Face à la recrudescence des plans sociaux, l’exécutif souhaite encourager les reconversions professionnelles des salariés menacés de licenciement. Mais comment transformer un fondeur en mécanicien de voiture électrique ? Un ingénieur "nucléo-centré" en spécialiste de l’intelligence artificielle ? Le plan de relance est-il suffisamment ambitieux pour faire la bascule ? Des réussites existent. Mais des ratés aussi.
L’annonce a fait l’effet d’une douche froide. Ce mardi 22 septembre, la direction de la Fonderie Fonte à Ingrandes-sur-Vienne (Vienne), plombée par la crise automobile, annonce aux 300 salariés menacés de licenciement qu’elle n’a retenu qu’une seule piste de reconversion du site, parmi trois options proposées par le cabinet d’expertise : le reconditionnement de véhicules d’occasion. Les pièces pour moteurs diesel fabriquées jusqu’ici sur le site ne correspondent plus à la tendance du marché et ne trouvent plus de débouchés.
Mais cette reconversion a un goût amer pour les salariés, elle devrait s’accompagner d’une baisse de salaires de l’ordre de de 300 à 700 euros par mois, selon Alain Delaveau, secrétaire du CSE de l’entreprise, notamment via la signature d’un accord de performance collective et la suppression des équipes de nuit (et donc des primes ad hoc). Un CSE devrait été convoqué dans les prochains jours.
Le cas de la Fonderie Fonte n’est pas isolé. Les déconvenues gagnent de nombreux secteurs et de nombreuses entreprises.
A Fessenheim (Haut-Rhin), par exemple, le devenir des salariés est toujours en suspens. Si une soixantaine de salariés d’EDF resteront pour le démantèlement de la centrale nucléaire jusqu’en 2024, l’interrogation subsiste pour les 750 autres salariés. Le projet de technocentre porté par EDF et consacré aux déchets métalliques n’est pas encore été acté.
A Belfort, aussi, chez General Electric, la tension monte : la deuxième phase du PSE qui comprend un plan de départs volontaires, actionné fin août, permettra-t-il vraiment d’éviter les départs contraints ? La branche turbine à gaz va payer le plus lourd tribut : 485 emplois des 1 700 vont disparaître. Le syndicat CFE-CGC a pourtant élaboré un projet très concret qui pourrait offrir une nouvelle vie industrielle au territoire de Belfort : "la création d'un complexe industriel livré clefs en main de production et de consommation d'hydrogène vert", explique Philippe Petitcolin, coordinateur de la centrale syndicale. Mais cette idée est encore à l'étude.
Face à la recrudescence du chômage, l’exécutif souhaite encourager les transitions professionnelles. Le sujet était, d’ailleurs, à l’ordre du jour de la concertation organisée, hier, entre le ministère du travail et les partenaires sociaux. Il y a urgence. Les plans sociaux risquent de se multiplier dans les prochains mois. "Comparé à 2008, la magnitude de la crise est cinq fois plus forte sur l’échelle de Richter du social", souligne Estelle Sauvat, directrice générale du groupe Alpha, ex Haut-commissaire à la transformation des compétences.
Le gouvernement ne ménage pourtant pas ses efforts. Il a notamment sorti le chéquier : le plan de relance prévoit 15 milliards d’euros pour "le développement des compétences". Dans le détail, il muscle le FNE-formation d’un milliard d’euros pour la formation des salariés placés en chômage partiel de longue durée. Il active également d’autres leviers : le dispositif de reconversion et de promotion par l’alternance, dénommée "Pro-A" est doté de 270 millions d’euros supplémentaires, le CPF de transition professionnelle bénéficie de 100 millions d’euros complémentaires et le CPF classique reçoit 25 millions d’euros sous forme d’abondements pour les demandeurs d’emploi et salariés qui s’orienteraient vers les métiers porteurs à savoir dans la transition écologique et numérique ainsi que dans les métiers du soin ("care").
"Cette crise est aussi l’occasion de recentrer les compétences là où la demande est la plus forte. Un accompagnement des salariés des secteurs en difficultés vers les secteurs demandeurs est donc mis en place", a annoncé Elisabeth Borne à l’issue de la présentation du plan de relance, le 3 septembre, par Jean Castex. L’objectif est bien de faciliter les reconversions professionnelles pour favoriser le rebond les salariés menacés par les licenciements. Avec des chances de succès ?
Pour Arnaud Brizé, expert juridique du Cesi, pas de miracle à attendre. "En matière de reconversion collective, le dispositif Pro-A est beaucoup moins bien doté que les périodes de professionnalisation qu’il remplace. A titre d'exemple, un Opco verse désormais en moyenne 3 000 euros par personne sur cette enveloppe quand il accordait des budgets beaucoup plus élevés pour les périodes de professionnalisation. Le dispositif reste également difficilement mobilisable".
Côté individuel, le CPF de transition professionnelle pêche, lui, par sa complexité. "C’est long et c’est lourd, résume Christophe Pons, directeur de la formation d’Onet, spécialiste du nettoyage industriel et ex président de la commission emploi formation professionnelle de la branche propreté. Le candidat doit tout d’abord demander l’autorisation d’absence à son employeur, constituer son dossier, passer devant la commission d’évaluation de la commission régionale avant de savoir si son projet peut être financé. Et les salariés sont loin d’être prioritaires". D’autant que "contrairement au congé individuel de formation, les perspectives de reconversion sont limitées, ajoute Arnaud Brizé. La commission régionale contrôle à la fois la cohérence du projet, le parcours de formation ainsi que les débouchés du cursus, limitant ainsi la liberté de choix de l’individu".
Quant au CPF classique, il ne permet pas de se lancer dans une formation d’envergure, vu les montants affichés sur les compteurs. La reconversion a un coût. Et prend du temps. "De fondeur à mécanicien, il faut au minimum un CAP ou un BEP, soit entre six mois et un an de formation, confirme Alain Delaveau, secrétaire du CSE de la fonderie Fonte. C’est très difficile".
Cette faible dotation financière est un argument également mis en avant par les syndicats de Sanofi qui négocient actuellement un projet de ruptures conventionnelles collectives portant sur 1 000 suppressions d’emplois. Pour Pascal Lopez, délégué central FO de l’entreprise, pas question, en effet, que les salariés ne bénéficient, parmi les mesures d’accompagnement, que d’un CPF bonifié.
Des inquiétudes pèsent également sur l’accès au FNE-formation. Si jusqu’ici l’Etat prend en charge 100 % des coûts pédagogiques des formations réalisées dans les entreprises ayant recours à l'activité partielle, plusieurs rumeurs font état d’un financement ramené à 70 %. Un signal dissuasif.
Le manque d’ambition des outils est aussi dénoncé par le Medef qui revendique plusieurs ajustements à la loi Avenir professionnel. Il propose ainsi d’élargir le seuil des bénéficiaires de la mutualisation des entreprises, en ouvrant son périmètre aux entreprises d’au moins 250 salariés. Il demande, en outre, de muscler le budget des associations paritaires transitions Pro, chargées de valider et de financer les projets de transition professionnelle via le CPF de transition professionnelle, de 400 millions d’euros supplémentaires "pour augmenter le nombre de dossiers financés".
Les reconversions sont-elles dans une impasse ? "Si 10 % des salariés concernés par des emplois menacés par la crise décidaient de se former pour changer de métier, le système actuel ne permettrait pas de financer cet effort", souligne l’organisation patronale. Comment, dans ce contexte, reclasser les salariés de Bridgestone, de General Electric, de la Fonderie du Poitou vers les secteurs dits d’avenir ? Transformer un fondeur en mécanicien de voiture électrique ? Un ingénieur "nucléo-centré" en spécialiste de l’intelligence artificielle ? "La loi Avenir professionnel ne répond pas à cette problématique", concède l’entourage d’Elisabeth Borne. Cette mobilité suppose, en effet, "de développer des passerelles entre les branches professionnelles, c’est-à-dire entre les Opco".
Sans attendre certaines branches professionnelles ont toutefois pris les devants. C’est le pari de l’UIMM Lorraine qui a décidé d’anticiper la mutation des métiers de la filière automobile du département de Moselle qui emploie plus de 12 000 personnes. La fédération a signé le 6 décembre dernier un accord avec l’ensemble des organisations syndicales portant sur l’accompagnement à l’évolution des métiers. "Le secteur automobile connait une phase de mutations disruptives de grande ampleur. Le moteur électrique arrive et il faut s’y préparer, explique Hervé Bauduin, président de l’UIMM Lorraine. Un certain nombre de métiers vont disparaître mais de nouvelles compétences en électricité vont être exigées".
L’Opco "2I" finance à hauteur de 2 millions d‘euros ce programme qui va courir jusqu’en décembre 2021. Une attention particulière sera portée aux entreprises intervenant en amont de cette filière (mécanique, fonderie, forge d’acier…).
De son côté, le Syntec numérique, qui a créé 23 000 emplois en 2019, a développé plusieurs programmes de formation pour favoriser les reconversions. En sus de "Numéric’Emploi" pour les chômeurs de longue durée et de "Femmes du numérique", il a lancé "Numéric’Actifs" pour les personnes en poste dans d’autres industries. "L’objectif est de permettre les reconversions et mobilités intersectorielles d’un métier « X » vers un métier du numérique, indique Soumia Malinbaum, présidente de la commission formation du Syntec numérique. Il faut permettre à des salariés dont l’emploi est menacé de changer de métier, voire de secteur, en intégrant nos métiers informatiques et cela avant qu’il ne soit trop tard". Pour l’heure, aucun bilan n’est disponible. "La crise sanitaire et le confinement nous ont obligé à arrêter temporairement les prises de contact que nous avions avec d’autres secteurs d’activité potentiellement intéressés par cette GPEC intersectorielle (banque, assurance, énergie, industrie…)".
Mais attention : plusieurs programmes informatiques sont dans une logique de "up-skilling" plutôt que de "re-skilling", c’est-à-dire qu'ils consistent à apporter une brique supplémentaire de compétences à des personnes déjà dotées d’un solide bagage de base.
Au-delà de la transition numérique, la tentation écologique ouvre de nouveaux horizons. La filière électrique, reconnaissant que l’offre de formation "ne correspond pas pleinement aux besoins des entreprises", vient de signer un accord-cadre national d’Engagement de développement de l’emploi et des compétences (Edec). Il vise à répondre aux enjeux de la transition écologique de la filière qui qui "voit son modèle totalement transformé, avec un impact sur les métiers et les compétences des salariés". Avec à la clef, la création de quelque 80 000 emplois pour la rénovation énergétique et entre 34 000 et 66 000 pour les énergies renouvelables électriques.
Dans la foulée, quelques entreprises s’y mettent. Chacune avec sa méthode. Talan, une entreprise de conseil en services numériques (2 000 personnes en France, 3 500 dans le monde) s’est tournée, voilà cinq ans, vers la Préparation opérationnelle à l’emploi (un dispositif co-financé par Pôle emploi) pour former des informaticiens. Sa cible ? Des universitaires issus de disciplines scientifiques. L’entreprise leur propose de suivre une formation de 400 heures, complétée par un contrat de professionnalisation et assortie d’une promesse d’embauche. Une stratégie gagnante selon Jean-Marie Ferrand, responsable formation de l’entreprise. "Aujourd’hui le recrutement des ingénieurs informatique est extrêmement tendu, il a fallu ouvrir notre sourcing pour trouver des candidats. Nous avons donc décidé d’accompagner ces diplômés, une vingtaine par an, qui ont plus de mal à trouver leur place sur le marché du travail en vue de leur proposer un CDI. Avec succès. Ce sont des salariés moins volatiles que les ingénieurs, ils sont moins chassés par nos concurrents".
Orange, de son côté, a souhaité d’ici à cinq ans doubler le nombre des experts pour dépasser 20 000 personnes en virtualisation des réseaux, cloud computing, data, intelligence artificielle, code et cybersécurité. Une trentaine de salariés vient d’ailleurs d’intégrer un cursus d’ingénieur dédié à la cybersécurité. Parallèlement, le groupe ambitionne "de former 100 % des salariés aux soft skills". La priorité est aujourd’hui donnée à l’accompagnement des mutations, comme en témoigne le programme de formation de 1,5 milliard d’euros, en lien avec le plan stratégique, "Engage 2025". "Les nouvelles technologies ouvrent un monde d’opportunités professionnelles et font évoluer les métiers et compétences requises à un rythme et une ampleur sans précédent", indique Gervais Pellissier, le nouveau directeur des RH et de la transformation du groupe qui précise que tous les métiers seront concernés, ingénieurs mais aussi techniciens, vendeurs ou fonctions support. Le groupe planche également sur des reconversions à mi-carrière. "L’idée est de proposer aux collaborateurs d’acquérir de nouvelles compétences au cours de leur parcours pour s’orienter vers un autre métier".
Mais les reconversions sont parfois chaotiques. Sanofi en garde un douloureux souvenir. "Lors de notre précédent plan social, il y a deux ans, 20 % des effectifs ont réussi à se reclasser, rappelle Pascal Lopez, de la CFE-CGC de l’entreprise. Et encore en faisant une croix sur environ 30 % de leur rémunération antérieure". Difficile également de faire le deuil de son métier. "J’ai été déqualifié, insiste, de son côté ce syndicaliste de la grande distribution. J’ai un travail mais il ne me plaît pas. J’étais technicien mais, après le plan social de 2000, je me suis retrouvé en charge de la mise en rayon, dans le magasin".
Des ratés existent également. L’industriel Bosch l’a appris à ses dépens. En 2013, le site de Vénissieux s’était lancé dans le photovoltaïque. Mais trois ans après, l’entreprise a dû tourner la page, face à la concurrence chinoise. Plus récemment, General Electric avait projeté de reconvertir 70 personnes vers le secteur de l’aéronautique dans le cadre de la diversification du site et envisageait même le transfert de 200 personnes à l’horizon 2023. "Des passerelles existent entre les deux secteurs, argue Philippe Petitcolin, coordinateur du syndicat CFE-CGC de l’entreprise. Ils utilisent les mêmes technologies et les mêmes métiers très spécifiques qui n’existent quasiment que dans l’aviation et les turbines à gaz : brochage, assemblage, soudage d’élément". La crise du Covid a mis à mal le projet de reconversion désormais à l’arrêt.
Et reste le sempiternel frein à la mobilité géographique. "A Fessemheim, beaucoup de conjoints de salariés travaillent en Allemagne avec une rémunération élevée. Il sera difficile de faire bouger cette population", reconnaît Hervé Debrosses, délégué syndical central CFE-CGC d’EDF.
La vigilance est toutefois de mise côté syndical : " il va falloir que Bridgestone fasse très fort sur l'accompagnement des salariés, la formation, la reconversion, nous serons extrêmement exigeants", a martelé Laurent Berger, le numéro un de CFDT, au micro d’Europe 1, le 22 septembre, après l’annonce de la fermeture de son usine de pneumatiques à Béthune.
Le point de vue de trois experts |
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Pour éviter des scénarios catastrophe, plusieurs acteurs avancent des pistes de réflexion. Car pour l’ex Haut-commissaire à la transformation des compétences, ce sont les premiers touchés par la baisse d’activité. "Au-delà de la grande vague des plans sociaux médiatisés, il faut s’interroger sur les mouvements des plaques tectoniques en profondeur et nécessairement plus silencieuses : les intérimaires, les fins de CDD et les salariés ayant signé une RCI". "Des victimes invisibles qui passent totalement au travers des mailles du filet avec déjà près de 100 000 personnes en moyenne pour les seules RCI sur ce dernier trimestre". |
Le congé mobilité et un nouveau CPF de transition professionnelle à la rescousse des transitions professionnelles |
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A l’issue de la réunion consacrée au volet social du Plan de relance qui a réuni, hier, Elisabeth Borne et les partenaires sociaux, le gouvernement a indiqué étudier plusieurs pistes en matière de reconversion professionnelle.
Une nouvelle concertation aura lieu fin octobre pour tenir compte des propositions des partenaires sociaux. |
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