Quelle place pour la nouvelle CJIP environnementale (1) ?

Quelle place pour la nouvelle CJIP environnementale (1) ?

21.02.2021

Gestion d'entreprise

Depuis fin décembre, il est possible de négocier une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), sur le modèle de la CJIP anticorruption, en cas d’infraction environnementale. L’extension de l’outil est-elle intéressante ? Ou au contraire se révèle-t-il inadapté à ce type de contentieux ? Nous avons demandé leur point de vue à plusieurs avocats spécialistes de la justice pénale négociée. Voici le premier volet de notre série d’articles sur ce sujet.

Avec la promulgation de la loi parquet européen et justice pénale spécialisée, le 26 décembre 2020, une CJIP est mise en place au bénéfice des personnes morales passibles de délits ou d’infractions connexes prévues au code de l’environnement. Cette nouvelle CJIP environnementale figure à l’article 41-1-3 du code de procédure pénale, juste après celle introduite par la loi Sapin II en matière d’anticorruption (article 41-1-2 du code de procédure pénale). Elle a d’ailleurs été calquée sur le modèle Sapin II. Elle implique une négociation avec le parquet, notamment sur le quantum de l’amende d’intérêt public, une homologation par un juge, un éventuel monitoring de la personne morale sur 3 années maximum, mais permet surtout d’éviter une reconnaissance de culpabilité. Est-ce une bonne idée pour le contentieux environnemental ? Pas forcément pour certains conseils.

« Je ne suis pas certain que ce qui s’est fait pour la corruption ou le blanchiment de fraude fiscale soit transposable à notre matière qui est la délinquance environnementale. Mais c’est un objet d’étude intéressant », estime Benoit Denis, avocat of counsel chez Huglo Lepage, spécialiste du contentieux pénal de l’environnement (il a travaillé sur les dossiers Xynthia, algues vertes, ou encore Lubrizol). Même constat pour Xavier Delassault, directeur du département « règlement des contentieux », et du réseau « prévention & gestion du risque pénal », au sein du cabinet Fidal : « rien ne permet de dire que ce qui fonctionne pour la lutte anticorruption et pour la fraude fiscale va fonctionner pour le droit pénal de l’environnement ».

Des matières juridiques différentes

Les deux domaines juridiques ne seraient pas similaires selon ces avocats. « Dans de nombreux cas, les faits de corruption qui donnent lieu à poursuites sont établis. C’est encore plus vrai des faits de fraude fiscale. Par ailleurs, pour ces deux infractions le montant des condamnations peut être élevé. Il peut dès lors y avoir un intérêt pour les entreprises à s’éviter un procès dont l’issue est prévisible en régularisant une CJIP. En matière environnementale, la situation est différente. Les éléments factuels sont rarement établis avec précision, la qualification pénale de l’infraction est souvent délicate car la matière est très normée et surtout le montant des amendes encourues et plus encore celles prononcées est rarement élevé », explique Xavier Delassault qui conseille de nombreuses entreprises industrielles, notamment dans les secteurs de l’automobile et du BTP. Avant de poursuivre « dès lors, l’intérêt pour l’entreprise d’accepter le principe d’une CJIP est a priori discutable, d’autant que cette dernière expose à une amende d’intérêt public qui peut s’élever à 30 % du chiffre d’affaires, outre l’obligation de réparation du préjudice écologique. Or, pour que le principe d’une CJIP fonctionne, il faut que l’entreprise y trouve un intérêt, ce qui n’est pas en l’espèce évident ».

« Cette CJIP étendue à l’environnement, c’est une bonne chose »

Il faut toutefois revenir quelques années en arrière. Avant l’adoption de la loi Sapin II, le droit français n’était pas suffisamment efficace en matière d’anticorruption. C’est cette loi qui a créé la CJIP sur le modèle de la procédure anglo-saxonne de deferred prosecution agreement (DPA). « La CJIP a été introduite en France en matière d’anticorruption à un moment où il n’existait quasiment pas de procédures ouvertes dans notre pays contre ce type d’infractions, particulièrement lorsque les faits concernaient plusieurs états. Elles étaient remplacées par des procédures extraterritoriales américaines imposées à la France », rappelle Capucine Lanta de Bérard, avocate pénaliste associée du cabinet Soulez-Larivière Avocats qui intervient depuis plusieurs années dans des affaires de corruption internationale, en droit pénal des affaires et en droit pénal de la santé publique. « La CJIP a permis de mieux appréhender ce type d’affaires. C’est un nouvel outil, parmi d’autres, de l’arsenal pénal à la disposition du procureur de la République et des parties. Cette CJIP étendue à l’environnement, c’est une bonne chose », estime Me Lanta de Bérard qui a aussi travaillé sur le dossier AZF. L’inefficacité du droit serait donc, au contraire, un terrain propice à la justice négociée.

« Le fait que cette technique se développe sur d’autres sujets que l’anticorruption est intéressant et renoue avec l’histoire », complète Daniel Soulez Larivière, avocat fondateur du cabinet Soulez-Larivière Avocats, spécialiste du droit pénal des affaires. « A l’origine, la procédure de DPA était utilisée aux Etats-Unis dans les affaires de délinquance juvénile. Ceci prouve que les accords négociés ne s’appliquent pas qu’à des affaires économiques. Cette procédure est née de la volonté d’une efficacité juste », rappelle celui qui a traité de nombreuses affaires majeures à dimension internationale (Rainbow Warrior, Concorde, Erika, AZF, etc.).

Et la justice négociée ne serait pas une pratique contraire à un contentieux technique. Au contraire… « Le droit de l’environnement est excessivement normé et d’abord une matière de police administrative. La caractérisation des infractions est un exercice parfois complexe, et ce d’autant plus qu’il appartient au juge pénal, outre de caractériser les faits et de les qualifier, d’interpréter les actes administratifs mais également de se prononcer sur leur légalité si la question est introduite dans les débats par la personne poursuivie. Le mécanisme de CJIP permet au parquet de passer outre cet exercice, selon une approche similaire à la CRPC », explique Antoine Carpentier, avocat associé chez Fidal, spécialiste en droit de l’environnement. La CJIP pourrait donc se révéler utile face à un contentieux ardu.

Un contentieux pénal environnemental qui s’étoffe

« On ne peut pas faire le pari de l’incompétence ou de l’insuffisance des moyens des autorités de régulation de protection de l’environnement pour se dire qu’on ne sera pas condamné. Cela semble relever de la roulette russe. C’est un calcul court-termiste », résume Emmanuel Daoud, avocat associé chez Vigo, spécialisé en droit pénal des affaires et en compliance. Il est l’un des avocats de l’ONG « Notre affaire à tous » dans l’« Affaire du siècle », procès qui a abouti, le 3 février dernier, à la condamnation de l’Etat pour « carence fautive » du fait du non-respect des engagements de la France en matière de réduction des gaz à effet de serre. « Le calcul ne tient pas compte de l’évolution sociétale. Les entreprises ayant des dirigeants soucieux de la protection de l’environnement, qui veulent attirer les meilleurs talents, ne vont pas s’amuser à développer des stratégies d’évitement ou de filouterie ou des comportements relevant de la criminalité organisée. Cela n’a aucun sens. Les dernières décisions rendues par le Conseil d’Etat dans l’affaire Grande-Synthe ou le tribunal administratif de Paris dans l’Affaire du siècle montrent qu’on est dans un nouveau paradigme ».

« La CJIP en matière environnementale arrive au bon moment », estime de son côté Daniel Soulez Larivière. « En France l’inflation pénale est en augmentation beaucoup plus que dans d’autres pays. Cela peut être un moyen de régler des contentieux sans galopade pénale exagérée ».  

Mais la CJIP Sapin II aurait-elle vraiment porté ses fruits ? « Nous avons assez peu de recul sur la CJIP qui a été créée en 2016 [par la loi Sapin II, ndlr] et étendue en 2018 [à la fraude fiscale par la loi d’octobre 2018, ndlr]. A ma connaissance une dizaine a été régularisée pour le moment. Ce n’est pas beaucoup au final », analyse Me Delassault.

La CJIP implique une auto-accusation

Est-ce un problème culturel ? La CJIP, d’inspiration anglo-saxonne, peut-elle rentrer dans le cadre de l’enquête pénale française ? « Le parquet a récemment indiqué qu’il attendait de la CJIP qu’elle soit une sorte d’auto-accusation : que l’entreprise participe activement à la démonstration des faits et donc à l’élaboration de l’accusation. En contrepartie, le parquet pourrait recourir à cette alternative aux poursuites qui permet de ne pas aboutir à une condamnation au sens pénal du terme avec une inscription sur le casier judiciaire », poursuit-il. En France, « habituellement, on attend du parquet qu’il justifie les faits, qu’il les qualifie et du prévenu qu’il apporte en défense la contradiction. Ici, ce serait une nouvelle manière d’appréhender les choses qui rend de mon point de vue difficile l’analyse de ce que l’outil va devenir ». Un point de vue qui n’est pas partagé par tous…


 
Sophie Bridier

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