Quelle place pour la nouvelle CJIP environnementale (2) ?

Quelle place pour la nouvelle CJIP environnementale (2) ?

22.02.2021

Gestion d'entreprise

Depuis fin décembre, il est possible de négocier une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en cas d’infraction environnementale. L’outil révélera-t-il toute sa puissance une fois que le droit pénal de l’environnement sera renforcé avec l’adoption de la loi issue de la Convention citoyenne pour le climat ? Six conseils nous répondent dans le deuxième volet de notre série d’articles sur la CJIP dédiée à l’environnement.

Le droit pénal de l’environnement manquerait d’efficacité. Surtout, le montant des peines encourues serait, dans la grande majorité des cas, loin de la barre de 30 % du chiffres d’affaires que le parquet peut viser en cas de négociation d’une CJIP avec une personne morale (selon l’article 41-1-3 du code de procédure pénale). Un contexte qui jouerait contre le développement du nouvel outil introduit par la loi relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée du 24 décembre 2020.

Mais il faut se projeter dans l’avenir. Le projet de loi issu des débats menés dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat - actuellement examiné à l’Assemblée national - pourrait conduire à de nouvelles peines en cas de mise en danger de l’environnement (délit qui serait passible de 3 ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au triple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction). Ainsi qu’à un renforcement du délit général de pollution, qui dans un cas particulièrement grave pourrait même être qualifié d’écocide (délit alors passible de 10 ans d’emprisonnement et de 4,5 millions d’euros, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction (voir le titre VI du projet)). Ces nouveaux « barèmes », s’ils sont votés par le Parlement, pourraient alors dépasser l’amende d’intérêt public susceptible d’être arrêtée en cas de CJIP. Et rendre la convention attractive…

« Le renforcement des sanctions ne peut qu’inciter à l’utilisation de la CJIP », confirme Benoît Denis, avocat of counsel chez Huglo Lepage, spécialiste du contentieux pénal de l’environnement. Xavier Delassault, directeur du département « règlement des contentieux » et du réseau « prévention & gestion du risque pénal » au sein du cabinet Fidal, est du même avis : si le contentieux pénal se développe « et entraine une hausse des condamnations, la CJIP finira sans doute par avoir un intérêt ».

« J’y vois une petite volonté d’affichage de la part du gouvernement »

Mais Benoît Denis s’ « interroge sur la création de la mise en danger de l’environnement. La mise en danger d’autrui est un délit puni d’un an d’emprisonnement. La mise en danger de l’environnement pourrait aller jusqu’à 3 ans. J’ai du mal à admettre que l’on puisse punir plus lourdement la mise en danger de l’environnement que celle de la vie humaine. Et aujourd’hui nous avons énormément de difficultés à obtenir une condamnation pour mise en danger de la vie d’autrui. C’est extrêmement compliqué : il faut notamment qu’il y ait violation d’une obligation particulière de sécurité. J’ai peur qu’en matière environnementale cela ne soit guère plus facile. J’y vois une petite volonté d’affichage de la part du gouvernement », poursuit celui qui a travaillé sur les dossiers Xynthia, algues vertes, ou encore Lubrizol.

Il faudrait aussi s’attaquer au défaut de connaissance du droit de l’environnement. « Il est fréquent dans nos dossiers de voir des qualifications qui auraient pu être envisagées mais qui ne le sont pas. Car il y a un manque de moyen et de formation des juges et des parquets à la matière environnementale. Et la réforme ne prévoit pas la création d’une agence ou d’un parquet spécialisé, comme l’AFA et le PNF sur la question de l’anticorruption », regrette Benoît Denis.

La loi du 24 décembre 2020 prévoit néanmoins la mise en place de juridictions spécialisées sur le contentieux général de l’environnement. Concrètement, dans le ressort de chaque cour d’appel, un tribunal judiciaire deviendra territorialement compétent pour traiter, au pénal et au civil, le contentieux général de l’environnement. Un décret doit être publié dans l’année pour désigner ces tribunaux. Ils viendront s’ajouter aux juridictions déjà compétentes en matière de droit de l’environnement.

L’effet des nouvelles juridictions spécialisées

Dans ce cadre, « il peut y avoir un renforcement réel de la protection de l’environnement et du climat au travers de cette CJIP », estime Emmanuel, avocat associé chez Vigo, spécialisé en droit pénal des affaires et en compliance. « Il va y avoir des juridictions spécialisées - parquet, juge d’instruction, juridiction de jugement -. On aura l’accompagnement du ministère de l’environnement et l’extension des prérogatives des inspecteurs du ministère - ils auront la possibilité d’assister les officiers de police judiciaire dans le cadre des actes auxquels ils procèdent -. Et ils détiendront les mêmes prérogatives que ces enquêteurs lorsqu’ils seront saisis sur réquisition du procureur de la république ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction. Tout cela couplé à l’expertise des associations environnementales, je pense que l’outil CJIP donnera de très bons résultats quant à la protection de l’environnement », poursuit l’avocat qui défend - avec d’autres confrères - l’ONG « Notre affaire à tous » dans l’« Affaire du siècle ».

« Peut-être que dans un an, avec la spécialisation des juridictions, nous verrons les choses différemment. Cette spécialisation va peut-être entrainer le développement de ce contentieux pénal pour le moment très limité », résume Xavier Delassault.

Les critères de la CJIP

Mais toutes les affaires ne donneront pas lieu à des CJIP, analysent les conseils. « Les sociétés et le parquet n’ont pas toujours intérêt à négocier une CJIP. Certaines affaires s’y prêtent d’autres non », avance Capucine Lanta de Bérard, avocate pénaliste associée du cabinet Soulez-Larivière Avocats qui intervient depuis plusieurs années dans des affaires de corruption internationale. Pourquoi ? « La CJIP ne fonctionne pas lorsque pour la défense la question en jeu est une question de principe », complète Daniel Soulez Larivière, avocat fondateur du cabinet Soulez-Larivière Avocats, spécialiste du droit pénal des affaires. « Par exemple, dans le dossier Erika, il y avait une question juridique de principe (celle de savoir, en cas de sinistre, qui devait être responsable : l’utilisateur ou le bureau de certification. Se posait également la question de l’interprétation des conventions internationales) », explique celui qui a défendu Total dans cette affaire. 

Alors quand tenter le coup ? « En général, le prévenu virtuel a conscience que quelque chose ne va pas et il veut en sortir le moins mal et le plus vite possible. Coté parquet, l’affaire n’est pas simple et pas totalement claire. Dans ce cas, il est intéressant pour les deux parties de trouver un accord qui ne soit pas une reconnaissance de culpabilité. Ces critères peuvent emporter un grand nombre de contentieux. Sauf si on est sur une question de principe ou que le parquet considère qu’il faut faire "un exemple" du dossier », analyse Me Soulez Larivière.

« Un fusil à un coup »

La CJIP reste en tout état de cause « un fusil à un coup », rappelle Capucine Lanta de Bérard. « La société n’aura qu’une seule occasion d’en conclure une, ce qui limite tout abus dans son utilisation. C’est un moyen de venir à bout, par exemple, d’une situation du passé qui ne reflète plus la situation actuelle d’une personne morale ». 

S’acquitter des infractions du passé

Une analyse qui est aussi celle de Benoît Denis : « L’objectif de l’outil est d’aller vite, en toute discrétion, dans la répression d’infractions complexes. Il peut être très intéressant lorsqu’une entreprise change d’actionnariat, de dirigeants et que l’on s’aperçoit que les comportements de l’ancienne équipe ne correspondent plus aux valeurs de l’entreprise. Dans ce cas, pourquoi ne pas prendre les devants et proposer au parquet de négocier une CJIP. Une convention proposée en cours d’instruction peut aussi être intéressante ». 

Même constat pour Xavier Delassault : « Quand on analyse les CJIP pour l’instant régularisées, il apparaît que les situations délictueuses sont en réalité découvertes par l’entreprise à l’occasion d’un rachat, d’un changement de dirigeant, etc. Dans ces situations, il peut être judicieux de solder les comptes et d’éviter des poursuites pouvant nuire à l’image de l’entreprise. Mais, ce faisant, on expose la responsabilité du cédant ou de l’ancien dirigeant ».

Et face à quel type d’infraction se lancer ? « Cela pourrait être intéressant en cas d’atteinte importante à l’environnement qui résulterait d’un manquement à une mise en demeure de respecter certaines obligations. Au contraire, sur une pollution complètement accidentelle d’un cours d’eau, je suis plus mesuré », indique Me Delassault qui conseille de nombreuses entreprises industrielles, notamment dans les secteurs de l’automobile et du BTP.

Emmanuel Daoud, lui, anticipe de futures belles années pour la CJIP : « Face à l’aggravation des sanctions, face à la création de nouvelles incriminations et donc face à l’augmentation du risque pénal pour les entreprises, à partir du moment où elles seront mises en cause, et que l’analyse des risques démontrera que la procédure pénale va durer des années, que les noms des sociétés seront jetés en pâture – à juste titre ou à tort – dans la presse, qu’elles ont des probabilités d’être condamnées, je pense qu’elles auront intérêt à se saisir de l’outil CJIP » ! 

 

 

Sophie Bridier

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