Référendum d’entreprise : un outil à manier avec précaution

Référendum d’entreprise : un outil à manier avec précaution

26.05.2016

Gestion du personnel

En donnant la parole aux salariés, le référendum d’entreprise, prévu par le projet de loi El Khomri, constitue une révolution dans le dialogue social en entreprise. Mais l’exercice n’est pas sans risque pour les DRH. Voici pourquoi.

Prévu par le projet de loi Travail, le référendum pourrait faire son entrée dans le processus de négociation des entreprises. Lorsque l’accord n’atteint pas la barre des 50%, les organisations syndicales ayant réuni au moins 30% des suffrages pourront déclencher une consultation des salariés. Si ces derniers l’approuvent, l’accord sera alors validé, même si la majorité des syndicats y est opposée. Entraînant de facto la suppression du droit d’opposition des syndicats majoritaires.

Un sujet qui divise

Soit un changement de ligne important. Mais des ateliers aux open-spaces, le sujet ne fait pas consensus chez les DRH. "Ce n’est pas une mesure que je souhaite voir appliquer, insiste Jérôme Barré, le nouveau directeur exécutif en charge des RH et de la communication interne d’Orange. Nous ferons tout pour maintenir le dialogue social. Notre objectif est de rassembler le maximum d’organisations syndicales représentatives autour d’un compromis pour que chacun puisse trouver sa place dans l’organisation". Mais pour Jean-Paul Charlez, président de l’ANDRH et DRH du groupe Etam, il permet de débloquer des situations tendues et d’inverser le rapport de force pour contourner le poids d’organisations contestataires. "Sur des questions comme le travail du dimanche, nous sommes confrontés à des postures dogmatiques de certains syndicats qui ne correspondent en rien aux souhaits de salariés", observe-t-il.

La pratique n’est, toutefois, pas nouvelle. De Smart à Sephora, en passant par Faurecia, Hutchinson ou Behr, de nombreux DRH ont d’ores et déjà pris les devants. Soit dans le cadre de négociation sur les accords défensifs de l’emploi (Faurecia ou Hutchinson), pour le travail dominical (BHV/Marais), voire le travail de nuit (Sephora des Champs-Elysées) ou encore pour avaliser des plans de sauvegarde de l’emploi.

Conflictualité entre les organisations syndicales

Mais le référendum est un outil à manier avec précaution. Il engendre, tout d’abord, de l’incertitude dans le dialogue social. Or, les relations entre DRH et organisations syndicales se construisent sur le long terme. Le référendum pourrait ainsi saper leur recherche de compromis. "C’est un cadeau empoisonné, indique Etienne Colin, avocat associé au sein du cabinet Parienté & associés. C’est une manière très insidieuse de remettre en cause le fait syndical dans l’entreprise, en permettant aux syndicats minoritaires de court-circuiter les majoritaires". Avec le risque de créer de "la conflictualité entre les organisations syndicales". Les DRH croient, d’ailleurs, plus dans leurs capacités à négocier avec les syndicats que dans la démocratie directe, selon le baromètre Défis RH Inergie réalisé pour l’ANDRH. Seuls 15% d’entre eux y sont "tout à fait" favorables. Chez Orange, Jérôme Barré évitera ainsi de gripper le système, en relançant les négociations sur la transformation numérique, après le droit d’opposition exercé par trois syndicats représentatifs, la CGT, SUD et la CFE-CGC. Chez Carglass aussi, ce sera non. "Compte tenu de la qualité des échanges actuels avec les représentants syndicales, nous n'avons aucun intérêt à utiliser le référundum, constate Cécile Vigneau, DRH de Carglass. Les écarter serait plutôt contre-productif".

Risque d’être désavoué

Autre écueil pour le DRH : celui d’être désavoué par les collaborateurs. Faute d’explication en amont, les salariés ne votent pas toujours en connaissance de cause. "Ils n’ont pas accès à l’expertise économique des représentants du personnel. Ils ne disposent donc pas du même niveau d’information", assure Philippe Portier, secrétaire général de la fédération métallurgie CFDT. D’où un jugement "biaisé voire influencé par la direction". Le référendum pouvant ouvrir la voie à "de possibles chantages à l’emploi de la part de l’employeur". Le syndicaliste pointe ici le cas de l’usine Smart d’Hambach (Moselle). La CFDT, comme la CGT, avait refusé, en novembre dernier, de ratifier le Pacte 2000 qui prévoyait notamment un retour progressif aux 39 heures travaillées 37, avant un rétablissement des 35 heures en 2021 et une diminution des jours de RTT pour les cadres. Motif : "ces efforts ne se justifiaient pas au regard de la situation économique", observe Philippe Portier. Or, 56% des salariés consultés par référendum avait approuvé le projet d’accord. La direction avait alors réagi en distribuant le 10 décembre dernier des avenants individuels à leur contrat de travail à tous les salariés : 97% avaient accepté le "deal".

La CFDT métallurgie n’est d’ailleurs favorable au principe. Lors du congrès de la confédération, il y a quelques jours, 96% des adhérents s’y sont opposés. Quitte à se placer en contradiction avec le chef de file du syndicat, Laurent Berger, qui estime que "le référendum est une démarche utile pour légitimer les organisations syndicales".

Surtout, "il peut aussi être utilisé pour contester la politique RH dans sa globalité", note Déborah David, avocate associée au sein du cabinet Jeantet & associés. Soit une sorte d’épée de Damoclès pour le DRH aux antipodes de l’objectif initial.

Dispositif subsidiaire

D’autant que le référendum ne règle rien. Car il n’a pas vocation à créer des règles, ni un cadre juridique. "Les salariés ne négocient pas. Ils ne proposent pas de mesures, ils ne rédigent pas le projet d’accord, insiste Déborah David. Ces prérogatives sont laissées à la main des syndicats. Le référendum ne remplace donc pas la négociation collective. Il s’agit d’un dispositif subsidiaire pour ne pas dire supplétif à l’accord en question". La tâche reste donc entière. Il peut juste permettre aux DRH de sonder les salariés. Ainsi, Fathallah Charef, DRH du BHV/Marais, est revenu à la table des négociations avec des nouvelles propositions sur le travail dominical à l’issue du référendum où le "non" l’a emporté. Avec succès, d'ailleurs : l'accord a été, in fine, paraphé par SUD et la CFE-CGC. "La consultation avait révélé deux inquiétudes : le projet d’accord n’était pas suffisamment précis sur la question du volontariat. Et la conciliation entre vie privée et vie professionnelle n’était pas assez affirmée", indique-t-il. Idem pour Bruno Danet, DRH de Keolis, qui  y a eu recours, par le passé, face à la difficulté de trouver une position commune avec les organisations syndicales représentatives. Même si d’autres alternatives existent pour Majda Vincent, DRH d’Ikea. "Nous cherchons à étudier les sujets en amont en impliquant collaborateurs et managers afin de faciliter les consultations : on part du besoin et des utilisateurs."

Une technique qui a le mérite "de ne pas perturber la bonne marche de l’entreprise", assure Déborah David. Car le déroulement d’un référendum, entre campagne, organisation du vote et dépouillement, est chronophage. Et peut virer au casse-tête. D’où l’intérêt de l’utiliser avec parcimonie…

 

Une mise en œuvre progressive

En pratique, le référendum sera à l'initiative des syndicats signataires ayant réuni 30% des suffrages des salariés. Le scrutin sera organisé dans un délai de 2 mois. Il pourra se dérouler par voie électronique et selon les modalités prévues par un protocole spécifique conclu entre l’employeur et les ces organisations. Les conditions de la consultation du personnel seront précisées par décret. Si les salariés approuvent majoritairement l’accord, celui-ci sera valide et ne pourra pas faire l’objet d’opposition. Ce règles s’appliqueront progressivement :

- dès la publication de la loi travail pour les nouveaux accords offensifs de l’emploi ;

- à partir du 1er janvier 2017 pour les accords portant sur le durée du travail, les repos et les congés ;

- à compter du 1er septembre 2019, pour les autres accords.

A noter : les accords de maintien dans l’emploi ne sont pas concernés par ces nouvelles règles.

 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Anne Bariet
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