Si l’exécutif affiche un réel volontarisme en matière de réindustrialisation, le chemin reste encore long. Pour les deux auteurs, Emmanuel Gastineau, consultant Secafi et Patrick Taler, consultant Sémaphores, associé groupe Alpha, les projets feront la part belle à l’automatisation et aux équipements connectés. D’où la nécessité d’accompagner et de former les salariés pour les préparer aux métiers de demain.
La revitalisation de notre appareil productif et la restauration de notre souveraineté nationale sont intimement associées dans la presse et considérées comme une impérieuse nécessité. Mais est-ce possible ? Le déplacement massif des productions ces 20 dernières années a entraîné celui de chaînes logistiques d’approvisionnement, aujourd’hui également critique. Plus on a réduit nos capacités industrielles, plus le besoin de compétences associées a diminué et moins l’offre de formation se développe… Où trouver aujourd’hui des techniciens salles blanches ou des électromécaniciens ?
Au plan mondial, les emplois industriels sont en croissance régulière depuis les années 2000. Ils représentent 22,7 % du total des emplois en 2019 (source : OIT, Banque Mondiale). L’Union européenne apparaît en bonne place avec une proportion de 25 % du total de ses emplois consacrés à l’industrie. La France n’affiche, quant à elle, que 20 % d’emplois industriels. Elle est bien en deçà de la moyenne de l’UE et trois points en-dessous de celle de l’OCDE. A l’inverse de la tendance mondiale, le déclin de l’emploi industriel français s’est durablement incrusté depuis 25 ans. La part de la valeur ajoutée produite par l’industrie dans notre PIB a ainsi perdu 15 points sur 20 ans pour ne plus représenter que 16,5 % de ce dernier en 2020.
L’enjeu de la réindustrialisation n’est donc pas nouveau pour notre pays. Il a ressurgi du fait des carences d’approvisionnement en matériels de santé lors de la crise sanitaire, soulignant l’évidence d’une perte d’autonomie et notre forte dépendance aux autres pays, pour les masques de protection comme pour les médicaments de base.
Expliquer cette réalité nécessiterait une analyse comparée des stratégies adoptées par les acteurs industriels de chaque filière sur les 25 dernières années. Sans aller jusque-là, cette tendance décriée aujourd’hui a-t-elle conduit à un déclassement économique français ? Définitivement non, la France compte 31 des 100 premières entreprises mondiales (4e rang mondial devant l’Allemagne). Ces grandes entreprises affichent des performances records ces dernières années. Les entreprises du CAC 40 ont augmenté leurs distributions aux actionnaires de + 62 % en dix ans. Mais, contrairement à l’Allemagne, la France et, notamment, sa production ne sont pas des priorités pour nos champions nationaux. 70 % de leur chiffre d'affaires sont réalisés à l'étranger et ils y localisent deux tiers de leurs effectifs. Ce n’est pas de leur côté que viendront, a priori, les premières solutions de réindustrialisation.
Qu’en est-il des entreprises de taille moyennes ? Notre tissu industriel en compte malheureusement trop peu. Elles sont beaucoup plus présentes chez nos voisins allemands et elles participent de l’importance du tissu industriel allemand (27 % de l’emploi). Cette différence notable découle de choix stratégiques politiques et économiques. S’y ajoute l’effet domino des délocalisations, les donneurs d’ordres entraînant dans leurs sillages les sous-traitants, "invités à suivre". Ce qui se conçoit peu lorsque l’objectif est de relocaliser…
Que dire des petites et moyennes entreprises françaises, socle estimé et estimable de notre tissu économique ? Elles affichent une plus forte propension à investir dans la modernisation de leur outil de production. Pourtant, leur dynamisme ne permet pas d’inverser les courbes.
Il reste les investissements directs étrangers. Pour une société étrangère, la localisation de nouvelles capacités industrielles dépend d’une équation multicritère dont le résultat doit être la capacité à produire un maximum au moindre coût, avec la meilleure qualité et dans les meilleurs délais. De nombreux facteurs, comme la qualité des infrastructures, la disponibilité des compétences ou les incitations locales d’accueil, participent de la décision.
Depuis plusieurs années, la France investit dans des politiques de promotion de l’attractivité de ses territoires et d’aides aux entreprises. L’attraction de nouveaux investisseurs ou le seul maintien de sites industriels en activité s’opère via une multiplicité de dispositifs de soutien : allègements, crédits ou déductions d'impôts ou encore dispositifs de revitalisation… Pourtant, force est de constater que cela n’a pas permis de compenser le processus de délocalisation à l’œuvre. Mais, surtout, elles n’ont pas été compensées par des productions innovantes. L’absence d’une politique industrielle structurée autour de priorités stratégiques visant à satisfaire des besoins sociétaux a eu sa part de responsabilité. De ce point de vue, les plans sectoriels faisant partie des plans de relance récents constituent une réponse aux multiples dispositifs qui se sont succédé aux cours des vingt dernières années mais leur insuffisante articulation et leur priorisation interrogent : à force de saupoudrage, l’objectif est-il atteint ?
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
La relocalisation implique une démarche inverse à celle vécue ces dernières années, à savoir faire revenir la production délocalisée… Pour quelles raisons les industriels feraient-ils ces choix ?
Il n’y a pas d’intérêt financier évident à le faire pour les industriels. Ils ont investi des capitaux pour créer des usines dans les pays émergents pour des raisons diverses, comme bénéficier de conditions avantageuses, qu’elles soient fiscales ou sociales, parfois en compétences, ou permettre l’accès à un marché local. Seuls de sérieux motifs conduiraient les groupes industriels à retransférer leurs outils en France… Qui financera la relocalisation ? Quel bénéfice financier pourront-ils présenter à leurs actionnaires pour justifier cette opération ?
Il n’y a pas de raison commerciale évidente non plus. Contrairement à d’autres zones dans le monde, la France n’applique pas de clauses de préférence nationale ou locale. Dans tous les cas, il n’y a pas de choix assumés.
En termes de contraintes, celle du climat reste encore lointaine. L’Europe a certes présenté, le 14 juillet 2021, un projet de taxe carbone aux frontières. Ce type de mesure pourrait constituer une incitation à la relocalisation. Mais, à ce stade, son hypothétique entrée en vigueur ne serait envisagée qu’à partir de 2026. Aujourd’hui, la contrainte climatique va même plutôt à l’encontre de la relocalisation, en nuisant à la compétitivité (quotas de CO2 appliqués en Europe ou Stratégie nationale bas carbone qui vise à la baisse des émissions sur le territoire national).
La stratégie de soutien aux entreprises s’est encore renforcée avec la Covid (dispositifs France Relance, Business France, etc.). Poussées par le ministère de l’économie et déclinées jusqu’aux communautés de communes, les actions sont pilotées par les régions, promues chefs de file du développement économique. Les activités labellisées "Economie circulaire" ou respectueuses de l’environnement semblent aujourd’hui clairement plébiscitées par ces politiques. Le verdissement est l’un des marqueurs forts devant caractériser tout mouvement de relocalisation. Sur ce plan, la politique du gouvernement affiche un réel volontarisme.
Les fonds d’investissement, dont la finalité affichée vise à favoriser le développement d’une économie durable (Fonds "ESG" pour Environnement-social-gouvernance), croissent de façon plus importante que celle de leurs cousins traditionnels (+50 % des flux annuels en 2020). Cette tendance positive est salutaire mais reste insuffisante. Pour mémoire, ces fonds ne représentaient encore que 7 % de la valeur totale des fonds d’investissement fin 2021…
De notre point de vue, l’appétence sociétale pour un système plus durable et les incitations pourraient conduire à une relocalisation d’activité alignée avec ces valeurs. Elles ne représenteront néanmoins en l’état qu’une part malheureusement minoritaire des projets.
Quelles que soient les attentes sociétales, les décideurs se baseront sur une recherche de performance économique. Les écarts de salaires entre la France et les pays émergents constitueront toujours un frein à la réimplantation d’activités industrielles à forte composante de main-d’œuvre. De ce point de vue, la poursuite de la baisse des impôts de production ne produirait que des effets limités. Selon nous, les éventuels projets de réimplantation feront la part belle à l’automatisation, aux équipements connectés, aux véhicules d’approvisionnement et de convoyage autonomes de type AMR (Autonomous mobile robots)...
On notera d’ailleurs que, dans ce domaine, la France est en retard, notamment par rapport aux industries japonaises et allemandes. Néanmoins, sous l’impulsion de multiples dispositifs incitatifs en faveur de l’industrie 4.0, la France cherche à se rattraper et voit ses volumes d’équipements robotisés et automatismes augmenter de 15 %, contre 12 % au niveau mondial (*).
A l’aune des programmes actuels, on est bien en peine de trouver une ambition réelle pour inverser la tendance actuelle et accompagner, selon un rythme soutenu, la réindustrialisation de la France. La part des projets durables est minoritaire. Elle pourrait n’engendrer que peu d’emplois. Ces créations souhaitables ne seront pas suffisantes pour compenser la perte des emplois industriels liés à la transition écologique. A titre d’illustration, le "Shift Project" (**) estime que l’électrification du secteur automobile pourrait conduire à la perte de 370 000 emplois.
Une évaluation de la performance des politiques publiques engagées et une analyse de la stratégie industrielle des acteurs des territoires sont indispensables. Seule cette phase de diagnostic permettra de concevoir des nouveaux dispositifs opérants, selon un mode reconnu : état des lieux de l’existant, diagnostic, plan d’action.
Les entreprises doivent parallèlement renforcer leur attractivité, en repensant, en premier lieu, leur raison d’être et en adaptant, en deuxième lieu, leurs modèles de fonctionnement dans une société désormais touchée par des crises sanitaires et climatiques. Demain ne doit définitivement pas être le pendant rafistolé d’hier et d’aujourd’hui. Notre société, désormais majoritairement tertiarisée, a engendré de nouvelles attentes en termes de sens et d’équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Celles-ci semblent s’opposer aux a priori liés aux métiers d’usines. Il faut casser ces vieux réflexes et revoir les conditions de l’attractivité dans un nouveau monde. Les efforts actuels pour remettre en évidence le sens et l’intérêt de prendre part à l’œuvre industrielle sont évidemment salutaires, mais ils doivent être intensifiés à l’aune du diagnostic de terrain.
Ensemble, entreprises et collectivités doivent réinvestir fortement dans l’identification des métiers porteurs et l’évolution des compétences. Les filières industrielles comptent aujourd’hui un trop grand nombre de métiers en tension et un fort besoin d’adaptation de leurs compétences. Cette réalité nuit à tout projet de développement industriel ou de relocalisation. La possibilité offerte aux entreprises de créer leurs propres centres de formation est une bonne chose. Elle doit se concrétiser. Derrière le concept de réindustrialisation se cache un capital humain qu’il faut préserver, accompagner et former pour attirer, sur leurs talents et savoir-faire, des investisseurs et mobiliser sur les métiers de demain.
(*) IRF : Fédération internationale de robotique
(**) Think tank qui œuvre en faveur d'une économie libérée de la contrainte carbone.
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