Projet de loi Sapin II, les points qui font débat

Projet de loi Sapin II, les points qui font débat

09.05.2016

Gestion d'entreprise

Fonctionnement du service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption, obligation de mise en conformité, disparition de la transaction pénale, les sujets de débats sur le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ne manquent pas.

Présenté en conseil des ministres le 30 mars dernier, le projet de loi Sapin II devrait être examiné par l’Assemblée nationale au début du mois de juin en procédure accélérée. Un débat attendu par de nombreux professionnels et organisations non gouvernementales qui souhaitent faire évoluer le texte par le biais d’amendements.

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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Les intervenants de la conférence « Projet de loi Sapin II, les clés pour appréhender son impact sur les sociétés implantées en France », organisée le 3 mai par le Cercle Montesquieu et le cabinet d’avocats Eversheds, font part de leurs critiques.

Programme de compliance obligatoire, une mise au point nécessaire

Pour la première fois en droit français, le projet de loi prévoit une obligation légale pour les entreprises d’au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros de prendre des « mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence » (article 8 du projet de loi) (voir notre article). Avant tout chose, pour Claire Olive, associate general counsel France d’Oracle et co-responsable de la commission gouvernance et éthique du Cercle Montesquieu, il est nécessaire de poser une distinction linguistique : « Selon moi la compliance revêt deux notions : le respect des règles et la coopération. Or, il me semble que ce texte n’incite pas l’entreprise à la coopération. C’est pour cela que je préfère parler de conformité et non de culture de compliance ».

Pour autant, cette obligation de conformité implique-t-elle pour les entreprises de révolutionner leurs fonctionnements ? « J’ose espérer que les entreprises de plus de 500 salariés n’ont pas grande chose à mettre en place, sinon il y a un problème. Il ne faut pas attendre que ces dispositions par elles-mêmes changent totalement le comportement des entreprises », s’exclame Nicola Bonucci, directeur des affaires juridiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En effet, les entreprises visées n’ont, a priori, pas attendu le projet de loi pour mettre en place de telles mesures. La grande nouveauté réside plutôt dans le fait que les acteurs passent désormais de l’anticipation au respect d’une obligation légale (voir notre interview).

Le projet de loi répondrait-il alors, avant tout, à la nécessité politique de s'aligner sur les politiques du UK Bribery Act et du redout�� ministère de la justice américain ? Pas si sur. « Nous sommes dans une conformité à la française qui a oublié l’entreprise », déplore Claire Olive. « Nous pouvons regretter qu’aucune exonération ou limitation de responsabilité ne soit prévue pour l’entreprise mise en cause qui aura respecté cette obligation », insiste Sophie Scemla, associée en charge du développement du département droit pénal des affaires et compliance du cabinet Eversheds. De plus, rien n’inciterait les entreprises à s’autoréguler et à s’auto-dénoncer lorsqu’un dysfonctionnement est constaté. Reconnaissant tout de même le message politique fort donné avec « ce dispositif cohérent », les intervenants émettent de nombreuses réserves sur les moyens donnés pour en contrôler le respect.

Le souhait d'une autorité indépendante

A l’origine, l’avant-projet de loi prévoyait une « agence nationale de prévention et de détection de la corruption », se substituant au service de prévention de la corruption créé par une loi du 29 janvier 1993. Une proposition retoquée par le Conseil d’État dans son avis du 30 mars, qui a estimé que les missions d’enquête et d’instruction de cette  « agence nationale » - dont la dénomination a aussi fait débat - risquaient d’empiéter sur le champ de compétences des juges administratifs et judiciaires. L’instance chargée du contrôle de cette nouvelle obligation de mise en conformité a donc été rebaptisée « service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption » dans le projet de loi (article 1er).

Placé sous l’autorité du ministre de la justice et du ministre chargé du budget ce « service à compétence nationale » comprend une commission chargée de prononcer des sanctions en cas de manquements constatés à cette nouvelle obligation. « Ni son statut, son positionnement, son champ de compétences et ses moyens ne sont à la hauteur des ambitions qui sont affichées », dénonce Catherine Pierce, vice-présidente de Transparency International France. Aussi l’organisation non gouvernementale, qui a été entendue la semaine dernière par la commission des lois, compte proposer plusieurs amendements. Objectif : faire de ce service une commission nationale qui aurait le statut d’autorité publique indépendante rattachée au Premier ministre et dont la dénomination pourrait être « commission nationale de prévention, d’aide à la prévention et de contrôle de la corruption ». Son président, choisi parmi un magistrat de l’ordre judiciaire, serait nommé en Conseil des ministres par décret du président de la République. Cette commission, si l’amendement est adopté, serait composée de 6 membres : 3 magistrats issus du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes ainsi que 3 personnalités nommées par le Sénat, le Conseil économique et social et par l’Assemblée nationale. Le projet de loi prévoit actuellement que le service soit dirigé par un magistrat hors de la hiérarchie judiciaire et que la commission des sanctions soit composée de 3 membres (un conseiller d’État, un conseiller à la Cour de cassation et un conseiller maître à la Cour des comptes). Une erreur d’appréciation pour le directeur juridique de l’OCDE, Nicola Bonucci : « Je ne suis pas certain que les magistrats soient les mieux placés pour ces tâches. Il faut des personnes qui connaissent les entreprises et qui savent poser les bonnes questions ».

Concernant les moyens d’actions du service, l’article 4 du projet de loi précise que ses agents pourront « s’entretenir avec toute personne dont le concours leur parait nécessaire », qu’ils soient experts ou autorités qualifiées. Ces derniers seront astreints au secret professionnel pour les faits, actes ou renseignements dont ils auront pris connaissance au cours de leurs missions. Une garantie insuffisante pour Alexandre Gallois, maître de conférence à l'université de Rouen : « le législateur devrait songer à mettre en place un statut de moniteur qui aurait la véritable légitimité pour aller voir les entreprises ». Un « corps spécifique aux profils variés » qui pourrait juger de l’efficacité réelle d’un programme de compliance.

Enfin, Transparency International souhaite que ce service chargé de la prévention et de l’aide à la détection de la corruption, tel qu’il est nommé par l’actuel projet de loi, puisse intervenir à l’avenir dans des entreprises publiques et dans des filiales de sociétés étrangères installées sur le territoire national.

Le débat ne fait que commencer. Les amendements risquent d’être nombreux et la transaction pénale pourrait aussi faire son grand retour (voir notre article).

Delphine Iweins
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