Réforme du droit des entreprises en difficulté : les nouveautés à retenir

20.09.2021

Gestion d'entreprise

L’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 introduit dans notre droit les classes de créanciers par transposition de la directive européenne, clarifie l’ordre des sûretés en cas de réalisation des actifs en coordination avec la réforme des sûretés et apporte quelques autres innovations sans remettre en cause l’architecture du droit des procédures collectives.

L’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce prise en application de la loi « Pacte » du 22 mai 2019 s’accompagne d’une ordonnance du même jour réformant le droit des sûretés (Ord. n° 2021-1192, 15 sept. 2021 : JO, 18 sept.). Concernant plus particulièrement le livre VI du code de commerce, l’ordonnance n° 2021-1193 adapte tout d’abord notre droit pour transposer la directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficacité des procédures en matière de restructuration, d'insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017 (JOUE L 169, 30 juin 2017). Mais il s’agit également, toujours pour cette ordonnance, de coordonner le livre VI du code de commerce avec le nouveau droit des sûretés. Ces dispositions entrent en vigueur le 1er octobre 2021 et ne sont pas applicables aux procédures en cours au jour de son entrée en vigueur sauf exceptions très limitées (Ord., art. 73).

Le texte ne comportant pas moins de 74 articles, il est bien sûr exclu ici d’être exhaustif. On retiendra qu’il ne remet pas en cause l’architecture de nos procédures, et il suit, d’ailleurs, le plan du livre VI du code de commerce ce qui pour citer le rapport au président de la république « facilitera l'appropriation de la réforme par les praticiens ».

Des comités de créanciers aux classes de parties affectées.

L’innovation sans doute la plus spectaculaire consiste dans la mise en place de classes de créanciers ou plus précisément de « classes de parties affectées » en lieu et place des comités de créanciers. Il s’agit là de la résultante directe de la transposition de la directive précitée mais ce nouveau dispositif n’est pas généralisé à l’adoption de tous les plans, loin s’en faut. En sauvegarde et en redressement judiciaire, la mise en place de ces classes ne sera obligatoire que dans les entreprises qui dépassent certains seuils à définir par un décret mais qui à l’instar de ceux applicables aux comités de créanciers devraient être élevés, peut-être le seuil du ressort des tribunaux de commerce spécialisés (TCS). Autant dire qu’en nombre, très peu de procédures seront concernées. Toutefois, en deçà de ces seuils, et à la demande du débiteur, ce dispositif pourra être utilisé, sur autorisation du juge-commissaire (C. com. art. L. 626-29, nouv. par Ord., art. 37). En revanche, le dispositif s’appliquera quelle que soit la taille de l’entreprise en sauvegarde accélérée. Signalons au passage que les règles régissant cette procédure sont réécrites (Ord., art. 38).

Pour en revenir aux classes de parties affectées, terminologie qui permet d’intégrer outre les créanciers, « d'autres parties affectées tels que les actionnaires et autres détenteurs de capital » (Rapport au président de la République), leur répartition est laissée à l’appréciation de l’administrateur judiciaire ; il doit se baser sur des « critères objectifs vérifiables », pour regrouper « les parties affectées en classes représentatives d'une communauté d'intérêt économique suffisante » (C. com., art. L. 626-30, III, nouv. par Ord., art. 37).

Le texte ajoute qu’il doit respecter certaines conditions et en particulier « Les créanciers titulaires de sûretés réelles portant sur les biens du débiteur, pour leurs créances garanties, et les autres créanciers sont répartis en classes distinctes » (ibid.). À noter en revanche qu’il est expressément prévu que « Les créances résultant du contrat de travail, les droits à pension acquis au titre d'un régime de retraite professionnelle et les créances alimentaires ne sont pas affectées par le plan » (C. com., art. L. 626-30, IV, nouv. par Ord., art. 37). Enfin, l’administrateur soumet à chaque partie affectée les modalités de répartition en classes et de calcul des voix correspondant aux créances ou aux droits affectés leur permettant d'exprimer un vote (C. com., art. L. 626-30, V, créé par Ord., art. 38).

Le plan sera donc soumis au vote dans chacune de ces classes, la majorité étant fixée aux « deux tiers des voix détenues par les membres ayant exprimé un vote » (C. com., art. L. 626-30-2, nouv. par Ord., art. 37). Si le plan est adopté par chacune des classes, le tribunal doit pour l’arrêter, notamment vérifier qu’aucune des parties affectées ayant voté contre « ne se trouve dans une situation moins favorable, du fait du plan, que celle qu'elle connaîtrait s'il était fait application soit de l'ordre de priorité pour la répartition des actifs en liquidation judiciaire ou du prix de cession de l'entreprise en application de l'article L. 642-1, soit d'une meilleure solution alternative si le plan n'était pas validé ». (C. com. art. L. 626-31, 4°, nouv. par Ord., art. 37). Il s’agit là de la « règle du meilleur intérêt » qui fait donc son entrée dans notre droit. Ajoutons enfin, que sous certaines conditions, le tribunal peut également imposer un plan à des classes qui auraient pourtant voté contre (C. com., art. L. 626-32, nouv. par Ord., art. 37, I).

Modifications du livre VI du code de commerce relatives aux sûretés.

Les modifications en ce domaine sont assez nombreuses afin de clarifier l’ordre des sûretés en cas de réalisation des actifs, clarification qui sera utile notamment pour l’application de la « règle du meilleur intérêt » précité. À cet égard, l’article 62 de l’ordonnance n° 2021-1193 réécrit l’article L. 643-8 du code de commerce qui énonce désormais une répartition, ne comptant pas moins de 15 rangs, sans pour autant, précise le rapport au président de la République, prétendre à l’exhaustivité. Mais ce texte « ne crée pas de droits nouveaux et ne remet pas en cause l'ordre des créances tel qu'il était défini par plusieurs dispositions, notamment celles de l'article L. 641-13 et de l'article L. 643-8 dans leur version antérieure à cette ordonnance. Il ne revient pas sur le principe énoncé d'un droit au paiement à l'échéance pour les créanciers qui échappent à la règle de l'interdiction des paiements énoncée à l'article L. 622-7, ce qui est confirmé par l'ordonnance » (Rapp. au président de la République). Il ne fait toutefois guère de doute que le texte fait œuvre de clarification et participe d’une plus grande lisibilité de notre droit.

Pour le reste, on signalera que le bénéficiaire d'une sûreté réelle constituée par le débiteur en garantie de la dette d'autrui doit désormais déclarer sa créance (C. com., art. L. 622-25, mod. par Ord., art. 20). Par ailleurs, le jugement d’ouverture interdit tout accroissement de l'assiette d'une sûreté réelle conventionnelle ou d'un droit de rétention conventionnel, quelle qu'en soit la modalité (C. com., art. L. 622-21, IV, mod. par Ord., art. 19). D’autres modifications intéressent les garants personnes physiques et, en particulier, l’article 43 de l’ordonnance n° 2021-1193, qui en supprimant le dernier alinéa de l’article L. 631-14, leur permet de se prévaloir du plan en redressement judiciaire comme c’était déjà le cas en sauvegarde. Au passage, il est désormais expressément prévu que les garants peuvent procéder, même avant paiement, à la déclaration de leur créance pour la sauvegarde de leur recours personnel. (C. com., art. L. 622-34, créé par Ord., art. 23).

De quelques autres modifications.

Dans le domaine de la prévention, le président du tribunal qui convoque un dirigeant à un entretien de prévention n’aura plus à attendre l’issue de l’entretien ou le fait que le dirigeant ne se présente pas pour demander des renseignements à certaines institutions listées à l’article L. 611-2. Il pourra le faire dès l’envoi de la convocation (C. com., art. L. 611-2, mod. par Ord., art. 2).

Concernant les procédures collectives, la durée de la période d’observation sera désormais limitée à 12 mois en sauvegarde, la prolongation supplémentaire de 6 mois étant réservée au redressement judiciaire (C. com., art. L. 621-3 mod. par Ord., art. 13). À l’instar du privilège de conciliation, un privilège est instauré en faveur des apports en trésorerie intervenant durant la période d’observation (C. com., art. L. 622-17, mod. par Ord., art. 18) et un autre dans le cadre du plan (C. com., art. L. 626-2, L. 626-10, L. 626-20, L. 626-26 et L. 643-8, mod. par Ord., art. 28, 31, 33, 36 et 62).

L’adoption du plan est facilitée puisque, « Lorsque les engagements pour le règlement du passif peuvent être établis sur la base d’une attestation de l’expert-comptable ou du commissaire aux comptes, ils portent sur les créances déclarées admises ou non contestées, ainsi que sur les créances identifiables, notamment celles dont le délai de déclaration n’est pas expiré » (C. com. art. L. 626-10 mod. par Ord., art. 31). À compter de la sixième année, chacune des annuités ne pourra être inférieure à 10 % en l’absence de constitution de classes (C. com. art. L. 626-18, mod. par Ord., art. 32).

Pérennisant l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 du 20 mai 2020, l’article 52 modifie l’article L. 641-2 : la liquidation simplifiée restera donc applicable à tout débiteur personne physique dès lors que son actif ne comporte pas de bien immobilier, indépendamment de son chiffre d’affaires ou de son nombre de salariés.

Signalons enfin que le rétablissement professionnel est lui aussi encouragé. On se souvient que le seuil de l'actif déclaré par le débiteur a été rehaussé de 5 000 à 15 000 euros, par l'article 6 de l'ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020 et il est prévu selon le rapport au Président de la République, « de pérenniser par voie réglementaire », ce montant. Mais surtout, l’article 64 de l’ordonnance n° 2021-1193 prévoit que les biens que la loi déclare insaisissables de droit ne sont pas pris en compte pour déterminer la valeur de l'actif de référence qui en conditionne l'ouverture.

Ainsi, la résidence principale du débiteur, insaisissable de plein droit en application de l'article L. 526-1 du code de commerce, ne sera plus prise en compte pour la détermination de la valeur de l'actif du débiteur. Cette disposition se justifie selon le rapport au président de la République, par l'une des raisons d'être de ce rétablissement professionnel, qui est la maîtrise des frais de procédure, dont la nécessité est affirmée également par la directive (titres IV et V de la directive (UE) 2019/1023).

Philippe Roussel Galle, Conseiller scientifique

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