Projet de directive sur l'écocide : «L’apport majeur du texte concerne la hausse des sanctions», Sarah Becker

Projet de directive sur l'écocide : «L’apport majeur du texte concerne la hausse des sanctions», Sarah Becker

05.12.2023

Gestion d'entreprise

L’Union européenne est-elle sur le point de consacrer une justice pénale environnementale ? Un premier pas a été franchi mi-novembre avec l’accord du Conseil et du Parlement sur une proposition de directive. Sarah Becker et Julie Fabreguettes, avocates associées respectivement en droit de l’environnement et en droit pénal des affaires du cabinet Vingtrue nous expliquent tout.

Jeudi 16 novembre, le Conseil et le Parlement européen sont parvenus à un accord provisoire sur une proposition de loi de l’UE qui améliorerait les enquêtes et les poursuites en cas de délits environnementaux. Si l’accord n’est pas confidentiel car il a fait l’objet de plusieurs communiqués de presse, il n’a toutefois pas encore été publié. Le contenu sera connu dans les prochaines semaines.

Dans quel contexte l’accord du Conseil et du Parlement européen sur la criminalité environnementale est-il intervenu ?

Sarah Becker : A l’origine, l’Union européenne a souhaité modifier la directive du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal. En 2021, la Commission européenne a donc présenté une proposition de directive puis le trilogue s’est constitué. Le Parlement européen a donné son avis en mars dernier et dialogué avec le Conseil pour aboutir à ce qui sera la proposition finale de directive.

Quel est l’objectif de ce texte ?

Julie Fabreguettes : Un des premiers apports du projet de directive est d’harmoniser les législations des Etats membres concernant les textes d’incrimination et les sanctions pénales. Pour la France, l’impact du texte sera faible car il existe déjà un dispositif très complet bien qu’il soit encore imparfait par rapport notamment à l’écocide.

Sarah Becker : La directive ne va pas révolutionner notre droit national qui est déjà assez robuste. L’apport principal de ce texte ne sera probablement pas pour la France. 

L’écocide n’est pas reconnu en tant que tel aujourd’hui. Avec cette proposition de directive, pourrait-on parler de criminalité environnementale ?

Sarah Becker : La notion d’écocide n’apparaît pas dans les articles de la directive mais dans les considérants. En droit français, la notion est envisagée par les textes mais il s’agit d’un délit et non pas d’un crime.

Julie Fabreguettes : Le droit européen veut introduire la notion d’infraction qualifiée en matière environnementale. Cette notion renvoie donc à une intentionnalité plus forte et à une gravité supérieure de l’infraction (par exemple la destruction d’un écosystème ou d’un habitat, etc.).

En droit pénal, la notion de faute qualifiée renvoie à des délits involontaires. Toutefois, en France, l’écocide est défini comme un délit intentionnel.

La directive pourrait alors inciter le législateur français à :

  • gommer l’intentionnalité de l’écocide : en pratique, il est par exemple difficile de prouver une pollution intentionnelle. Cela revient à se demander si une entreprise a voulu intentionnellement polluer l’eau ou l’air, par ses produits ;
  • et à rehausser les sanctions (amendes et emprisonnement). 

Justement, quelles sont les sanctions prévues par la proposition de directive ?

Sarah Becker : L’apport majeur du texte concerne la hausse des sanctions. Depuis la loi « climat et résilience », le maximum d’amendes encouru en France pour le délit le plus grave est de 22,5 millions d’euros pour les entreprises ou le décuple de « l’avantage tiré » de l’infraction.

Or, le système européen propose d’aller beaucoup plus loin car il prévoit des sanctions s’élevant jusqu’à 5% du chiffre d’affaires annuel mondial ou 40 millions d’euros. C’est donc le double du maximum encouru pour une personne morale en France.

Julie Fabreguettes : Le risque pénal est beaucoup plus lourd avec ces sanctions car il répond à une double logique de dissuasion et de recouvrement. La justice pourra puiser directement dans les caisses de pollueurs les plus riches et sera capable de mieux s’armer et de devenir un objectif de politique pénale beaucoup plus fort.

Que dit la directive sur les poursuites en matière d’atteinte à l’environnement ?

Julie Fabreguettes : La directive européenne n’apporte rien en matière procédurale. Elle ne prévoit pas comment poursuivre une atteinte à l’environnement transnationale ni même comment déclencher une enquête ou saisir le parquet européen (qui n’est pas encore compétent sur ces faits), évaluer le préjudice écologique ou constituer les preuves. Or ces sujets sont éminemment techniques. Tout reste encore à faire. Nous sommes encore très loin de mécanismes qui permettent une justice pénale environnementale efficace et organisée.

Et sur l’office du juge ?

Sarah Becker : En France, la question est rendue très difficile par la formulation des textes qui ont été énormément débattus durant la loi « climat et résilience ». Les expressions « grave », « durable », « susceptible de durer au moins sept ans » n’aident pas le juge français à déterminer l’infraction.

Julie Fabreguettes : La directive pourra éventuellement parfaire l’office du juge mais beaucoup d’efforts sont encore à produire pour permettre au juge de lancer des actions transnationales efficaces en matière environnementale.

En quoi la proposition de directive est intéressante pour les directions juridiques ?

Julie Fabreguettes : Les directions juridiques françaises auront plus de recul sur ces infractions que leurs voisins et donc peut-être plus de légitimité au sein d’un groupe implanté dans d’autres Etats membres. Elles pourront faire en sorte d’accélérer les mises en conformité et prévenir les atteintes à l’environnement.

Comment les entreprises peuvent-elles dès à présent se prémunir des actions qui seraient intentées contre elles ?

Sarah Becker : Les entreprises doivent se mettre en conformité. Très souvent en matière d’infractions environnementales, les infractions résultent du non-respect de la réglementation technique qui s’applique, par exemple, aux infractions relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (« ICPE »). Il y a une possibilité de mise en conformité, par exemple, en mettant à plat les mises en demeure reçues.

Ainsi, il faut généralement envisager la conformité administrative en lien avec les services de l’environnement. Les entreprises peuvent faire des plans de mise en conformité et expliquer à l’administration que, si elles ne sont pas conformes instantanément, elles le seront demain. Cela pourrait, dans certains cas, éviter les signalements. 

propos recueillis par Joséphine Bonnardot

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