Quel avenir pour le droit de l'environnement ?

08.06.2020

Environnement

Telle est la question que nous avons posée à Mes Corinne Lepage et Christian Huglo, à la suite de notre 500e bulletin mensuel d'actualité. Alors que la bataille contre le Covid-19 est loin d'être gagnée et que pointe le spectre d'une importante récession économique, la question est primordiale. Voici leur réponse.

C’est avec plaisir et tout à la fois avec la plus grande prudence que nous avons accepté de répondre à la question formulée par les Editions Législatives.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Quel avenir pour le droit de l’environnement aujourd’hui ? C’est pour nous tous un moment intense de réflexion, dans cette phase généralisée du déconfinement, après l'assignation à résidence de toutes les nations d’Europe comme d’une grande partie du monde, du fait d’un ennemi à la fois invisible mais partout présent.

 

Certains se sont écriés : la nature voilà l’ennemi et d’autres constatant le retour des animaux non domestiques dans les rues de nos villes : vive la nature. Qui croire ? Certainement aucun des deux, car les uns font part d’une prudence feinte et les autres d’une naïveté certaine.

 

En droit, la question ne se pose pas en termes d’agréments ou de désagréments, ne serait-ce qu’en raison de l’impérative reprise économique. En revanche, elle se pose très clairement dans les conditions et les objectifs de cette reprise. Pour les uns, la protection de l’environnement serait un obstacle à l’économie et à l’emploi, considérés comme prioritaires (sous sa forme d’économie de l’ancien monde) et donc il faudrait en réduire la place dans le droit ; pour d’autres, la protection de l’environnement et son développement serait une priorité absolue face à la crise de la biodiversité et de l’évolution de la crise climatique et permettrait de faire émerger, de surcroît, la possibilité de développer un nouveau modèle économique compatible avec nos ressources en réalité très créateur d’emplois.

 

On voit bien le dilemme qui est de nature très politique, mais qui a, vis-à-vis de la question environnementale, une traduction juridique évidente. La question environnementale est-elle la priorité car faute de répondre convenablement aucun avenir n’est envisageable, ou bien est-elle un sujet parmi d’autres ? La réponse à cette question se traduit évidemment en droit. Les principes du droit de l’environnement et les règles qui l’appliquent sont-ils prioritaires ou doivent-ils se combiner, voire s’effacer partiellement devant d’autres priorités ?

 

Entre les deux réponses extrêmes, pour simplifier celle des tenants de l'effondrement qui voudraient qu’immédiatement, seuls demeurent les sujets climatiques et de biodiversité comme priorité absolue et celle du président Trump qui estime que toutes les règles de protection de l’environnement doivent être mises à l’écart pour permettre la reprise économique, il est peut-être d’autres réponses.

 

Déterminer l’avenir du droit de l’environnement, c’est tout d’abord considérer la forme et la force qu’il a acquis à tous les niveaux du droit et prendre la mesure des attaques qu’il subit actuellement ; mais, c’est aussi prendre en considération l’importance vitale de son développement dans les circonstances actuelles et, par voie de conséquence, imaginer les nouveaux instruments à mettre à sa disposition.

Le droit de l’environnement actuel : un droit jugé à tort trop puissant et faisant l’objet d’attaques répétées

Le droit de l’environnement, tel qu’il s’est fondé en 50 ans, repose sur deux piliers fondamentaux : la protection de la nature et la lutte contre la pollution, ce que restituent la plupart des codes de l’environnement, l’examen du droit européen ou du droit international public.

Le droit de l’environnement s’est développé d’abord en enrichissant toutes les disciplines classiques du droit : le droit civil, le droit pénal, le droit administratif et jusqu’au droit public et constitutionnel. Grâce à celui-ci en particulier, il est devenu global : aujourd’hui, la question du droit constitutionnel à l’environnement figure dans le droit constitutionnel de 145 États sur 192.

 

Du point de vue des valeurs, il a su incorporer dans son développement, à partir des années 1990, les droits de l’Homme et le droit à la santé ; s’agissant du droit communautaire de l’environnement, il s’est imposé, alors qu’il n’existait pas dans les traités initiaux, en se référant aux droits internes de chaque Nation adhérente. Aujourd’hui, il est devenu un facteur d’entraînement pour le droit de l’environnement des Etats membres, dont beaucoup peinent à suivre, ce dont témoignent les contentieux de la transposition et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union.

 

Seul le droit international, dans sa version droit souple, a réellement évolué même si l’on reconnaît une certaine force au droit de la biodiversité ou au droit climatique, pour celui-ci à travers l’Accord de Paris. Les accords multilatéraux de l’environnement (AME) sont multiples mais, force est de constater que leur effectivité est faible et qu’ils sont quasi systématiquement considérés comme inférieurs aux règles du commerce international gérées par l’OMC. Au passage, on observera du reste les très graves difficultés que rencontre cet organisme ainsi que les organes de règlement des différends qui avaient été créés ; ils ont laissé la place aux traités commerciaux CETA et autres, promouvant l’arbitrage et ne laissant quasiment aucune place sérieuse au respect des règles de droit de l’environnement.

 

Cette évolution illustre celle plus générale du droit de l’environnement qui n’a pas toujours eu la constance que l’on pouvait espérer : il a commencé à décliner quand on a mis en exergue le principe de non régression que l’on retrouve en droit national ou international mais non en droit européen.

 

Et les attaques n’ont pas manqué, de manière constante depuis plusieurs années. Les exemples sont légion et sous prétexte de simplification, ce sont toutes les règles de protection et de démocratie environnementale qui sont progressivement rabotées, voire supprimées. Ainsi, en droit interne, le récent projet de loi ASAP, repris dans la loi des pleins pouvoirs pour la santé publique de mars 2020, dont on retrouve le contenu à travers le pouvoir réglementaire, fait la promotion du rétrécissement du droit des études d’impact, supprime la procédure de consultation du public et dispense certains projets de l’application des normes environnementales.

NDLR : ASAP pour "accélération et simplification de l'action publique". 

Mais encore une fois ce n’est pas là le cas ni du droit de l’Union européenne, ni du droit de la Cour européenne de Strasbourg, qui restent fidèles et fermes sur leur position acquise depuis vingt ans. En particulier, la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne est extrêmement ferme sur le droit à l’information, sur les applications effectives du principe de précaution et sur les conditions de fonctionnement des organismes d’expertise communautaire.

 

Il faut espérer que cette montée en puissance de la Cour de justice de Luxembourg, comme de la Cour de Strasbourg, dissuade les États européens de s’engager plus avant dans des voies qui les conduiront à des condamnations devant ces juridictions. En attendant, la pression est très forte et les semaines qui viennent de s'écouler en portent de nombreuses illustrations.

Les instruments du droit de l’environnement de demain

Aujourd’hui, l’urgence climatique s’accélère et la crise engendrée par le Covid-19 a mis en lumière de nouveaux aspects de l’atteinte à la biodiversité et sur l’urgence à apporter à la réponse des problèmes que l’humanité va devoir affronter de plus en plus durement.

 

De fait, la question de la priorité des principes du droit de l’environnement et de la santé devient plus concrète, plus sensible et plus impérative. Il faut à cet égard noter que la question environnementale est de plus en plus conçue comme une question sanitaro-environnementale, les deux sujets ne pouvant être séparés. Ce n’est du reste pas un hasard si, au niveau communautaire, c’est la même commission du Parlement européen qui traite des deux sujets. Le vivant fait un tout, espèce humaine et autres espèces vivantes, de telle sorte que la question climatique, la question de la biodiversité et la question de la santé environnementale sont en réalité la même question : celle de la pérennité du vivant sous ses différentes formes.

 

Il n’est pas davantage étonnant dans ces conditions, qu’à l’échelle nationale, les sondages d’opinion les plus récents montrent que plus de 68 % des personnes interrogées en France sont prêtes à adopter un comportement favorable et éco-responsable dans le respect du développement durable, et que 77 % d’entre-elles estiment que la pandémie qui s’est répandue sur la surface de la terre en est l’occasion.

 

Le problème est que cette évidence n’est pas encore vraiment partagée par les décideurs de toute nature, de l’économie de la finance et de nos gouvernants ; c’est alors à la société civile, aux associations, aux collectivités publiques qu’il faut faire confiance.

 

Heureusement, de rares exceptions viennent confirmer la règle, que l’on se place au niveau du droit international et européen ou interne, car une ligne d’horizon du développement du droit, adaptée à la situation pratique que va devoir affronter l’humanité commence à apparaître.

 

La ligne générale est qu’il s’agit de renforcer de façon positive la prévention dans les différents domaines qui touchent à la question écologique dans ses rapports avec l’économie et la santé.

 

En ouvrant un champ de réflexion plus avancé sur les rapports entre la santé et l’environnement, et surtout en tentant de rassembler les différents fondements juridiques du droit de l’environnement, il faudra dégager une approche différente dans les systèmes juridiques les plus développés.

 

Ces différentes voies d’évolution semblent devoir être suivies pour nous faire évoluer entre une crise si spécifique qui, il faut le répéter, s’est révélée dans toute son ampleur mais cependant réversible, et celle qui vient, qui ne l’est pas du tout. Les avancées prévues concernent différemment le droit international, communautaire et les droits internes.

 

Sur le premier plan du droit international, la situation est catastrophique si l’on se place du point de vue de l’évolution des instruments multilatéraux et de l’absence de voies de recours ouvertes aux entités civiles. L’absence d’un tribunal international de l’environnement et de la santé, sous une forme civile et pénale, l’absence de texte international sanctionnant des comportements criminels sur le plan environnemental et, par voie de conséquence, l’impossibilité de mener quelque procédure que ce soit au niveau international, sont tellement inacceptables aujourd’hui que des solutions alternatives se mettent en place.

 

Le contentieux climatique, qui se développe massivement dans le monde, traduit une nouvelle alliance entre la société civile et les juridictions et permet grâce à la diffusion d’Internet, non seulement de comparer les décisions des différents juges nationaux saisis de ce type de question, mais aussi de donner au droit comparé une nouvelle force.

 

Nous assistons ainsi à la construction d’une nouvelle forme de droit international, construite non pas à partir d’accords internationaux, mais à partir d’interprétations cohérentes de grands principes faites par les juridictions nationales. Il en va notamment ainsi des études d’impact qui ont un effet direct et indirect sur les investissements mais aussi sur les standards à prendre en considération. Il en va de même des droits de l’Homme à l’environnement, fondés sur le droit à la santé et à la vie, ainsi que des devoirs d’absolue prévention effective mis à la charge des États. Et parallèlement, le contentieux climatique a ouvert la voie au contentieux sanitaire ; la justice sanitaire en particulier, en ce qui concerne la pollution chimique et les pesticides, commence en effet à s'imposer avec plusieurs milliers de procès lancés à l’encontre des grandes firmes agrochimiques et en particulier Bayer Monsanto. 

 

Enfin, dans un autre ordre d’idées, l'émergence de textes de droits souples comme la Déclaration universelle des droits de l’humanité, désormais reconnue par de très nombreuses collectivités publiques, ouvre de nouvelles approches à la construction du droit international.

 

Ces nouveaux outils internationaux, mais existants grâce aux droits nationaux, conduisent à la mise en place de très fortes évolutions tant au niveau de la planification qu’à celui du régime d’autorisation sur le plan de notre droit national.

 

De nouveaux instruments, tels que celui des sociétés de mission et du système de responsabilité sociale et environnementale ainsi que climatique, commencent à se répandre dans le droit des affaires et certains grands groupes industriels en ont carrément revendiqué l’initiative. De nouvelles obligations ont été créées en 2015 avec la loi sur la transition énergétique et la croissance verte (art. 173), obligations renforcées en 2019 avec la prise en compte des questions de biodiversité aux côtés de celles concernant le climat ; l’apparition de nouveaux instruments financiers, et surtout la prise en considération du risque environnemental par les investisseurs et les sociétés d’assurances, modifient considérablement à moyen terme les choix d’investissement.

 

Dans cette ligne d’évolution, la part la plus importante en revient au droit de l’Union européenne qui vise à rendre les États neutres du point de vue du bilan carbone pour 2050. Tous les secteurs de l’économie, selon la Commission européenne, devront passer à l’action s’agissant en particulier des technologies propres, des transports et de l’énergie. Par ailleurs, l’Union européenne prendra des initiatives et développera des actions internationales pour améliorer les normes environnementales : le plan contribuera à mobiliser 100 milliards d’euros pour la période 2021-2027 dans les régions les plus affectées.

 

Ce projet important se double de la recherche d’un nouveau cap pour la biodiversité (protection de 30 % des mers et des terres et réduction de moitié des usages de pesticides). Sans doute les textes ne sont pas encore votés, mais il y a là l’affirmation de nouveaux horizons à atteindre et l’esquisse des moyens à mettre en place pour y parvenir. Les débats actuels autour du Green deal européen témoignent d’une volonté nouvelle d’agir. Certes, il s’agit d’investissement et de financement mais ceux-ci seront accompagnés, bien entendu, de règles d’application qui sont sanctionnées. Et surtout, la nécessaire cohérence des actions publiques et privées ne devrait plus permettre d’autoriser des projets publics, ou privés, en contradiction flagrante avec les objectifs fixés. L’exemple rendu récemment par la cour d’appel de Londres à propos de l’aéroport d’Heathrow en est une parfaite illustration.

Et pour finir, une certitude : le droit de l'environnement a de beaux jours devant lui

Comme on le voit, la question de la responsabilité, qui a été à la source du droit de l’Union européenne, s’éloigne des préoccupations originales du droit de l’environnement qui ont été utiles en leur temps comme celle visant à réparer les dommages écologiques.

 

C’est en termes de précaution et de prévention qu’il faut désormais penser, ce qui signifie tout simplement introduire le long terme dans le droit et penser en termes d’externalités positives et négatives. 

 

Le droit de l’environnement de demain, qui continuera sa conquête dans toutes les Nations, de toutes les branches annexes du droit public ou du droit privé ou même du droit pénal, s’imposera de lui-même car nous n’avons plus le choix.

 

Les devoirs devront compléter voire prendre le dessus sur les droits et sur les privilèges acquis. La récente décision du Conseil constitutionnel, autorisant que priment le droit à la santé et à la vie sur la liberté du commerce, en est une illustration qui devrait s’appliquer également au droit de propriété.

 

Le vrai sujet sera celui de la combinaison des contraintes que les défis environnementaux nous imposent avec la liberté et la démocratie. Le droit de l’environnement, qui en réalité trouve son fondement dans l’humanité dans tous les sens du terme, devra se réinventer pour permettre aux principes démocratiques de persister dans toutes leurs forces dans ce sauvetage de l’humanité auquel nous sommes désormais tous appelés.

 

Le droit de l’environnement, même s’il ne s’agit plus de celui que l’on a connu il y a 40 ou 50 ans, a de beaux jours devant lui et les Éditions Législatives, sans aucun doute, découvriront tous les moyens pour le servir.

 

 

Corinne Lepage et Christian Huglo, avocats à la Cour, docteurs en droit

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