Quel regard portent les juristes sur la juridictionnalisation de la compliance ?

Quel regard portent les juristes sur la juridictionnalisation de la compliance ?

27.09.2021

Gestion d'entreprise

Comment le juge applique-t-il le droit de la compliance ? Quelles sont les difficultés éprouvées par les praticiens et les évolutions attendues ? Autant de questions évoquées lors d’une conférence organisée jeudi dernier par le Centre de recherche en droit de l'Université Paris Dauphine-PSL (CR2D) et le Journal of Regulation & Compliance (JoRC).

« On entre dans une compliance qui nous porte. Qui nous porte ? C’est le juge ! », lance Marie-Anne Frison-Roche, professeur à Sciences Po Paris et directrice du JoRC en ouverture du colloque. « C’est le droit constitutionnel, le droit des libertés publiques. Ce sont ces vieilles branches du droit, qui protègent les êtres humains qui vont fleurir et se développer. Ce qui va les porter, c’est le droit de la compliance, grâce aux questions qui seront posées par les avocats. Et le droit de la compliance, ça se passe dans l’office du juge ».  

Réviser les lignes directrices de l’AFA 

Pour Jean-François Bohnert, procureur national financier, cette « justice transactionnelle désarçonne » par sa modernité. Un « élan nouveau » qu’on doit à la loi Perben II, qui a créé la CRPC, et à la loi Sapin II qui a créé la CJIP. Pour faire face à ces nouveaux enjeux, « la pédagogie doit faire son œuvre ». « Il faut que la CJIP s’inscrive dans un cadre connu. En 2021, nous sommes déjà en train de réviser les lignes directrices de l’AFA car les besoins se font sentir ». Les avocats de la défense ont « mis le doigt sur de nombreux sujets » qu’il appartiendra au PNF de « prendre en compte », assure le magistrat.

Autre besoin identifié, celui de « l’équilibre ». « Nous ne faisons pas une CJIP dans notre coin.  Nous restons à l’écoute des avocats qui viennent nous suggérer l’entrée en négociation d’une CJIP. Cette recherche de l’équilibre, nous la faisons dans le respect des droits de la défense et de l’égalité des armes », soutient Jean-François Bohnert.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

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Communication des documents : des abus ?

« Des contrôles réalisés par l’AFA, il y en a 93 par an. Ils ne concernent pas que des banques et des multinationales. Les entreprises n’ont pas forcément les mêmes armes quand elles sont en négociation avec le PNF. L’équilibre peut se discuter », répond Sophie Scemla, avocate associée au sein du cabinet Gide.

L’avocate rappelle d’ailleurs que le Conseil d’Etat préconisait dans un rapport rendu public en juillet la mise en place d’un socle commun qui réunirait les règles et dispositifs de contrôle afin de permettre aux autorités d’harmoniser leurs pratiques. « Les règles sont disparates, les avocats le dénoncent depuis toujours », ajoute-t-elle. « L’AFA aide les entreprises à prévenir la corruption, publie des recommandations pour mettre en œuvre la loi, contrôle et sanctionne. Il y a là une espèce d’ambiguïté dans ce rôle », souligne l’avocate. « C’est assez choquant ».  

Une autre problématique selon elle concerne la communication des documents aux autorités.  Qu’il s’agisse de l’AFA, de l’AMF ou de l’ACPR, « le droit de communication est très étendu. Il n’y a pas de limite sur l’objet de la demande ». L’avocate regrette qu’il y ait « parfois des abus, d’autant plus graves qu’il existe des sanctions » en cas de refus de communication. « On ne peut pas parler d’équilibre et d’égalité des armes ».

Imposer le respect des règles fondamentales de droit processuel 

Se pose également « le problème de la reconnaissance du secret professionnel », estime Sophie Scemla. « C’est un combat qu’on mène auprès des entreprises. Quand elles reçoivent la visite d’une autorité administrative, il n’y a pas de limite. C’est très grave. On voit qu’au stade du contrôle, les autorités ne respectent pas forcément les droits de la défense. Il faut codifier et imposer le respect des règles fondamentales de droit processuel », réclame l’avocate. Un avis partagé par Jean-Michel Darrois, avocat à la Cour au sein du cabinet Darrois, Villey, Maillot, Brochier. « Les enquêtes de l’AMF sont régies par une charte », qui n’a « qu’un objet informatif et qui n’est pas d’aspect normatif ». Or, « le sentiment que l’on a à la lecture du document, c’est qu’il a été conçu - consciemment ou pas - pour faciliter le travail des enquêteurs ». A titre d’exemple, l’avocat cite l'absence d'encadrement de la durée des enquêtes.

Clarté et pédagogie

« On voit ces questions de droit processuel monter en entreprise », analyse Olivier Catherine, secrétaire général de Sonepar. « Avant, ce sujet concernait moins les praticiens de droit des affaires et de la conformité. Aujourd’hui, on voit un revirement complet. On constate une juridictionnalisation croissante de la vie des affaires ». Au sein du groupe, « tout est fait pour rendre intelligibles les règles que l’on crée. Ce qui compte, c’est la pédagogie. Le code de conduite, c’est la boussole qui guide nos 45 000 salariés ». Pour Olivier Catherine, les décisions des autorités doivent également être les plus intelligibles et les plus claires possibles.

Clarté et pédagogie, un objectif que s’est également fixé Alexandre Linden, conseiller honoraire à la Cour de cassation et président de la formation restreinte de la CNIL. « On essaye d’être le plus clair possible. On sait qu’on va être lu par de nombreuses personnes et en particulier par les responsables de traitement de la même branche » que la personne morale condamnée. Et si l'anonymisation des entreprises mises en cause n'est pas systématique, elle est utilisée de manière réfléchie. Même lorsque les décisions ne sont pas anonymisées, Alexandre Linden assure que toutes les informations ne sont pas conservées dans les décisions rendues publiques. « On peut supprimer le chiffre d’affaires, le nombre de clients, etc. ».Plusieurs critères sont pris en considération : la taille de l’organisme, le marché, etc. « Si le marché est émergent ou concurrentiel, nous n’allons pas stigmatiser l’un des acteurs », garantit ce dernier.  

Leslie Brassac
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