Le droit de préemption du locataire commerçant ne s'applique qu'aux ventes conclues à compter de l’entrée en vigueur de la loi Pinel, à savoir à partir du 18 décembre 2014.
L'article L. 145-46-1 du code de commerce qui attribue au locataire d'un local à usage commercial ou artisanal le droit d'acheter celui-ci en priorité lorsqu'il est mis en vente par son propriétaire suscite un contentieux abondant. La Cour de cassation a d'abord été conduite à cerner son domaine et les modalités de sa mise en oeuvre en affirmant, par exemple, que « ses dispositions qui sont d'ordre public, trouvent application lorsque le propriétaire d'un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, et ne sont pas applicables aux ventes faites d'autorité de justice », c'est-à-dire aux ventes faites dans le cadre d'une liquidation judiciaire (Cass. 3e civ., 30 nov. 2023, n° 22-17.505, n° 776 FS-B).
La gestion immobilière regroupe un ensemble de concepts juridiques et financiers appliqués aux immeubles (au sens juridique du terme). La gestion immobilière se rapproche de la gestion d’entreprise dans la mesure où les investissements réalisés vont générer des revenus, différents lois et règlements issus de domaines variés du droit venant s’appliquer selon les opérations envisagées.
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Dans le cas présent tranché par la Haute juridiction, c'est l'application de ce texte dans le temps qui était au centre du litige. Ce droit de préemption a été créé par l'article 14 de la loi Pinel n° 2014-626 du 18 juin 2014 qui est entrée en vigueur le 18 décembre 2014, soit 6 mois après sa promulgation. Dès lors, il faut établir que la vente est postérieure à cette date pour que le locataire puisse prétendre acheter le local loué par préférence à tout autre acquéreur. Or, dans l'affaire rapportée, une société civile immobilière (SCI) avait conclu, le 7 novembre 2014, avec une autre société une promesse synallagmatique de vente portant sur un local donné à bail commercial et assortie de trois conditions suspensives dont « la renonciation par leur titulaire à tout droit de préemption et/ou pacte de préférence susceptible de frapper » le bien. A la date du 13 janvier 2015, le notaire chargé de la vente a notifié à la locataire du local les conditions de la vente et les 22 janvier et 6 février 2015, cette dernière a fait connaître sa volonté d'exercer son droit de préférence. Le 9 février 2015, le notaire a informé la locataire que la notification du 13 janvier procédait d'une erreur et que la vente avait été régularisée par acte du 16 janvier 2015. La locataire a maintenu sa volonté d'acquérir et a agi en nullité de la vente et en réalisation forcée de celle-ci à son profit au motif que la promesse de vente, étant assortie de conditions suspensives, était un contrat en cours à la date du 18 décembre 2014, et que la loi nouvelle régissant les effets d'une situation en cours devait s'appliquer et faire naître un droit de préemption à son profit.
La locataire, après avoir obtenu gain de cause en première instance, est déboutée en appel au motif que la vente était parfaite, à la date du 7 décembre 2014 et que le preneur ne pouvait invoquer de droit de préférence car l'article L. 145-46-1 n'était pas encore applicable à l'espèce.
Remarque : la cour d'appel condamne, en outre, la locataire à des dommages-intérêts pour procédure abusive du fait qu'elle persistait à invoquer un droit de préemption dont elle n'était pas titulaire.
Saisie d'un pourvoi du preneur, la Cour de cassation estime que c'est « à bon droit, que la cour d'appel a retenu que la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix et constaté qu'à la date de la promesse synallagmatique de vente, antérieure au 18 décembre 2014, date à laquelle l'article L. 145-46-1 du code de commerce n'était pas applicable, la locataire n'était titulaire d'aucun droit légal de préférence ». La Haute juridiction relève, en effet, que les conditions suspensives qui se sont réalisées rétroagissent au jour de la promesse de sorte que le contrat n'est pas en cours. Elle ajoute que l'erreur du notaire n'a pu ouvrir un droit de préférence. En revanche, les Hauts magistrats cassent l'arrêt d'appel en ce qu'il a condamné la locataire à des dommages-intérêts car il n'avait pas caractérisé une faute ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice de celle-ci, dont la légitimité de l'action avait été reconnue en première instance.
La solution retenue doit être approuvée. La promesse synallagmatique vaut vente dès lors qu'il y a accord du vendeur et de l'acquéreur sur la chose et le prix même si elle est subordonnée à des conditions suspensives qui rétroagissent au jour de la promesse dès lors qu'elles sont réalisées (C. civ., art. 1178). Quant à l'abus de droit, il suppose une faute caractérisée, une obstination à agir en l'absence de droit, ce qui n'était pas le cas de la locataire ici. Mais il est possible de faire deux observations.
D'une part, implicitement, la Cour de cassation considère que l'offre de vente faite par erreur ne peut créer un droit de préférence légal d'ordre public. Cela est contestable dans la mesure où l'article L. 145-46-1 du code de commerce dispose que la notification adressée au locataire « vaut offre de vente ». L'acceptation de l'offre devrait nouer le contrat. D'ailleurs, le Conseil d'État retient la solution inverse en jugeant qu'une offre de vente adressée irrégulièrement à la commune ouvre le droit de préemption urbain (DPU) même si elle avait renoncé précédemment à acquérir le même bien à un prix identique. La circonstance que la déclaration d'intention d'aliéner (DIA) soit incomplète ou entachée d'une erreur substantielle portant sur la consistance du bien objet de la vente, son prix ou sur les conditions de son aliénation est, par elle-même, et hors le cas de fraude, sans incidence sur la légalité de la décision de préemption prise à la suite de cette déclaration (CE, 1er mars 2023, n° 462877).
D'autre part, cette décision marque une certaine hésitation sur la nature du droit reconnu au locataire d'un local commercial ou artisanal. La cour d'appel évoque, en effet, l'absence d' « un droit de préemption » alors que la Cour de cassation estime que la locataire « n'était titulaire d'aucun droit légal de préférence ». Préemption ou préférence ? Au-delà de la terminologie, c'est le tripartisme de l'opération qui est en jeu. Si le locataire a un droit de préemption, il évince un tiers avec lequel la vente a été négociée. S'il est titulaire d'un droit de préférence, la proposition d'acheter doit lui être adressée directement avant toute recherche d'un tiers. Les Hauts magistrats ont tendance à retenir cette seconde analyse, afin de refuser tout honoraire à l'agent immobilier qui a négocié la promesse « dès lors qu'aucun intermédiaire n'est nécessaire ou utile pour réaliser la vente qui résulte du seul effet de la loi » (Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, n° 20-17.799, n° 671 FS-B). Pourtant, la présente espèce montre bien qu'en pratique, le propriétaire cherche un acquéreur avec lequel il définit le prix et les conditions de la vente et il notifie, ensuite, les termes de la promesse au locataire qui peut préempter, c'est-à-dire se substituer à l'acheteur. Ce locataire a, comme le dit la Haute juridiction, un droit légal et d'ordre public, qui lui permet d'évincer tout autre acquéreur, ce qui est plus contraignant qu'un simple droit de préférence. D’ailleurs, la Cour de cassation a, elle-même, jugé qu'il était possible de conclure une promesse de vente avant de notifier au locataire commerçant la vente envisagée (Cass. 3e civ., 23 sept. 2021, n° 20-17.799, n° 671 FS-B ; Cass. 3e civ., 24 nov. 2021, n° 20-16.238 ; Cass. 3e civ., 28 sept. 2022, n° 21-18.007 : à propos d'un droit de préférence conventionnel). C'est bien d'un droit de préemption, légal et d'ordre public, dont il s'agit, ce qui n'empêche évidemment pas le propriétaire de s'adresser, d'abord, au locataire pour lui proposer le contrat qui sera conclu par l'acceptation de l'offre. Si celui-ci n'achète pas et que le propriétaire vend à un autre acheteur à des conditions plus avantageuses, une nouvelle offre, à ces conditions, doit être adressée par le bailleur ou, à défaut, par le notaire au locataire qui dispose d'un mois pour préempter et être substitué à cet acheteur (C. com., art. L. 145-46-1, al. 3). Dans ce dernier cas, il n'y a aucune raison de priver de sa commission l'agent immobilier qui avait négocié la vente.
Corinne SAINT-ALARY-HOUIN, Professeur émérite de l'université de Toulouse 1 Capitole