Quelle place pour la nouvelle CJIP environnementale (3)

Quelle place pour la nouvelle CJIP environnementale (3)

23.02.2021

Gestion d'entreprise

Depuis fin décembre, il est possible de négocier une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en cas d’infraction environnementale. L’outil présente certaines limites que nous dessinent six avocats. Ils appellent de leurs vœux des précisions.

La CJIP environnementale, qui sera débattue entre les personnes morales et les parquets, nourrit plusieurs réflexions. Tout comme la loi Sapin II, le texte relatif au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée - qui crée la CJIP environnementale à l’article 41-1-3 du code de procédure pénale - évoque un programme de conformité imposé aux signataires sur trois années maximum, qui sera contrôlé par les services du ministère de l’environnement. Un programme qui suscite des réactions.

Définir le monitoring avec l’administration

« Il faudrait idéalement que l’exploitant qui s’engage dans une CJIP puisse également avoir comme interlocuteur l’administration [en plus du parquet, ndlr] pour savoir « à quelle sauce il va être mangé » au plan administratif, notamment dans le cadre du plan de conformité qui lui sera demandé », analyse Benoît Denis, avocat of counsel chez Huglo Lepage, spécialiste du contentieux pénal de l’environnement. Car il « voit difficilement l’administration - les directions régionales de l’environnement (dreal) - ne pas se saisir des CJIP publiées pour en tirer les conséquences au plan administratif ».

Autre point important, « les bureaux d’études qui seront mandatés par le ministère de l’environnement, et seront les bras armés de l’administration pour aider au suivi, seront rémunérés par l’exploitant. C’est extrêmement stratégique. Il va falloir bien cadrer leur déontologie en s’assurant de l’absence totale de conflits d’intérêts. Car il n’existe pas beaucoup de bureaux d’études sur le marché… » selon Benoît Denis qui « espère que ce point sera réglé par les décrets ».

Attention aux retombées sur le plan civil

La loi du 24 décembre 2020 prévoit aussi une publicité élargie des CJIP homologuées par le juge. « Le texte prévoit que la CJIP est publiée sur le site internet du ministère de la justice. Mieux en matière environnementale cette publicité est élargie aux sites internet du ministère de l’environnement et aussi de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise. Ainsi l’information va être donnée aux riverains, aux associations de l’environnement, etc…lesquels vont pouvoir formaliser des demandes indemnitaires », prévient Xavier Delassault, directeur du département « règlement des contentieux » et du réseau « prévention & gestion du risque pénal » au sein du cabinet Fidal.

Des actions civiles qui pourraient s’avérer bien plus redoutables qu’en matière d’anticorruption : « Il y a plus d’infractions environnementales que de problèmes de corruption et les victimes sont plus nombreuses et diverses. Cela peut être les voisins, les associations de défense de l’environnement, des fournisseurs, des prestataires, des salariés, etc. », complète Benoît Denis, qui a travaillé sur les dossiers Xynthia, algues vertes, ou encore Lubrizol. « En matière de corruption il est possible de cerner ce risque civil. Mais en matière environnementale bien malin est celui qui connaît le coût d’une dépollution et quel sera exactement le nombre de victimes », analyse aussi Xavier Delassault qui conseille de nombreuses entreprises industrielles, notamment dans les secteurs de l’automobile et du BTP.

Comment faire pour éviter le juge civil ? « Il faudra que les premières CJIP publiées n’oublient pas ce volet là pour éviter que le contentieux rebondisse au civil car si les droits des victimes ne sont pas suffisamment pris en compte, cela sera inévitable », prévient Benoît Denis.

Le texte prévoit toutefois « la réparation du préjudice écologique » par la CJIP. Et lorsque la victime est identifiée, la convention doit aussi prévoir le montant et les modalités de réparation du dommage dans un délai d’un an », rappelle Emmanuel Daoud, avocat associé chez Vigo spécialisé en droit pénal des affaires et en compliance. « L’emploi du terme « préjudice écologique » n’est pas neutre, puisqu’il s’agit du vocable employé aux articles 1246 et suivants du code civil, qui a crée un régime de responsabilité civile spécifique pour lequel l’action est ouverte à un nombre limité de personnes en vue de réparer les « atteintes non négligeables aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement » », rappelle Antoine Carpentier, avocat associé chez Fidal, spécialiste en droit de l’environnement. . 

« Cela veut donc dire que pour la mise en œuvre de cette CJIP environnementale il va y avoir un dialogue constant [du parquet, ndlr] avec les associations spécialisées et les victimes. Elles seront sollicitées pour évaluer le préjudice écologique et celui plus direct de telle ou telle victime », estime Emmanuel Daoud.

« Un dommage écologique reste rarement clandestin »

Mais comment faire, la CJIP étant par nature négociée en toute confidentialité… « Un dommage écologique reste rarement clandestin. A partir du moment où il survient et qu’une procédure pénale est enclenchée cela veut dire qu’un procureur de la république voire un juge d’instruction sont désignés. Tout cela se sait. A ce moment-là, les associations, par l’intermédiaire d’un avocat, ne doivent pas hésiter à aller se manifester auprès du parquet en tant que victimes », conseille Me Daoud. « Je vois mal les parquets se priver de l’expertise des associations concernées et ne pas prendre en considération leurs demandes »…

Leur rôle reste toutefois flou : « Certaines associations trouvent gênant que les parties civiles ne participent pas aux négociations. Mais en matière pénale, dans le cadre du procès, c’est au procureur de requérir la peine, c’est son rôle et pas celui des parties civiles. Il est donc naturel que le législateur n’ait pas prévu que les victimes participent aux discussions concernant la peine d’intérêt public », estime Capucine Lanta de Bérard, avocate pénaliste associée du cabinet Soulez-Larivière Avocats qui intervient depuis plusieurs années dans des affaires de corruption internationale. « Ces associations demandent en réalité un rôle de procureur privé ».

« L’obstruction » des dirigeants

Les avocats pointent une dernière difficulté propre à l’ensemble des CJIP, qu’elles aient lieu en anticorruption, en fraude fiscale, ou pour absorber le contentieux environnemental. « Ce qui me gêne c’est les répercussions sur les personnes physiques du processus de CJIP engagé par une personne morale. Elle ne reconnait pas l’infraction mais elle admet des faits dont on peut tirer des conséquences à l’encontre des personnes physiques. Cela risque de bloquer le processus d’enquête interne pouvant permettre à la personne morale d’aboutir à une CJIP. Car les personnes physiques bien informées devraient avoir tendance à essayer d’éviter de s’auto-incriminer dans le cadre de l’enquête interne. Elles pourraient faire de l’obstruction. », lance Benoît Denis.

Mais le souci peut être inverse et « accentué dans les affaires où la procédure est alimentée principalement par l’enquête interne de la personne morale, parfois menée en l’absence de garanties procédurales adéquates. Vous pouvez alors avoir une orientation de l’affaire par la société. Et dans ces cas-là on peut s’interroger sur le fait de savoir si on est proche de la manifestation de la vérité », évoque Capucine Lanta de Bérard.

« Il serait souhaitable d’introduire davantage de contradictoire dans ce type d’affaires, afin que les personnes suspectées puissent prendre connaissance du dossier et faire valoir leur point de vue avant la conclusion éventuelle d’un accord. Cette faculté procédurale existe dans le cadre de l’enquête préliminaire mais elle est encore trop peu employée par le parquet. Cela permettrait pourtant aux autorités d’avoir une vision plus nette de la situation », poursuit Me de Bérard. « Si l’enquête pénale est en quelque sorte « déléguée » à la personne morale on risque des surprises. C’est un vrai problème qu’il faudra régler un jour ou l’autre ».  

La problématique est aussi évoquée par Daniel Soulez Larivière, avocat fondateur du cabinet Soulez-Larivière Avocats, spécialiste du droit pénal des affaires. « Le problème de la CJIP comme du DPA c’est le sort des personnes physiques. Aux Etats-Unis il y a quelques années, dans une affaire ayant donné lieu à un DPA avec une entreprise, et aux poursuites de personnes physiques devant le juge pénal, des juges ont estimé que ces personnes ne pouvaient pas être jugées dans des conditions de fair trial après un DPA ». Il poursuit : « En France, dans ces affaires, des CRPC sont parfois proposées aux personnes physiques ».

Une solution également préconisée par Benoît Denis :« Il serait vertueux de trouver un système qui permette à la fois à la personne morale et aux personnes physiques d’entrer dans un règlement négocié du litige ». Il « regrette d'ailleurs que la loi parquet européen n’ait pas permis de régler cette difficulté »…

Sophie Bridier

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