Recrutements : «Nous constatons une explosion des demandes du côté des entreprises mais nous avons une pénurie de candidats»

Recrutements : «Nous constatons une explosion des demandes du côté des entreprises mais nous avons une pénurie de candidats»

21.09.2021

Gestion d'entreprise

Depuis quelques mois, le marché de l’emploi des fonctions juridiques se porterait bien. Marie Hombrouck, fondatrice du cabinet Atorus Executive, spécialiste du recrutement des cadres juridiques séniors et en management de transition, nous livre son analyse.

La reprise serait-elle là ? C’est une rentrée dynamique pour Marie Hombrouck qui enregistre tous les jours de nouveaux mandats de chasse de tête et publie un livre intitulé « Et si vous trouviez - enfin - le job idéal » chez Vuibert. Elle nous dresse un panorama du marché et nous donne quelques astuces pour se lancer dans une recherche d'emploi.

Comment le marché du droit se porte-t-il ?

En 2020, nous avons eu une année marquée par plusieurs « vagues ». Le début d’année était très intense. Ensuite, lors du premier confinement, nous n’étions pas à l’arrêt. Puis, en septembre, les marchés se sont figés. Les entreprises bénéficiaient alors des aides gouvernementales les conduisant à ne pas recruter et à attendre.

Du fait de la crise, tous les juristes et les directeurs juridiques ont été très sollicités en 2020. A la fin de l’année, ils ont fait part de leurs besoins en recrutements. Dès le 23 décembre 2020, nous avons enregistré une augmentation conséquente des besoins et depuis le 1er janvier 2021, cela ne s’arrête pas. Jusqu’au mois de juin, nous avons été mandatés de très nombreuses demandes de recherches. Normalement, durant l’été, il y a une période d’accalmie. Or, cette année, nous n’avons pas arrêté de travailler. Nous constatons une explosion des demandes du côté des entreprises mais nous avons une pénurie de candidats…

Est-ce la pandémie qui dynamise le recrutement de postes de responsables juridiques ?

Il y a plusieurs facteurs. Le travail que nous avons entrepris auprès des comex, visant à démontrer que les juristes sont fondamentaux, paie. Avec la crise, les directeurs généraux se sont souvent demandés comment il était possible d’utiliser les clauses de force majeure de leurs contrats et ils se sont alors tournés vers leurs juristes qui sont devenus essentiels. Nous avons aussi réussi à faire comprendre que les directeurs juridiques se sont transformés. Nous l’avons beaucoup prôné et nous constatons que c’est désormais une réalité. Les directeurs juridiques qui se maintiennent en postes sont ceux capables d’apporter des solutions en comex. Ils n’ont pas eu le choix avec la crise et ont su le démontrer. Certains directeurs généraux nous ont même dit que les responsables juridiques leur avaient permis de traverser la crise. Ils ne les voient plus comme ceux à solliciter pour « éteindre l’incendie » mais plutôt comme des personnes capables d’anticiper. Les équipes juridiques qui n’étaient pas les premières à être « staffées » le sont davantage désormais. En ayant une approche plus « business », elles ont la faveur des dirigeants décisionnaires.

Globalement, il y a aussi eu un gel des recrutements pendant une longue période d’un an. Mécaniquement, il y a donc un report. Les demandes en « juridique » ayant augmenté, de très nombreuses sociétés ont et continuent de rechercher un juriste en M&A, en droit social, etc.

Quelles sont vos prévisions sur l’année 2022 ?

Il va falloir attendre de voir si une cinquième vague déferle. Le recrutement est passé derrière la gestion de crise, ce qui est normal. J’ai donc une approche prudente. Il me semble néanmoins que le marché est très dynamique sur ce dernier trimestre. Tous les jours nous rentrons des mandats de chasse de tête pour de très beaux postes. Jusqu’à la fin de l’année, nous serons sur une période dynamique. Nous espérons et souhaitons tous que cela se poursuive en 2022.

La population juridique, par essence, mesure les risques. Si les juristes constatent que les choses se stabilisent, peut-être auront-ils plus facilement tendance à tenter un changement de poste. Il y aura alors un « effet domino » : certains postes se libéreront quand d’autres viendront à l’être également.

Certains candidats me demandaient, après le premier confinement, de les « sortir de Paris ». Mais cette tendance était plutôt le signe d’une réaction aux événements et ne s’est pas confirmée par la suite. D’autres attendent de voir comment les choses évoluent pour la société dans laquelle ils se trouvent. Si elle est en décroissance, alors ils chercheront à changer. Si elle ne l’est pas, une évolution en interne pourrait leur être proposée. On est encore dans une phase un peu attentiste. Néanmoins le marché est en train de se débloquer.

Quels sont les profils recherchés en ce moment ?

Nous avons beaucoup de mandats pour des juristes en M&A. Il y a de nombreux deals en ce moment. Avec le PGE, les sociétés ont des liquidités qu’elles souhaitent réinvestir tandis que d’autres sont vendues à bas prix, après avoir souffert de la crise. Nous recherchons aussi des juristes en droit social car il y a des contextes sociaux complexes qui conduisent des entités en difficultés à se séparer de leurs collaborateurs. Les juristes en compliance aussi sont demandés, notamment à la suite de la décision Schrems II de la CJUE. Les spécialistes de l’IT sont également prisés. La digitalisation des entreprises conduit à la conclusion de contrats IT qui nécessitent d’avoir des juristes spécialisés en la matière. Nous chassons aussi des directeurs juridiques.

Vous vous dites un peu déçue au sujet des recrutements dans le domaine de la compliance. Pourquoi ?

Ce sont des profils de 5 à 7 ans d’expérience, spécialisés sur les données personnelles et le RGPD, que l’on me demande de rechercher. Les sociétés peuvent encore solliciter les cabinets d’avocats sur les sujets de la compliance et prendre un juriste plus junior pour assurer le « day to day ».

Nous avons deux phénomènes. Des responsables et directeurs juridiques bénéficiant de plusieurs années d’expérience se sont formés sur le tas à la compliance et ont évolué au moment de son émergence. Ce sont des candidats qui peuvent postuler en demandant une rémunération conséquente.

Les compliance officers juniors, de moins de 5 ans d’expérience et qui viennent de sortir de l’école, sont jeunes et souhaitent, parfois, immédiatement être DPO avec un salaire élevé correspondant à ce niveau de responsabilité. Or, leur expérience ne correspond pas aux attentes de nos clients qui, pour certains, ont déjà en interne un DPO expérimenté. Ces compliances officers juniors peuvent parfois être embauchés à un niveau de salaire supérieur à celui du marché. Mais deux ou trois ans après, il leur est plus difficile de bouger.

Vous avez sorti un livre dans lequel vous donnez des conseils pour - enfin - trouver le job idéal. Quelles sont vos principales recommandations ?

La première chose à faire est de définir ce que constitue pour soi le job idéal. En regardant avec bienveillance son parcours, on peut s’interroger sur ce que l’on a aimé faire ou non. Et il faut aussi se demander ce que l’on désire faire à « l’instant T ».

Il faut aussi être prêt psychologiquement à rechercher un emploi. Il y a un travail d’acceptation et de deuil de ce que l’on a entrepris précédemment.

Il est important ensuite de se mettre dans une attitude positive pour aborder sa recherche et d’être stratégique. Le juriste est naturellement structuré et organisé. Il peut appliquer cette méthode à sa recherche en constituant un retroplanning. Il lui faut consacrer un premier temps à son bilan, puis un second à la rédaction de son cv, un troisième à constituer son réseau, etc. Au lieu de se consacrer à une grande tâche qui fait peur, celle de « rechercher un emploi », on la découpe en petites tâches pour garder son énergie…

Il faut aussi se préparer. C’est la règle d’or. Quand je vais en entretien, quand je négocie, etc., je me renseigne sur la personne que je vais voir et sur les coutumes du marché.

Comment est-il possible de se renseigner ?

On peut consulter les études de rémunérations ou des sites comme glassdoor, par exemple, qui donnent des indications. Les candidats peuvent aussi se tourner vers des chasseurs de tête. Je recommande enfin à tous les juristes d’adhérer à une association professionnelle comme l’AFJE ou le Cercle Montesquieu afin d‘échanger entre pairs et ainsi de pouvoir connaître sa valeur sur le marché.

Parfois un candidat peut être pris de court, après avoir été licencié. Comment restez positif dans ce cas et prendre le temps de rechercher sereinement ?

Dans la structuration de sa journée, il faut savoir s’accorder des moments de pause. On ne peut pas être 100 % dédié à cela sans y perdre des plumes. La recherche d’emploi est un marathon. C’est du long terme qui peut prendre 3 mois, 6 mois voire une année entière. Tous les matins, on peut faire sa recherche d’emploi et programmer un rendez-vous réseau par jour. Puis, il faut s’accorder un temps pour faire ce que l’on ne pourra plus faire une fois en poste. Et cela sans culpabiliser.

Il faut aussi faire attention à son entourage. Les proches peuvent parfois faire prendre une décision à un candidat qui n’est pas objective pour celui qui recherche mais subjective pour eux. Il est important de se constituer un groupe de mentors et de pairs qui aide à la recherche et demeure positif. La pire phrase que l’on peut adresser à un candidat est « alors ça avance ? ».

Vous avez rencontré le GIGN pour comprendre leurs méthodes de négociation et les transposer à la négociation salariale. Qu’est-ce que cela vous a appris ?

J’ai voulu proposer un « transfert de compétence ». Le GIGN est une unité d’élite. Nous avons la chance de l’avoir en France. Ses membres font des études très poussées sur la négociation et sont les meilleurs dans ce domaine. Ils ont été très généreux avec nous. Nous avons analysé une dizaine de leurs techniques de négociation (la posture de négociateur, l’idée de faire jouer le temps, la manière de fermer une négociation, etc.) puis nous les avons synthétisées pour les rendre accessibles à la négociation salariale.

Pouvez-vous nous dévoiler un exemple ?

Dès le départ, il faut instaurer une posture et un cadre de négociation, c’est-à-dire sa fourchette haute et basse de rémunération. Le but est ensuite d’arriver à un « objectif commun partagé » avec le recruteur, c’est-à-dire à un montant que chacun estime acceptable.

Il faut aussi apprendre à clôturer la négociation si elle ne fonctionne pas. Il est important de rester en bons termes car le marché est tellement petit qu’il est probable de se retrouver dans quelques années autour d’un nouveau processus de recrutement.

 

 

 

 

 

 

 

Propos recueillis par Sophie Bridier

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