Quelles négociations collectives pour accompagner la crise du Covid-19 ?

Quelles négociations collectives pour accompagner la crise du Covid-19 ?

03.04.2020

Gestion du personnel

Prise de congés payés, modulation du temps de travail, rémunération, formation… Les négociations liées à la crise sanitaire risquent d’éclipser toutes les autres discussions en cours. Le dialogue social se diversifie pour faire face à la baisse d’activité. Le point sur les thématiques à aborder avec Marie Bouny, directrice de la practice Performance sociale au sein du cabinet LHH.

C’est la deuxième étape. Passée l’urgence, un nouveau défi attend les DRH : accompagner la crise du Covid-19 par le dialogue social. Plusieurs sujets devraient faire l’objet de négociation dans les prochains jours. La métallurgie a d’ores et déjà franchi le pas. Elle a ouvert, le 31 mars, une négociation sur la prise des congés payés. Les industries pharmaceutiques ont pris le relais ; un projet d’accord devrait être sur la table aujourd’hui ou lundi. Côté entreprises, Thalès a conclu un accord de "crise" sur l’organisation de son activité pendant la pandémie tandis qu’Airbus a paraphé un texte avec la CFTC, FO et la CFE-CGC sur la récupération des heures de travail "perdues".

La ministre du travail a d’ailleurs facilité la tâche des partenaires sociaux, en permettant l’organisation des réunions à distance via la visio-conférence, l’audio-conférence et même la messagerie instantanée. C’était tout l’enjeu de l’ordonnance publiée hier au Journal officiel sur les instances représentatives du personnel. Les agendas sont remplis. Et les boites mails saturées.

Objectif ? "Faire face à la baisse d'activité, assure Marie Bouny, directrice de la practice Performance sociale au sein du cabinet LHH, qui a organisé mardi un colloque sur le sujet. On sait que la sortie de crise va être douloureuse, qu’elle risque de déboucher sur des réorganisations, des restructurations, des plans de départs volontaires voire des accords de performance collective. Ces négociations peuvent permettre d’amortir le choc. Tout doit être fait pour préserver l’emploi".

Tour d’horizon des thématiques à aborder.

1- L'activité partielle

Pour compenser la perte de salaire (16 % du net) et parfois de primes, des négociations peuvent définir des montants plus favorables. Thales, par exemple, prévoit un maintien de la rémunération de tous les salariés qui perçoivent moins de 2 300 euros. Au-delà, l’accord propose une garantie fixée à 92 % de la rémunération habituellement versée. Cette compensation peut être financée via un fonds de solidarité. C'est ce que que prévoit Renault "qui propose de garantir 100 % des salaires en chômage partiel par la mise en place d'un tel fonds, à l’instar d’un dispositif déjà activé en 2009".

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

Découvrir tous les contenus liés
2- Le télétravail

Avec le confinement obligatoire, le télétravail est devenu la norme en France. Or, toutes les entreprises n’ont pas négocié sur le sujet. L’objectif est ici de mieux encadrer le dispositif.  "Le télétravail impératif implique une approche collective et organisationnelle qui nécessite une co-construction avec les partenaires sociaux. A minima la question des risques psychosociaux doit être appréhendée, spécialement en cette période qui accentue ces risques et en génère de nouveaux".

3- Le temps de travail et jours de repos 

Ce sont les sujets phares du moment. L’ordonnance du 25 mars 2020 a donné des marges de manœuvre pour réduire l’impact des mesures d'activité partielle. Les entreprises peuvent négocier sur la prise ou la modification des dates des congés payés des salariés, dans la limite de six jours de congés ouvrables, y compris avant la période d'ouverture pendant laquelle les salariés partent en congés. Marie Bouny souligne que "l’accord peut aller plus loin. Une négociation plus globale incluant les jours de RTT, de repos conventionnels ou encore de repos pour les forfaits offrirait plus de marges de manœuvre et permettrait une approche systémique. Par exemple, une partie de ces jours pourrait alimenter un fond de solidarité qui pourrait venir compenser en tout ou partie une perte de rémunération liée à l’activité partielle". 

Le projet d’accord des industries pharmaceutiques indique, de son côté, "que les entreprises veilleront à accorder sur la période de congé et sauf cas de force majeure, un repos simultané d’au moins deux semaines à des conjoints ou des partenaires liés par un Pacs dans une même entreprise". L’ordonnance traitant de la prise des congés, des RTT mais aussi de la durée du travail mentionnait, quant à elle, la possibilité de suspendre leur droit à congé simultané afin que l'un d'eux travaille si sa présence était indispensable.

4- Le compte épargne temps (CET)

Selon l’état des compteurs, le CET peut offrir de réelles opportunités pour amortir deux chocs : "la baisse d’activité via un déblocage en temps pour compenser les creux d’activité ou la baisse de rémunération grâce à une campagne de monétisation".

5- La modulation du temps de travail

Ce système permet non seulement de "faire face au creux de l’activité" mais aussi de garantir une rémunération fixe aux salariés. Pour optimiser ce dispositif, Marie Bouny recommande toutefois de déterminer une amplitude importante des horaires de travail, du "tunnel de modulation". Par exemple, "des limites basses à zéro heure pour avoir des semaines sans travail et des limites hautes (48 ou 60 heures) au moment du rebond de l’activité.

6- La récupérations des heures perdues

Face à l’interruption du travail, Airbus organise par accord la récupération d’heures de travail "perdues" pendant la semaine du 23 au 29 mars 2020. "Ces heures ou jours non travaillés devront être récupérés afin de garantir la reprise d’activité ou la récupération du retard pris pendant la période de confinement national", indique le texte. Concrètement, ces heures non travaillées sont stockées et seront récupérées d’ici à la fin de l’année 2020. Autrement dit, les journées effectuées lors de la reprise du travail pourront être rallongées de deux heures par jour (ou d’une journée voire d’une demi-journée) normalement travaillé dans la limite de huit heures. Selon Marie Bouny, "le dispositif de récupération des heures perdues est assez peu connu. Or dans le contexte actuel, il gagne vraiment à l’être plus".

7- La formation

Les entreprises peuvent négocier des accords pour abonder les comptes personnels de formation de leurs salariés, notamment pour ceux en activité partielle. Autre possibilité : "avancer les plannings des sessions de formation pour permettre aux candidats d’accélérer les certifications en cours. Ce qui leur permettra d’être plus disponible au moment du rebond d’activité".

8- La majoration des heures supplémentaires

L’ordonnance du 25 mars dernier permet à l’employeur d’imposer une durée du travail dérogatoire dans les secteurs définis comme essentiel, il serait possible de négocier "une majoration spécifique des heures supplémentaires pour les personnes exposées au risque du Covid-19".

9- La rémunération
Outre le maintien de la rémunération pendant l’activité partielle, notamment pour les bas salaires, d’autres leviers existent. Au menu des discussions peuvent, par exemple, être discutées le versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat. L’ordonnance ad hoc, parue hier au Journal officiel, assouplit les modalités de versement : 1 000 euros maximum pour les entreprises qui ne disposent pas d'accord d'intéressement ; 2 000 euros maximum pour les autres. Plusieurs enseignes alimentaires ont annoncé le versement d’une prime aux salariés mobilisés sur leur lieu de travail pendant la crise sanitaire pour récompenser "l’engagement exceptionnel". C’est le cas, par exemple, de Auchan, d’Intermarché et de Carrefour. Mais jusqu’ici, il s’agit de décisions unilatérales. Des discussions peuvent également revoir, lors des NAO, les règles des augmentations générales. Avec une suppression des augmentations individuelles en faveur des augmentations collectives.
10- L'équité
Le sujet revêt une attention particulière. Car tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne. "Entre ceux qui télétravaillent, ceux qui sont placés en activité partielle et ceux qui sont exposés au risque du covid-19, les divergences de traitement sont énormes". Or, comment reconnaitre le travail accompli ? L’engagement et la prise de risque ? Outre le versement de primes, d’autres possibilités existent, notamment l’attribution de jours de repos supplémentaires. "On pourrait également imaginer un dispositif de dons de jours de congés ou de RTT, poursuit Marie Bouny. Par exemple, une donation aux plus exposés. Ainsi des salariés en télétravail ou en activité partielle pourraient souhaiter soutenir leurs collègues directement exposés en leur offrant des jours de repos supplémentaires". A condition toutefois, de revoir, en amont, le dispositif législatif. Ce système étant, pour l’heure, réservé aux parents d’enfants malades ou salariés aidants.

A ne pas oublier, enfin, les clauses de revoyure. Dans le projet d’accord des industries pharmaceutiques, les partenaires sociaux "conviennent, en fonction de l’évolution de la situation sanitaire et économique, de se rencontrer au cours du mois de septembre pour examiner l’opportunité de prolonger le dispositif du présent accord".

Anne Bariet
Vous aimerez aussi