Publication du rapport de la Cour de cassation pour l'année 2024

21.07.2025

Gestion d'entreprise

Outre des données chiffrées sur l'activité de la Cour, il est fait état ci-dessous des suggestions de réforme et de la jurisprudence évoquée concernant l'assurance et la responsabilité.

L’activité de la Cour

Les données générales

Toutes demandes confondues, la Cour de cassation a été saisie de 23 534 affaires en 2024, dont 88 % de demandes principales et 12 % de demandes liées ou incidentes à un pourvoi. Les demandes formées à titre principal sont composées à 98 % de pourvois. Entre 2021 et 2024, ces demandes ont diminué de 13 %, passant de 23 791 à 20 746. Les deux tiers des demandes principales concernent la matière civile, leur baisse entre 2021 et 2024 ayant été plus importante dans cette matière (- 18 %) qu’en matière pénale (- 2 %). Celle-ci s’explique par la diminution de 18 % du nombre de séries (pourvois formés par plusieurs personnes sur le même sujet, notamment devant la chambre sociale), pendant cette période.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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En 2024, la Cour de cassation a traité 21 500 pourvois, dont 14 451 en matière civile et 7 049 en matière pénale, le nombre de pourvois terminés étant resté relativement stable, malgré une légère baisse de ceux traités par la chambre criminelle (- 5 %). 2 715 pourvois ont été clôturés pour cause de déchéance du pourvoi (1 060) ou en raison du désistement du demandeur au pourvoi (1 655). Devant les chambres civiles, la hausse de 5 % des pourvois terminés entre 2023 et 2024 résulte de la seule hausse des pourvois sériels (+ 34 %).

Les données par formation et par chambre

Sur la période 2020-2024, 94 % des arrêts ont été rendus en formation restreinte et 5,5 % en formation de section. En 2024, les arrêts rendus en assemblée plénière (5) et en chambre mixte (3) ont été moins nombreux qu’en 2023. 69 % des arrêts statuant sur les moyens prononcés par la Cour sont des arrêts de rejet, dont un quart comporte une motivation répondant aux moyens soulevés par les parties, les trois quarts restants étant des arrêts de rejet non spécialement motivé (RNSM) ou des arrêts de non-admission (NA). Une affaire sur dix environ fait l’objet d’une cassation sans renvoi. En matière civile, entre 2020 et 2024, les délais de traitement ont augmenté de 15,1 à 16,9 mois.

La Cour de cassation a traité 247 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), dont 162 en matière pénale. 74 % des QPC sont incidentes à un pourvoi, dont 57 % en matière civile. Moins de 20 % des QPC sont transmises au Conseil constitutionnel, cette proportion étant trois fois plus importante pour les QPC transmises par les juridictions du fond (16 %) que pour celles incidentes à un pourvoi (5 %).

En 2024, 10 322 pourvois ont été transmis aux chambres civiles, dont 29 % à la chambre sociale, 28 % à la deuxième chambre civile, 16 % à la troisième chambre civile, 14 % à la première chambre civile et 13 % à la chambre commerciale. 13 % des 1 485 pourvois transmis à la première chambre concernent majoritairement la responsabilité des auxiliaires de justice et des professions réglementées, tels que les notaires et avocats, ainsi que celle des établissements et professionnels de santé.

La deuxième chambre civile a reçu 2 834 pourvois, soit une hausse de 16 % par rapport à 2020, alors que, pour la même période, le nombre de pourvois transmis à l’ensemble des chambres civiles a baissé de 10 %. Devant cette chambre, 11 % des pourvois ont trait aux règles générales de procédure et 10 % ont trait au contentieux des assurances, dont 72 % pour les assurances de dommage. Cette chambre a rendu 706 arrêts de cassation dans un délai de près de 24 mois, qui tend à augmenter.

Quant à la troisième chambre, elle a reçu 1 636 pourvois, dont 21 % ont trait à la construction. Ils concernent principalement les contrats tendant à la réalisation de travaux de construction, mais aussi les assurances obligatoires de responsabilité en matière de construction.

Enfin, sur les 1 368 pourvois transmis à la chambre commerciale, 26 % concernent les entreprises en difficulté.

Les suggestions de réforme

En ce qui concerne le domaine des assurances et des responsabilités, la Cour de cassation ne fait que reprendre dans son rapport les suggestions antérieures non encore suivies d’effet, sans présenter de suggestion nouvelle.

La prescription biennale

Parmi ces suggestions, figure l’allongement de 2 à 5 ans de la prescription prévue à l’article L. 114-1 du code des assurances, proposé en vain depuis des années (Rapp.ann. C. cass. 2024, p. 35). Cet alignement sur la prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil, la Cour de cassation le justifie par l’abondance du contentieux en la matière et par les solutions imparfaites et sources de complexité adoptées pour y remédier. Toutefois, la direction générale du Trésor ne se montre pas favorable à cette proposition, sous prétexte que le délai biennal se justifie par la nature spécifique des contrats d’assurance et des sinistres qui en découlent, d’autant que le Conseil constitutionnel a rejeté une QPC sur ce point en 2021.

Harmonisation des frais et dépens

Par ailleurs, les rapports annuels proposent depuis 2011 une harmonisation, par voie législative ou réglementaire, des textes relatifs aux frais et dépens dans les instances auxquelles sont parties les fonds de garantie ou d’indemnisation (Rapp. ann. C. cass. 2024, p. 40). Cela concerne notamment le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), pour lesquels les textes sont silencieux. En matière d’indemnisation des victimes d’infraction, les dépens sont toujours laissés à la charge de l’État, alors qu’en matière d’indemnisation des victimes de l’amiante, ils restent à la charge du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA). Cette proposition a été transmise à la direction générale du Trésor et à la direction de la sécurité sociale, qui n’ont pas émis d’objection de principe à cette clarification.

Revalorisation légale des rentes indemnitaires

Depuis 2014, la Cour de cassation propose que les rentes indemnitaires fassent l’objet d’une revalorisation légale, pour mettre un terme à l’inégalité de traitement entre les victimes d’accidents de la circulation et les autres victimes (Rapp. ann. C. cass. 2024, p. 47). En effet, alors que les premières bénéficient d’une revalorisation de plein droit selon le coefficient prévu à l’article L. 434-17 du code de la sécurité sociale en matière d’accident du travail, le choix de l’indice de revalorisation est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond pour les secondes.

La Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) avait proposé d’intégrer au projet de réforme de la responsabilité civile un article 1272 précisant que : « l’indemnisation due au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de revenus des proches ou de l’assistance d’une tierce personne a lieu en principe sous forme d’une rente. Celle-ci est indexée sur un indice fixé par voie réglementaire et lié à l’évolution du salaire minimum ». Quant à la direction de la sécurité sociale, elle ne prévoit pas de modifier les modalités de revalorisation des rentes accident du travail, mais ne s’oppose pas une modification du régime de revalorisation des autres rentes indemnitaires.

Indemnisation des victimes d’accidents du travail ou de maladie professionnelle dus à la faute inexcusable de leur employeur

Les dispositions de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, telles qu’interprétées par le Conseil constitutionnel, ne permettent pas une indemnisation intégrale des victimes d’accidents du travail ou de maladie professionnelle (AT-MP) dus à la faute inexcusable de leur employeur. Aussi, le rapport annuel suggère-t-il depuis 2010 de modifier ce texte en conséquence (Rapp. ann. C. cass. 2024, p. 52). Toutefois, la direction de la sécurité sociale a considéré que l’état actuel de la jurisprudence offre déjà à ces victimes un niveau élevé de réparation de leurs préjudices. Ainsi, après que l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé en janvier 2023 que la rente ne réparait pas le déficit fonctionnel permanent, la loi n° 2025-199 du 28 février 2025 a ajouté à la part professionnelle de la rente AT-MP une part personnelle pour améliorer la situation des victimes.

Délai de forclusion en matière de construction

En matière de construction, depuis l’entrée en vigueur de la réforme de 2008 sur la prescription, il est regrettable que le cours du délai de forclusion ne puisse pas être suspendu ou interrompu par les causes prévues par les articles 2239 (référé-expertise) et 2240 du code civil (reconnaissance de responsabilité), ce qui est source d’insécurité juridique pour les intervenants à la construction (Rapp. ann. C. cass. ann. 2024, p. 60). Aussi, la Cour de cassation propose-t-elle depuis 2021 d’insérer un article 1792-8 ainsi rédigé : « Les causes de suspension et d’interruption de la prescription respectivement prévues aux articles 2239 et 2240 s’appliquent aux délais de forclusion prévus aux articles 1792-3, 1792-4-1 à 1792-4-3 et 1792-6 ». Cette proposition devrait être intégrée au projet de réforme des contrats spéciaux, en cours d’écriture à la DACS.

La jurisprudence citée au rapport

Responsabilité civile parentale

Le 8 juin 2024, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence en matière de responsabilité civile des parents du fait des dommages causés par leurs enfants mineurs (Cass. ass. plén., 28 juin 2024, n° 22-84.760, n° 678 B + R), en jugeant que leur cohabitation avec un enfant à l’égard duquel ils exercent conjointement l’autorité parentale ne cesse que lorsque des décisions administrative ou judiciaire le confient à un tiers (Rapp. ann. C. cass. ann. 2024, p. 125). Ce faisant, elle ne fait pas disparaître la condition légale de cohabitation, mais lui donne un sens conforme aux réalités des familles contemporaines.

En effet, selon le rapport, ce revirement fait peser la responsabilité du fait des enfants de façon identique sur l’ensemble des parents séparés exerçant conjointement l’autorité parentale, qu’ils soient divorcés, aient mis fin à leur communauté de vie ou n’aient jamais cohabité. Il constitue un levier, même symbolique, entre les mains des juges des enfants et des juges aux affaires familiales, pour inciter le parent chez lequel l’enfant n’a pas sa résidence habituelle à s’investir dans son éducation. Enfin, il met un terme à ce qui apparaissait comme une discrimination de fait des mères de famille séparées qui, tout en assumant la charge la plus importante de l’éducation au quotidien, se voyaient imposer seules cette responsabilité financière.

Point de départ de la prescription de l’article 2224 du code civil

Par deux arrêts du 19 juillet 2024, la chambre mixte de la Cour de cassation a clarifié sa jurisprudence sur le point de départ de la prescription de l’article 2224 du code civil à propos de deux situations distinctes (Cass. ch. mixte, 19 juill. 2024, n° 20-23.527 et n° 20-23.527) : en cas d’action récursoire en contribution à la dette et en cas d’action en responsabilité contre un notaire à la suite d’un redressement ou d’une rectification fiscale (Rapp. ann. C. cass. ann. 2024, p. 139). Ces deux arrêts ont été rendus en miroir avec une motivation enrichie, en cherchant à créer un équilibre entre le respect de la prescription, nécessaire pour assurer la paix sociale, et le droit d’accéder à un tribunal, qui ne peut être assuré que si le justiciable est pleinement en mesure de faire valoir ses prétentions.

Selon ces arrêts, en matière d’action récursoire, le préjudice dont la victime estime avoir déjà souffert est porté à la connaissance du mis en cause par l’assignation qu’il reçoit. Celle-ci constitue donc le point de départ du délai de prescription, sauf si la victime rapporte la preuve qu’elle n’est pas en mesure d’identifier à ce moment-là le potentiel coauteur du dommage. Dans la seconde situation, c’est seulement à l’issue du contentieux fiscal reconnaissant le droit de l’administration que le client du notaire pourra se retourner contre lui, car c’est seulement à ce moment que le préjudice sera reconnu, dans toutes ses composantes et que pourra être discuté son lien causal avec les reproches adressés au notaire.

Assurance des éléments d’équipement

Par un arrêt du 21 mars 2024 (Cass. 3e civ., 21 mars 2024, n° 22-18.694, n° 168 B + R), la troisième chambre civile (Rapp. ann. C. cass. ann. 2024, p. 180) est revenue sur sa jurisprudence initiée en 2017, selon laquelle « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ». Cette solution poursuivait un objectif de simplification de la notion d’élément d’équipement et visait une meilleure protection des maîtres de l’ouvrage, mais elle a été contestée et n’a pas atteint ses objectifs. Aussi, après une consultation des acteurs du marché, la Cour de cassation est revenue sur sa position en décidant que, « si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs ».

Action directe de la victime

Le 18 décembre 2024 (Cass. 1re civ., 18 déc. 2024, n° 21-23.252, n° 722 B + R), la première chambre civile a eu à se prononcer sur l’opposabilité à la victime exerçant en France une action directe contre un assureur anglais d’une clause dite « pay to be paid » stipulée dans son contrat d’assurance en matière maritime (Rapp. ann. C. cass. ann. 2024, p. 204). Certaines cours d’appel ont déclaré cette clause inopposable aux victimes, tandis que d’autres ont jugé qu’elle relevait du régime juridique de l’assurance, régi par la loi du contrat d’assurance, pour la déclarer opposable à la victime en application du droit anglais.

Pour la première chambre civile, cette clause « qui impose au responsable d’un sinistre d’indemniser la victime pour être remboursé par son assureur, avait pour effet de rendre l’action directe de la victime impossible, en privant cette action de son objet même ». Il en résultait que l’opposabilité de cette clause à la victime « s’analysait, au sens de l’article 11, § 2, du règlement Bruxelles I, en une règle de la loi du contrat régissant la possibilité de l’action directe ». La loi anglaise était donc évincée par la loi principale, à savoir la loi française, lieu de survenance du dommage, laquelle admet l’action directe de la victime à la différence de la loi anglaise.

James Landel, Conseiller scientifique du Dictionnaire Permanent Assurances
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