Si la dernière version du projet de loi El Khomri semble satisfaire les DRH, notamment en raison du maintien de la négociation d’entreprise pour fixer les normes sociales, ils pointent quelques incompréhensions et quelques ratés. Le lobbying des DRH lors des débats parlementaires fonctionnera-t-il ?
Les modifications apportées au projet de loi Travail répondent-elles aux attentes des DRH ? A l’image des syndicats, tous les professionnels des ressources humaines ne sont pas sur la même ligne. Ses opposants, à l’instar de Stéphane Fayol, DRH en transition, dénoncent un texte "sans ambition" et "décousu", malgré "l’élan initial donné par Robert Badinter et Jean-Denis Combrexelle". Dominique Olivier, DRH de Bosch France, avoue, de son côté, qu’il "reste incompréhensible vu de l’étranger". Mais ses partisans apprécient que les amendements n’aient pas dénaturé le projet initial. Parmi les points forts, ils citent sans hésiter la "primauté donnée à la négociation d’entreprise". "Soit l’ADN du projet de loi", insiste Jean-Christophe Sciberras, directeur des affaires sociales du groupe Solvay et ancien président de l’ANDRH. Les DRH, experts en négociation sociale, seront, en effet, en première ligne sur le sujet. Mais la question ne les effraie pas. "Les intérêts respectifs de l’entreprise et des salariés ne sont pas forcément contradictoires", observe Jean-Paul Charlez, président de l’ANDRH et DRH du groupe Etam. Y compris pour la négociation d’accords "offensifs" en faveur de l’emploi permettant de moduler temporairement le temps de travail.
La conclusion d’un accord majoritaire semble pourtant hors de portée pour la majorité d’entre eux. 53% des professionnels interrogés par le Cercle des DRH, présidé par Sylvain Niel, avocat et directeur associé du cabinet Fidal, n’y sont pas favorables. Jean-Christophe Sciberras tempère, toutefois, en indiquant que ce principe est "absolument normal". "Pour les salariés, un bon accord est un accord signé par tous les syndicats". "Plus un accord est minoritaire, plus il est fragile".
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Ils ne dénigrent pas pour autant le référendum, circonscrit, dans la deuxième version du projet de loi, au temps de travail. "Sur des questions comme le travail du dimanche, nous sommes confrontés à des postures dogmatiques de certains syndicats qui ne correspondent en rien aux souhaits des salariés", alerte Jean-Paul Charlez. "Ces corps intermédiaires représentent-ils encore les salariés qu’ils sont censés défendre", s’interroge plus drastiquement Sylvain Niel qui propose que les négociations soient menées avec "les élus du personnel comme cela se passe dans la plupart des pays européens".
Mais une autre alternative existe pour Jean-Christophe Sciberras : "celle du recours à la médiation-arbitrage". Une pratique à l’œuvre aux Etats-Unis, par exemple. "L’arbitre, qu’il soit juge ou fonctionnaire de l’administration, intervient rapidement, et tente de rapprocher les deux parties. S’il n’y parvient pas, il rend un arbitrage qui s’impose à l’entreprise comme aux organisations syndicales".
Parmi les autres satisfecits, ils retiennent pêle-mêle, le droit des syndicats à communiquer auprès des salariés via l'intranet de l'entreprise, avec ou sans accord collectif, la dématérialisation des bulletins de paie complétée par l’inversion de la règle d’option (aujourd'hui, le salarié doit donner son accord, demain il ne devra pas s'y opposer) ou encore la rédaction d’un préambule dans les accords dans lesquels les parties exprimeront leurs intentions lors de la négociation. Cet ajout est considéré comme un "élément de sécurisation vis-à-vis de l’interprétation postérieure du juge", atteste Jean-Paul Charlez.
D’autres mesures sont plus problématiques. Ainsi, Dominique Olivier ne se satisfait pas de la définition donnée aux licenciements économiques et aurait souhaité une règle qui "ne soit pas contestable de manière systématique". Il s’inquiète, en effet, "que l’appréciation des difficultés économiques soit laissée à nouveau dans les mains du juge". L’objectif étant justement "d’éviter la judiciarisation". "La loi ne va pas assez loin, renchérit Jean-Christophe Sciberras. La définition du licenciement économique doit prendre en compte la possibilité pour une entreprise de se réorganiser, à tout moment, pour maintenir sa compétitivité à l’horizon de 5 à 10 ans. Y compris si elle fait des bénéfices à l’instant T".
En revanche, ils restent indifférents sur la suppression du barème des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif. "Ce type de recours est rare, reconnaît Dominique Olivier. Sauf en cas de contestation du licenciement pour motif économique. La question concerne davantage les PME". Le DRH de Solvay estime, lui, que le problème numéro un est lié à "l’incertitude du juge prud’homal" plutôt "qu’au montant". Concrètement, "pourquoi a-t-on une juridiction aussi lente et aléatoire, avec un taux d’appels aussi important, de l’ordre de 60% ?". D’autant que "les indemnités sont en moyenne plus faibles que celles retenues par le plafond", complète Sylvain Niel.
Les DRH semblent également peu concernés par de nouvelles négociations sur le temps de travail. "Depuis les lois Aubry, ils ne veulent plus négocier sur ce sujet, assure Sylvain Niel. D’ailleurs, ils ont déjà mis en place la modulation du temps de travail". Ainsi, ils ne sont pas forcément partisans d’un allongement des durées maximales du temps de travail. Ils ne souhaitent pas non plus opter pour une pluri annualisation du temps de travail sur 3 ans. 79% d’entre eux y sont opposés, selon le Cercle des DRH. "Cette revendication émane du secteur automobile car elle correspond au cycle de fabrication d’un véhicule", explique l’avocat.
Ils regrettent cependant le revirement de l’exécutif sur la possibilité donnée aux PME de moins de 50 salariés de conclure des conventions de forfait en heures ou en jours avec leurs salariés, en l’absence d’un accord d'entreprise ou de branche. Dans cette deuxième version, en effet, le dirigeant ne pourra plus prendre de décision unilatérale : un accord de branche ou d’entreprise sera nécessaire. Ce qui signifie que les entreprises dépourvues de délégués syndicaux devront recourir au mandatement pour appliquer cette mesure. Or, pour Jean-Christophe Sciberras, "il s’agit d’une occasion ratée pour sécuriser ce type de dispositif. Car le forfait jour est une réalité dans la plupart des PME. 90% des cadres l'ont adopté".
Enfin, les DRH pointent quelques absences. Sur le volet des licenciements économiques, tout d’abord. Jean-Paul Charlez déplore, par exemple, que l’avant-projet de loi fasse l’impasse sur "les délais de procédures jugés beaucoup trop longs, malgré les dispositions de la loi de 2013". Notamment le temps de réponse d’un salarié pour accepter un poste au sein du groupe, dans le cadre d’un reclassement, ou pour approuver un congé de reclassement ou un contrat de transition professionnelle. "La somme des délais incompressibles conduit à un délai minimum de l’ordre de 6 mois pour un PSE, soit un timing beaucoup trop long en cas de crise majeure en particulier pour une PME ou une ETI". Il se dit également favorable à "un relèvement du montant des indemnités légales de licenciement actuellement fixées à 1/5e de mois de salaire par année d’ancienneté plus 2/15è par année au-delà de 10 ans, que le licenciement soit opéré pour des motifs économique ou personnel". De son côté, Jean-Christophe Sciberras regrette que le sujet des reclassements dans le cadre d’un PSE soit resté "sous le tapis". "J’appelle de mes vœux un ANI (accord national interprofessionnel) sur l’obligation de reclassement". Car si la loi Macron encadre désormais cette procédure dans le cadre d’un reclassement à l’étranger, l’insécurité reste entière pour ceux effectués dans l’Hexagone. "Un salarié qui refuse un poste dans une région peut, in fine, changer d’avis et obtenir gain de cause aux prud’hommes".
Sur l’organisation du travail ensuite. Sylvain Niel pense que l’encadrement du télétravail reste le grand absent de ce projet de loi. Même si Manuel Valls a annoncé, lundi, une concertation interprofessionnelle sur le sujet. "C’est un chantier prioritaire pour beaucoup de DRH, estime Sylvain Niel. De nombreuses retombées sont attendues". Au premier rang desquelles "la modernisation de l’entreprise, des rapports hiérarchiques, l’amélioration du climat social ou encore la reconnaissance des salariés via une plus grande autonomie". Un sujet pris très au sérieux pour renouer les liens distendus avec les collaborateurs.
Reste que les DRH sont prudents sur l’issue des débats parlementaires. Le texte sera-t-il édulcoré ? Sera-t-il vidé de sa substance ? Pas de doute, les professionnels RH veillent.
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