sort.

Maître Sylvie Topaloff, avocate du syndicat Sud, a cherché, enfin, à savoir comment le rapport avait été perçu au sein même de l’entreprise, en 2009.

- Qu’est-ce que vous en avez pensé, a-t-elle demandé à l'un des dirigeants ?
- On a tiré les enseignements et on a mis en place un plan d’action, les assises de la refondation. Le rapport de Technologia a servi de support.

La fin du procès est attendue pour le 12 juillet.

Anne Bariet
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