Publicité : quelle évolution attendre ?

12.06.2020

Environnement

Deux rapports proposent de réformer la réglementation des messages publicitaires dans un sens plus ou moins contraignant.

A quelques jours d'intervalle, deux rapports proposent des pistes pour améliorer la publicité. Le premier, gouvernemental, propose une série de recommandations d’évolution du dispositif actuel afin de l’insérer dans la logique de la transition écologique, le second, associatif, prône un encadrement plus strict des messages publicitaires.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Faire évoluer le dispositif actuel

Le premier rapport résulte d'une demande du ministère de la transition écologique du 20 septembre 2019. Il s'agissait d'établir un état des lieux des impacts du modèle publicitaire français, notamment sur l'environnement, une analyse des avances les plus significatives à l'échelle européenne et internationale, et enfin des recommandations d’évolution du dispositif actuel afin de l’insérer dans la logique de la transition écologique.

Interdire, réglementer ou auto-réguler ?

Les auteurs ne recommandent pas l'interdiction de la publicité, une telle prohibition pouvant aller à l'encontre de la liberté du commerce et de l'industrie, même s'ils admettent que des mesures d’interdiction puissent être envisagées, mais sur la base d’une démarche cohérente et programmée dans le temps permettant à la publicité d’évoluer (ex. : aboutir à la neutralité carbone).

Même si le secteur publicitaire comporte des mesures de réglementation, l'application des règles repose pour l'essentiel d'un dispositif d'autorégulation du contenu des publicités, piloté par l'ARPP. En dépit de certaines insuffisances, il est préférable de maintenir ce système en faisant en sorte qu’il fonctionne mieux, et non de le bouleverser.

Les auteurs estiment que la publicité doit jouer un rôle proactif pour faire en sorte que les messages publicitaires prennent en compte l'impact climatique des produits et leur efficacité énergétique maximale.

Une mobilisation du secteur publicitaire sera d’autant plus efficace qu’elle s’appuiera sur l’ensemble des parties prenantes, et en particulier les ONG environnementales, les associations de consommateurs et les citoyens.

Si l'utilisation de mentions légales (ex : nuit gravement au climat) s'avère a priori intéressante, elles connaissent de sérieuses limites : un refoulement pur et simple, une incompréhension, ou un effet boomerang. Le rapport ne propose donc pas de mention supplémentaire mais préconise d'évoluer vers un affichage visuel, clair et compréhensible.

La forte consommation énergétique liée à la publicité numérique nécessite que la mesure des émissions de gaz à effet de serre soit désormais mise en oeuvre dans ce secteur de la manière la plus large possible, que ce soit chez les annonceurs et les plateformes.

Les propositions pour mettre la publicité au service de la transition écologique

Les rapporteurs proposent de concilier des mesures ambitieuses avec le fonctionnement d’un secteur publicitaire marqué par un bouleversement structurel et une conjoncture récessive, soit un total de 23 propositions structurées en quatre thématiques.

Objectifs Mesures proposées
Mise en place d'une stratégie de neutralité carbone
  • Prévoir un engagement de la profession d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050
  • Fixer un engagement très actif des professionnels pour la généralisation du reporting climatique
  • Faire en sorte que le secteur publicitaire élabore une trajectoire climatique
  • Mettre en place un volet « climat » dans la recommandation « développement durable » de l’ARPP
  • Faire élaborer par les parties prenantes une charte climatique pour la publicité audiovisuelle
  • Mettre en place un visuel permettant d’identifier facilement les barèmes validés par les pouvoirs publics
  • Prévoir une interdiction de la publicité dans les années précédant l’échéance prévue de disparition d’un produit ou d’un service
  • Interdire la publicité tractée par voie aérienne et mieux faire respecter celle applicable aux camions publicitaires dédiés
  • Mettre notre pays en situation d’exercer un leadership européen sur les relations entre publicité et climat, en particulier à l’occasion de la prochaine directive sur les automobiles
Rendre plus cohérente la règlementation sur la publicité extérieure au regard de la transition écologique
  • Garantir l’extinction la nuit de tous les panneaux hors ceux figurant sur un équipement urbain d’intérêt public en fonctionnement
  • Soumettre les publicités lumineuses à l’intérieur d’une vitrine mais visibles de l’extérieur aux règles fixées par le code de l’environnement
  • Rendre plus efficace les sanctions contre l’affichage sauvage
  • Expérimenter un dispositif « Oui pub »
Une relance des initiatives pour une publicité plus responsable
  • Mettre en place un « Grenelle citoyen de la publicité et de la transition écologique » ou à défaut, confirmer l’organisation à brève échéance des Etats généraux de la publicité envisagés par la profession, avec un volet important sur des engagements en matière de transition écologique
  • Faire adopter par la profession publicitaire des règles d’autodiscipline pour une fonction plus responsable
  • Créer un fonds de compensation pour une publicité plus responsable ou à défaut, une contribution pondérée selon les impacts environnementaux.
  • Créer un programme de formation à la transition écologique dans les études supérieures en communication
  • Relancer l’ISO 26 000 appliquée aux métiers de la communication
L’amélioration des mécanismes de régulation publicitaire au regard de la transition écologique
  • Ouvrir la gouvernance de l’ARPP
  • Améliorer les conditions d’utilisation de la procédure d’urgence de l’ARPP
  • Renforcer l’impact des décisions du jury de déontologie de la publicité (JDP)
  • Instaurer la fonction de coordinateur national des actions de communication des organisations
  • Décloisonner la prise en compte du thème de la publicité dans les services de l’Etat.

 

Les rapporteurs proposent un calendrier d'application, sous réserve de possibles décalages dus à la pandémie de Covid :

- Etats généraux où des engagements seraient pris par les professionnels (4e trim. 2020),

- adoption d'un volet climat à la recommandation "développement durable" de l'ARPP et d'un projet de loi en conseil des ministres (1er trim. 2021),

- adoption de la loi (2e trim. 2021),

- élaboration d'une charte climatique pour la publicité individuelle (2e sem. 2021),

- mise en place de règles prévues dans cette charte (janv. 2022).

Encadrer la publicité dans le monde d'après

Un autre rapport publié par des ONG - Amis de la Terre France, Résistance à l’agression publicitaire (RAP) et Communication sans frontières, en partenariat avec l'Observatoire des multinationales, des experts universitaires et les apports des 22 associations, recommande d'encadrer plus fortement la publicité et l'influence des multinationales.

 

Décortiquant le rôle central de la publicité et la communication des multinationales dans la surconsommation, ce rapport contient des recommandations concrètes pour réguler ces activités d’influence des entreprises et donner, dans le monde d’après, plus de place aux discours citoyens.

 

Le rapport montre que 30 Mds € annuels de dépenses de communication commerciale en France engendrent directement des phénomènes de surconsommation de produits controversés comme certains véhicules ou produits alimentaires.

Une publicité induisant surconsommation et surveillance de masse

Dans un contexte d'urgence climatique, la publicité est plus que jamais sur le banc des accusés, et pas seulement parce que nombre de ses méthodes sont polluantes. Grâce à elle, des industries fortement émettrices de gaz à effet de serre sont capables d'influencer les consommateurs les pousser à acheter des produits ou services sans souci des conséquences pour la planète. Pire, la communication commerciale est un ressort de l’« obsolescence marketing » : elle donne lieu à des phénomènes plus profonds de surconsommation de masse. La publicité, symbole et vecteur d'un modèle de développement dont l'« insoutenabilité » est de plus en plus évidente.

La publicité comme outil de marketing et de lobbying

La publicité et la communication ne servent pas uniquement les objectifs commerciaux des industriels pour vendre leurs produits. Elles participent aussi à des stratégies d’influence « corporate » plus globales à destination des décideurs et de l'opinion publique en général. Elles contribuent dès lors à « définir les situations » et visent à façonner le sens commun, influencer les discours publics et l'agenda politique dans un sens favorable à leurs intérêts. Autrement dit, à protéger les grandes entreprises des critiques des citoyens comme des velléités de régulation des pouvoirs publics, notamment (mais pas exclusivement) en ce qui concerne leur impact sur la consommation de ressources et le climat. La publicité apparaît ainsi comme une autre forme de lobbying.

Une publicité qui influence les médias et provoque une surveillance en ligne

La publicité et la communication d'influence des multinationales tirent leur pouvoir de leur omniprésence. De manière légale ou clandestine, elles prennent une place croissante aussi bien dans la sphère publique que dans les sphères privée et intime, envahissant des espaces qui étaient restés jusque-là relativement préservés de l'influence commerciale. Avec pour effet de « normaliser » leurs présences et surtout d'étouffer ou déformer les voix alternatives.

Des propositions pour réduire l'emprise de la publicité

Le rapport formule également plus de 20 propositions concrètes qui se structurent en quatre grands axes :

 

- redéfinir le cadre des activités publicitaires acceptables : à travers le temps, les activités publicitaires se sont déployées tous azimuts dans la société sans les règles nécessaires pour encadrer ce développement. Il est devenu impératif de réaffirmer quels sont les espaces, les supports et les produits qui, pour respecter des libertés individuelles ou préserver l’intérêt général, ne peuvent être l’objet d’activités publicitaires ;

 

- instaurer des mécanismes de régulation indépendante des discours des entreprises : les pouvoirs publics ont toute légitimité pour organiser la régulation à des fins d’intérêt général des contenus des publicités, et plus largement des supports de communication des entreprises. Mais à l’heure actuelle, l’outil juridique dont ils disposent n’est mobilisé que pour lutter contre la tromperie sur la réalité du produit, et ce presque exclusivement sur le terrain économique ;

 

- engager des réformes économiques pour réduire la pression commerciale : pour diminuer la pression globale de la communication commerciale et les phénomènes de surconsommation qu’elle entraîne, il est impératif de s’attaquer au marché de la publicité dans son ensemble, sur le terrain économique. Il peut s’agir d’interventions conjoncturelles contre les abus des oligopoles, mais des réformes structurelles peuvent également être envisagées, sur les plans comptable comme fiscal ;

 

- soutenir l’indépendance des médias et les discours des associations citoyennes : le rapport propose que le produit des taxes sur la publicité dans les médias soit dirigé vers des mécanismes de soutien aux médias les plus indépendants et aux discours des associations, pour les rendre plus audibles dans la société de communication. Mais ces secteurs doivent aussi envisager des réformes : faire évoluer le système d’aides à la presse et développer de nouvelles modalités de communication et d’influence dans la société civile.

Olivier CIZEL, Code permanent Environnement et nuisances

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