QPC sur les congés payés en cas de maladie du salarié : les Sages se prononceront le 9 février

QPC sur les congés payés en cas de maladie du salarié : les Sages se prononceront le 9 février

30.01.2024

Gestion du personnel

Le Conseil constitutionnel a tenu audience hier matin sur les deux questions prioritaires de constitutionnalité sur les congés payés en cas de maladie du salarié. Après avoir écouté les différentes parties et leurs argumentations, les Sages rendront leur décision le 9 février.

Le 15 novembre dernier, la Cour de cassation a transmis deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel sur la question des congés payés en cas de maladie du salarié. Le Conseil constitutionnel, qui a trois mois pour se prononcer, a tenu audience hier matin, écoutant les arguments des uns et des autres.

Des débats qui ont bien sûr été alimentés par le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation le 13 septembre 2023.

Toutefois, comme le rappelait Bérénice Bauduin, maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne, dans notre article du 16 novembre 2023, la position de la Cour de cassation et celle du Conseil constitutionnel sont strictement indépendantes et n'ont pas à se positionner par rapport aux mêmes normes.

Une atteinte au droit à la santé et au repos ? 

La première question est de savoir si les articles L.3141-3 et L.3141-5, 5° du code du travail portent atteinte au droit à la santé, au repos et aux loisirs garanti par le 11e alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 en ce qu'ils ont pour effet de priver, à défaut d'accomplissement d'un travail effectif, le salarié en congé pour une maladie d'origine non professionnelle de tout droit à l'acquisition de congés payés et le salarié en congé pour une maladie d'origine professionnelle de tout droit à l'acquisition de congés au-delà d'une période d'un an. 

Pour Maude Sardais, avocate représentant la salariée dans le contentieux qui a donné lieu aux deux QPC, l'argument selon lequel le salarié pourrait déjà se reposer pendant son arrêt maladie méconnaît la finalité de l'arrêt maladie qui consiste "à se soigner et non à se reposer et revenir apte au travail. Or [le salarié] doit attendre plusieurs mois, voire une année, pour pouvoir prendre des congés payés. Il subit alors une double peine alors que l'arrêt de travail est indépendant de sa volonté".

"Le droit aux loisirs est également méconnu, indique-t-elle. Le salarié en arrêt maladie voit ses déplacements dans l'espace et dans le temps limités" [lorsqu'il a des autorisations de sortie strictes]. 

Même si "la CJUE et la Cour de cassation ont décorrélé la notion de travail effectif avec celle de l'acquisition de congés payés", l'avocate "craint qu'un public non averti continue de les appliquer" et milite ainsi pour "une déclaration d'inconstitutionnalité" qui permettra "d'encadrer les travaux parlementaires". Elle estime par ailleurs que les Sages n'ont "pas à différer la déclaration d'inconstitutionnalité" afin de permettre aux salariés "d'acquérir d'ores et déjà des congés payés".

L'avocat au Conseil représentant la société Mazagran, Antoine Dianoux, estime quant à lui que "c'est la Nation qui garantit [ce droit] à tous en vertu de la solidarité nationale. Ce n'est pas à l'employeur d'assurer cela et encore moins de le rémunérer". Et de compléter son argumentation. "Le salarié en arrêt maladie n'a pas de congés payés mais le droit à la santé, au repos et aux loisirs est largement protégé par ailleurs : prise en charge des frais de soin et versement d'indemnités journalières de sécurité sociale, ce qui "est financé en grande partie par des cotisations employeur", sans compter, insiste l'avocat, "l'obligation légale de maintenir le salaire en complément des indemnités journalières et le régime de prévoyance collective lorsque l'arrêt maladie est de longue durée". Selon de dernier, il n'est donc pas nécessaire d'y rajouter les congés payés, "le salarié [étant] déjà au repos pour se soigner et disposant de temps libre pour des activités non éprouvantes. Lui accorder des congés payés, c’est accorder du repos sur du repos - du repos au carré - or les congés payés sont conçus intrinsèquement comme une contrepartie du travail effectué". 

Pour Jean-Jacques Gatineau, avocat au Conseil qui représentait le Medef, "le droit au repos [en France] est l'un des mieux assuré qui soit et assure la protection des salariés malades, qu'il s'agisse d'une maladie professionnelle ou non". Le système français est "aussi généreux pour le salarié que coûteux pour les entreprises". "Rien ne peut être reproché à notre législation, argumente-t-il qui permet au salarié de se réparer et [de disposer de] son droit au repos car l'arrêt maladie ne s'arrête pas quand la maladie est guérie mais au jour où le salarié a récupéré de sa force de travail".

Damien Célice, avocat au Conseil représentant la CPME, a rappelé aux Sages "qu'appliquer cette jurisprudence [celle du 13 septembre 2023] n'est pas [leur] rôle qui est de garantir l'équilibre essentiel dans notre droit de la protection sociale. La jurisprudence est de nature à porter atteinte à l'identité constitutionnelle de la France. Vous devez rappeler la nécessité de la préserver au besoin en l'interprétant".

"Un régime de protection sociale ce sont des droits et des avantages mais aussi des devoirs et des contraintes qui forment un ensemble et reposent sur des équilibres (...) C'est cet esprit d'ensemble que la CPME demande de protéger au nom de l'identité constitutionnelle de la France. Le coût de la protection sociale est supportable tel qu'il est mais ne le serait plus s'il s'alourdissait". L'avocat pointe le risque "d'un basculement d'un risque collectif à un risque individuel" qui battrait ainsi en brèche "la mutualisation du risque".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Une atteinte au principe d'égalité ?

La seconde interrogation à laquelle le Conseil constitutionnel doit répondre est celle de savoir si l'article L.3141-5, 5° du code du travail porte atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 en ce qu'il introduit, du point de vue de l'acquisition des droits à congés payés des salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison de la maladie, une distinction selon l'origine professionnelle ou non professionnelle de la maladie, qui est sans rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

L'avocat de la société Mazagran estime là encore que la loi est bien conforme à la Constitution. "La différence [de traitement entre maladie professionnelle et non professionnelle] est logique car les congés payés sont la contrepartie du travail ; les salariés en bénéficient car ils ont travaillé. Les salariés en arrêt maladie à la suite d'un accident ou d'une maladie non professionnels sont dans une différence de situation objective. Les congés payés dus par l'employeur le sont lorsque l'arrêt maladie est en lien avec le travail fourni par cet employeur". En quelque sorte résume l'avocat, il s'agit "d'une compensation en application de la théorie du risque".

Même son de cloche du côté de l'avocat du Medef. "Il n'y a pas d'atteinte à l'égalité de traitement car les situations sont radicalement différentes", estime Jean-Jacques Gatineau.

Franck Michelet, l'avocat qui représente la CGT, soutient quant à lui que les dispositions incriminées du code du travail violent bien le principe d'égalité. "Traiter différemment des personnes dans la même situation, à savoir la maladie, est sans rapport avec l'objet de la législation sur les congés payés". 

Réponse le 7 février

Les parties ne se sont pas privées de délivrer leurs conseils aux Sages pour faire évoluer la jurisprudence ou, au contraire, maintenir un statu quo. 

Franck Michelet, qui représente la CGT, propose d'effacer la notion de travail "effectif" et de ne laisser dans la loi que la référence au "travail". "De l'exception vous feriez la règle et vous pourriez ensuite définir des exceptions".

Jeran-Jacques Gatineau, qui représente le Medef, indique aux Sages qu'ils peuvent "rappeler que le changement de législation ne peut jamais être rétroactif", ou bien encore "que le report ne pourrait pas être supérieur à 12 mois sur les quatre semaines de congés payés garanties par la directive et non sur les cinq semaines du droit français. Le mieux serait de constater la parfaite constitutionnalité des textes", conclut-il.

Damien Célice, qui représente la CPME, soutient lui qu'il convient de "déclarer ces dispositions conformes à la Constitution afin de donner un signal au législateur pour ne pas mettre en oeuvre servilement la jurisprudence de la CJUE, ne pas procéder à un simple toilettage des textes et rappeler que le système de protection sociale fait partie de l'identité constitutionnelle de la France".

Intervenant à la fin de l'audience, le représentant du Premier ministre a insisté sur la nécessité d'un "équilibre entre le droit à la santé et au repos et la nécessité de ne pas imposer une charge disproportionnée à l'employeur telles que le prévoient les dispositions actuelles du code du travail", indiquant que selon Matignon, cet "équilibre législatif ne méconnaît pas ni les principes constitutionnels de droit au repos ni ceux du principe d'égalité". 

"Le législateur a toujours rattaché l'acquisition de congés payés à la notion de travail effectif, a-t-il poursuivi, et assimilé des périodes non travaillées à du travail effectif (en cas d'AT-MP par exemple) mais aussi au regard d'autres objectifs comme cela est le cas pour les congés de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant". Et de poursuivre son raisonnement. "La différence fondée sur les AT-MP ne méconnaît pas le principe d'égalité car c'est dans le travail que l'AT-MP". 

Il a également indiqué que "pour la mise en conformité du droit français, notamment par rapport à la directive de 2003, le gouvernement envisage "de limiter le quantum à quatre semaines de congés payés dans le respect du principe d'égalité". En effet, rappelons que le droit européen consacre un droit annuel à congés payés de quatre semaines. Mais la Cour de cassation a précisé que le principe de non-discrimination au regard de l’état de santé conduit à appliquer son revirement du 13 septembre 2023 aux cinq semaines légales de congés payés et aux congés conventionnels.

Il est à noter que l'argument économique développé par le représentant du Medef n'a pas laissé indifférent l'un des Sages, Alain Juppé qui a lui a demandé une note d'évaluation pour le délibéré afin de mieux comprendre le chiffre avancé par l'avocat au Conseil, à savoir un coût de 2Md€ par an pour l'ensemble des entreprises et ce, sans compter le rattrapage rétroactif. 

Le Conseil constitutionnel rendra sa décision le 9 février. Une décision qui sera guettée autant par les entreprises que par les salariés.

Florence Mehrez
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