Réduction de la durée des enquêtes préliminaires : «C’est une innovation bienvenue sur le principe mais...»

Réduction de la durée des enquêtes préliminaires : «C’est une innovation bienvenue sur le principe mais...»

31.01.2022

Gestion d'entreprise

La loi pour la confiance dans l'institution judiciaire instaure un délai de 2 ans de droit commun pour les enquêtes préliminaires. Pour Gaspard Lundwall, avocat chez Veil Jourde, ce «nouveau» délai reste toutefois long pour les justiciables. Il revient pour nous sur les nouveautés en droit pénal des affaires introduites par ce texte législatif.

La loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire contient des innovations en matière de secret professionnel de l'avocat, de durée des enquêtes préliminaires, de délit de prise illégale d'intérêt ou encore concernant la protection des enquêtes préliminaires. Le point avec Gaspard Lundwall.  

Concernant le secret professionnel de l’avocat, que pensez-vous de la réforme instaurée (article 3 de la loi)?

C’est une loi portée par un praticien qui, de fait, intéresse les praticiens. Les avocats sont toutefois circonspects. Beaucoup de messages positifs leurs sont envoyés, mais toute la question est de savoir comment ils seront appliqués…

S’agissant de la confidentialité, les praticiens craignent – et je l’espère, ils seront détrompés par la jurisprudence – une forme de victoire à la Pyrrhus. L’article préliminaire du code de procédure pénale consacre désormais un principe d’indivisibilité du secret professionnel de l’avocat. Il semble donc endiguer une jurisprudence qui excluait du secret professionnel l’activité de conseil de l’avocat. Ce principe est salué par les praticiens. Mais l’article 56-1, alinéa second (dans sa version qui entrera en vigueur au 1er mars prochain), semble imposer deux critères cumulatifs pour que les documents ne soient pas saisissables dans le cadre de perquisitions dans un cabinet ou au domicile de l’avocat. Tout d’abord que le document soit « couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil » et qu’il « relèv[e] », ensuite, « de l’exercice des droits de la défense ». C’est là que le bât blesse, ou peut blesser ; dire que le conseil fait partie du secret professionnel mais qu’il faut absolument qu’un document relève de l’exercice des droits de la défense pour ne pas être saisissable, c’est contradictoire. Cela fait craindre aux praticiens que la génuflexion de l’article préliminaire devant la fonction de conseil de l’avocat reste lettre morte.

Il existe en revanche une double nouveauté de la loi qui est, elle, dépourvue d’ambiguïté :

  • d’une part, c’est désormais le juge des libertés et de la détention qui autorise la perquisition au cabinet ou au domicile d’un avocat, en justifiant de la proportionnalité de la mesure ;
  • d’autre part, il existe désormais un recours suspensif – devant le Président de la chambre de l’instruction – contre la décision du juge des libertés et de la détention qui s’est prononcé sur une contestation relative à la saisie d’un document.

Ce double garde-fou est bien sûr bienvenu.

Et concernant les exceptions prévues à l’article 56-1-2 du code de procédure pénale ?

En pratique, le secret professionnel du conseil n'est « pas opposable aux mesures d'enquête ou d'instruction lorsque celles-ci sont relatives » à certaines infractions. Il s’agit de la fraude fiscale, du terrorisme, de la corruption, du trafic d’influence et du blanchiment de ces infractions. Quand un juriste lit une telle énumération (qui fait du reste un peu sursauter, lorsqu’on lit « fraude fiscale » à côté de « terrorisme », comme c’est désormais souvent le cas…), il tend l’oreille. Car toute énumération porte en elle trois écueils :

  • une énumération permet parfois de couvrir un champ tellement large que le principe peut être en grande partie vidé de sa substance. Le blanchiment de fraude fiscale étant souvent une infraction balai, cette crainte est ici présente avec une particulière acuité.
  • Chacune des catégories de l’énumération peut être interprétée plus ou moins largement.
  • Enfin, lorsqu’on énumère une série d’infractions, certains pourront toujours demander si d’autres ne devraient pas également rejoindre la liste. On peut craindre un effet boule de neige pour des raisons de cohérence, sous prétexte que tel ou tel délit, « aussi grave », qu’un de ceux ici listés, ne ferait pas partie de la liste.

Nous n’avons pas de contrôle sur ces évolutions possibles, sur le plan jurisprudentiel et législatif. Les praticiens observeront donc la suite avec vigilance. Tout particulièrement les modalités d’application de la réserve ajoutée pour rassurer les avocats, qui est évidemment bienvenue, selon laquelle il faut toutefois, pour que les éléments soient saisissables, que les « consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l'avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ». 

La durée de l’enquête préliminaire est encadrée. Quels sont les nouveaux délais (article 2 de la loi) ?

Tout d’abord, la durée des enquêtes est, en pratique, pour les justiciables, une peine en soi d’autant plus cruelle qu’elle touche aussi des innocents, et qu’on ne peut pas en faire appel. C’est une peine psychologique pour toutes les personnes poursuivies, qui fait payer parfois un lourd tribut familial et personnel aux personnes concernées. Cela peut aussi constituer une peine professionnelle pour ceux qui ont la malchance d’avoir un brin d’exposition médiatique. C’est le paysage dans lequel s’inscrit cette réforme.

La loi édicte un délai : pour les délits de droit commun, il est de 2 ans et peut être allongé à 3 ans – une seule fois – de manière motivée. La règle est stricte car elle implique la nullité des actes d’enquête postérieurs au délai.

C’est une innovation bienvenue sur le principe mais cela reste long pour les justiciables. Et il y a une grande incertitude quant au point de savoir comment cette règle sera appliquée dans les faits. Les avocats ont bien conscience que la longueur des enquêtes préliminaires n’est pas le fait de l’incurie ou de l’incompétence des enquêteurs ou des magistrats. L’engorgement des services d’enquête, des parquets et des cabinets des juges d’instruction ne va pas disparaître magiquement. Dans cette perspective, édicter une règle est certes un signal envoyé aux enquêteurs et aux magistrats qui est bienvenu. Cela étant, les avocats qui les fréquentent sont dubitatifs : comment les enquêteurs et magistrats, qui veulent faire correctement leur travail, vont pouvoir concilier ce désir avec ces impératifs de délais, et cela sans obtenir plus de moyens ? A cet égard, il y a un doute quant au point de savoir si des expédients vont être utilisés pour contourner cette nouvelle règle. Le fait d’utiliser de manière quasi systématique l’allongement de 2 à 3 ans pour les dossiers un peu complexes, par exemple.

Le GRECO et Transparency International critiquaient dans deux récents rapport le manque de moyen du PNF en matière de lutte anticorruption. Qu’en pensez-vous ?

Les avocats pensent que c’est très regrettable que la justice soit souvent la cinquième roue du carrosse du budget. Tous les praticiens du droit regrettent cet état de fait qui est dramatique et qui concerne tous les parquets, y compris le PNF.

Pourtant, le budget de la justice a augmenté dans des proportions importantes ces dernières années…

C’est un fait. Cependant, ce que l’on ressent sur le terrain, ce n’est pas le sentiment d’un confort extrême des parquetiers et des enquêteurs.

La protection du secret de l’enquête et de l’instruction est renforcée via une aggravation des peines encourues ? Est-ce suffisant (article 4 de la loi) ?

Il y a assez peu de condamnations sur ce sujet. Des doutes s’élèvent quant au point de savoir si cela va avoir un effet quelconque. Pour ce qui concerne les affaires médiatiques, donnant lieu régulièrement à des violations du secret de l’instruction dans la presse, j’ai tendance à penser que la réforme n’aura sans doute pas vraiment d’effet.

Que dire sur la modification du délit de prise illégale d’intérêt (article 15 de la loi) ?

La loi remplace la notion jurisprudentielle « d’intérêt quelconque » par la prise d’un intérêt de nature à compromettre l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité de l’agent public poursuivi. La question demeure du point de savoir si cette modification légale aura un impact jurisprudentiel. Les avocats de la défense l’espèrent, et estiment que cela devrait être le cas. C’est donc un espoir, mais de nouveau quelque peu circonspect.

 

Propos recueillis par Sophie Bridier

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