L'objectif des trois rapporteurs du projet de loi El Khomri au Sénat est de rendre le texte "opérationnel" en apportant à la fois "plus de souplesse aux entreprises et plus de garanties aux salariés". C'est ce qu'ont expliqué hier Jean-Marc Gabouty, Michel Forissier et Jean-Baptiste Lemoyne lors d'une rencontre avec les journalistes de l'information sociale.
C’est un texte, profondément remanié en commission des affaires sociales la semaine dernière, qui sera débattu au Sénat en séance publique, à partir de lundi prochain. Il s’inspire de la première version du projet de loi, en réintroduisant, par exemple, le barème d’indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié ou encore l’échelon national pour la prise en compte des difficultés économiques. Des mesures qui avaient mis vent debout les syndicats. Y compris la CFDT. Mais ils vont aussi plus loin en donnant de sérieux coups de canif dans le compte personnel d’activité ou encore sur le temps partiel et les 35 heures.
Les sénateurs savent, toutefois, que cette nouvelle mouture n’a aucune chance de devenir la version finale de la loi travail, en sachant que l’Assemblée nationale aura le dernier mot. Mais ils persistent et signent. "On veut un texte simple et efficace, a indiqué Jean-Marc Gabouty, sénateur de la Haute-Vienne, co-rapporteur du texte avec Michel Forissier, sénateur du Rhône, et Jean-Baptiste Lemoyne, sénateur de l'Yonne, lors d’un débat organisé, hier, par l’Ajis (Association des journalistes de l’information sociale). On a décidé de ne pas encombrer le projet de loi travail de choses inutiles". Maître-mot : "pragmatisme". L’objectif est ici de de poser les jalons d’un projet à la fois "social et sociétal", en vue de 2017. De quoi tenir à la disposition des futurs candidats à la présidentielle un texte "prêt à l’emploi".
Dans le détail, plusieurs mesures ont ainsi été purement supprimées. Certaines étaient considérées comme prématurées. Les sénateurs ont retiré du compte personnel d’activité (CPA) le compte d’engagement citoyen (CEC). Quant au compte pénibilité (C3P), ils l’ont délesté des six facteurs qui doivent entrer en vigueur le 1er juillet (postures pénibles, manutentions manuelles de charges, agents chimiques, vibrations mécaniques, températures extrêmes et bruit) jugés trop complexes "à évaluer". Le risque étant, in fine, de créer des "régimes spéciaux de retraite dans le régime général", alerte Michel Forissier.
De même, ils suppriment l’article 27 bis, destiné à "adapter le droit du travail à l’ère numérique". Exit donc la responsabilité sociale des plateformes collaboratives (AirBnB, Uber…). Une disposition venant, selon les rapporteurs, à contretemps, alors qu’une procédure a été lancée par l’Urssaf d’Ile-de-France pour obtenir la requalification en salariés des chauffeurs utilisant la plateforme. "Le sujet existe mais il faudra revenir dessus, poursuit Jean-Marc Gabouty. Avec parmi les pistes à l’étude, la création d’un statut intermédiaire, entre salariat et indépendant". De même, ils tirent un trait sur une représentation du personnel au profit des salariés de réseaux de franchise, prévu dans le texte adopté via le 49-3.
Les sénateurs ne touchent pas à la philosophe de l’article 2 si contesté qui accorde la primauté aux accords d'entreprise sur ceux de branche. "C’est l’ADN des réformes que nous avons portées par le passé, dans la lignée de la loi de 2008 sur la démocratie sociale", rappelle ainsi Jean-Baptiste Lemoyne. Mais ils reviennent aux règles actuelles de signature des accords collectifs, face à "la crainte des organisations patronales et de certaines organisations syndicales de ne pas parvenir à signer des accords majoritaires", c’est-à-dire n’ayant pas recueilli au moins 50% des suffrages exprimées. Ils souhaitent ainsi pour l'instant conserver les règles actuelles. Pour qu’un accord soit validé, il devra, comme aujourd’hui, recueillir la signature de syndicats représentant au moins 30% des suffrages exprimés. Ils maintiennent également les règles du droit d’opposition. Mais dans ce dernier cas, l’employeur ou les les syndicats pourront consulter les salariés pour trancher ce différend. Toutefois, Jean-Baptiste Lemoyne a assuré que le texte sera complété lors de son passage en séance publique car il ne s'agit pas de renoncer définitivement aux accords majoritaires. Une clause de revoyure pourrait ainsi être insérée dans le texte.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
D'autres mesures ont été supprimées car les sénateurs sont en désaccord avec la philosophie même des réformes proposées.
C'est le cas de la réforme de la médecine du travail. Les sénateurs réhabilitent la visite d'aptitude, estimant que le gouvernement n’a pas pris le problème sous le bon angle. Jean-Marc Gabouty déplore ainsi la "résignation" du gouvernement qui "adapte le système à une diminution du nombre de médecins du travail" alors qu'il faudrait "avoir une ambition pour la médecine du travail ". Ce dernier compte modifier le texte en séance publique, afin de faire passer un message visant à encourager la médecine du travail et son renforcer son attractivité.
Les sénateurs sont même allés plus loin et ont supprimé des mesures adoptées dans le cadre de lois antérieures, comme la durée minimum de 24 heures pour les contrats à temps partiel prévue par la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013. Ils estiment que la mesure n’était pas adaptée à la réalité. "Beaucoup de branches ont passé des accords pour déroger à cette durée minimale", relève Jean-Baptiste Lemoine. "Nous avons renvoyé la fixation de la durée minimum au plus près du terrain".
S'agissant de la définition du licenciement économique, si les sénateurs maintiennent la disposition, ils ont retiré toute référence à la taille de l’entreprise. "Un dispositif qui serait censuré par le Conseil constitutionnel", a prévenu Jean-Marc Gabouty. Ils ont par ailleurs réécrit la définition du licenciement économique en essayant "d'objectiver" au maximum la notion de difficultés économiques.
Les sénateurs reprennent la V1 du projet de loi Travail en réintroduisant le barème d’indemnités en cas de licenciement injustifié. "Il faut lever les craintes en matière de CDI", a insisté Jean-Baptiste Lemoyne. Ils reviennent également au périmètre national pour apprécier l'existence de difficultés économiques.
Toujours en matière de licenciement économique, le Sénat va plus loin en réduisant le délai de contestation du motif économique qui passe de 12 à 6 mois. Il encadre également la décision du juge en cas de contestation d’un PSE ; ce dernier devra rendre sa décision dans un délai de 6 mois et la cour d’appel dans un délai de 3 mois.
En matière d'emploi, les sénateurs ont également décidé de fusionner les accords de maintien dans l'emploi et les accords de "préservation ou de développement de l’emploi" (APDE) en un seul et même dispositif. "Nous avons voulu pousser jusqu'au bout la logique d’uniformisation qui était en germe", a expliqué Jean-Baptiste Lemoyne. Par ailleurs, les sénateurs souhaitent introduire, lors de l'examen du texte en séance publique, des "clauses de retour à meilleures fortunes" afin que le "salarié puisse recueillir les fruits de ses efforts", a expliqué Jean-Marc Gabouty, sur le modèle de ce qui existe déjà actuellement dans les accords de compétitivité et de maintien dans l'emploi.
Enfin, "pour développer l’épargne salariale, nous proposons aux entreprises qui se lancent d’abaisser le forfait social à 16% ( contre 20% aujourd’hui) pendant les trois premières années", insiste-t-il.
Les deux semaines de débat qui vont s'ouvrir à partir du 13 juin devraient permettre aux sénateurs d'approfondir ces différents points et d'examiner les nouveaux amendements qui doivent être déposés avant ce soir. Dont ceux que le gouvernement compte bien proposer.
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