Réformes des sûretés et des procédures collectives : «C’est de l’horlogerie»

17.09.2021

Gestion d'entreprise

Patrick Rossi, sous-directeur du droit économique à la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice, revient pour nous sur les apports de l'ordonnance transposant la directive européenne dite restructuration préventive.

Hier, deux textes conséquents concernant le droit des sûretés et des procédures collectives ont été publiés au journal officiel. L’un d’entre eux, l'ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, assure la transposition de la directive européenne 2019/1023 du 20 juin 2019. Avec ce texte, la France modernise aussi certaines dispositions du livre VI du code de commerce relatives aux sûretés et aux créanciers qui en sont titulaires.

Dans quel contexte cette réforme a-t-elle été initiée ? 

La loi Pacte du 22 mai 2019 habilitait le gouvernement à légiférer sur deux sujets qui s’entrecroisent : les sûretés et la transposition de la directive (article 60 et 196). La directive n’était d’ailleurs pas encore publiée au moment où la loi Pacte a été votée. Par anticipation, le législateur a donc donné une habilitation au gouvernement.

La directive est la première au niveau européen qui tend à harmoniser les droits des États membres dans des procédures qui ont un caractère préventif. Elle ne concerne donc pas principalement la liquidation judiciaire. Elle comporte toutefois un volet rebond qui peut intéresser aussi les liquidations judiciaires. C’est un ensemble très riche, à la fois contraignant et souple, qui laisse un grand nombre d’options aux États membres.

Sur les sûretés, les travaux de la commission Grimaldi nous donnaient aussi des pistes.

Nous n’avons pas voulu « tout détruire » mais construire sur la base des fondations du droit tel qu’il existait jusqu’à présent. Nous avons essayé de permettre aux praticiens d’avoir très vite des repères. Néanmoins, la mise en œuvre des classes de créanciers sera un processus relativement complexe. C’est de l’horlogerie. Il faudra voir si en pratique le montage législatif et réglementaire retenu permet réellement d’être efficace ou s’il devra être adapté.

Quels sont les objectifs de cette réforme ? 

La directive comporte de très nombreux considérants qui éclairent les orientations et la lecture de ce texte. L’objectif est avant tout de lutter contre les prêts non performants pour lesquels les chances de remboursement sont très faibles. Ils génèrent ainsi des coûts importants pour les établissements de crédit et indirectement pour les entreprises qui se financent auprès de ces établissements. Le texte européen entend rééquilibrer les rapports de force au sein des procédures collectives en faveur des créanciers. Il nuance cependant les choses. Le texte précise qu’il faut préserver un équilibre et s’assurer qu’il y ait une cohérence entre le traitement des salariés, des créanciers, des débiteurs et des actionnaires.

Mais l’orientation de 2019 a été influencée par la crise liée à la pandémie actuelle. La priorité donnée aux créanciers financiers, notamment, a été infléchie par la nécessité de prendre en compte les besoins de sauvegarde, donc de maintien de l’activité des entreprises…

Du fait de la crise, vous avez donc revu votre plan de départ ? 

Cela n’a pas bouleversé complètement les orientations puisqu’elles étaient fixées dans la directive. La loi Pacte, elle-même, affirmait la nécessité de trouver un équilibre entre les intérêts en présence et elle contient des dispositions favorables aux garants, les cautions notamment. Elle permet aussi de consolider des techniques de financement relativement modernes qui remettent en cause les priorités entre les créanciers en faveur de ceux titulaires de garanties.

Malgré ces grandes lignes, le curseur a été légèrement déplacé dans le sens d’une priorisation plus forte donnée au maintien de l’activité.

Comment cela se matérialise-t-il ? 

Cela se traduit par le fait que lorsque l’on a mis en place le système introduit par la directive européenne inspiré par les droits allemands et anglo-saxons, le système dit des classes de créanciers, on a cherché à davantage préserver le traitement des actionnaires. On aurait pu introduire en droit français un système beaucoup plus contraignant pour les actionnaires et leur imposer plus rigoureusement des plans, avec modification du capital malgré leur désaccord.

Le texte finalement retenu est plus nuancé. Il prévoit la possibilité d’imposer des modifications du capital aux actionnaires contre leur gré mais il ne le fait pas d’une manière aussi brutale que celle qui aurait pu être envisagée initialement. Et cela n’est pas possible dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou de sauvegarde accélérée. Il y a un grand nombre de précautions et de garde-fous en cas de procédure de redressement judiciaire. Pourtant, si elle est enclenchée, c’est qu’il y a un risque majeur d’échec et de liquidation judiciaire.

Comment le système des classes de créanciers va-t-il fonctionner ? Est-il différent de celui des comités de créanciers ? 

C’est une évolution très importante dont il est difficile de mesurer l’impact. Cela va dépendre de la pratique. Compte tenu des seuils insérés dans la loi, la mise en œuvre des classes de créanciers ne correspondra qu’à une minorité de procédures. Elles sont obligatoires en cas de sauvegarde accélérée. Elles le sont également en cas de sauvegarde ainsi que de redressement judiciaire à partir d’un certain seuil.

Les classes de créanciers sont très différentes des comités dans leur esprit et dans leurs prérogatives. Les comités étaient déterminés en fonction de la nature des créances, en distinguant les établissements financiers, les fournisseurs et les obligataires. Les classes de créanciers ne seront pas déterminées par la nature ou la qualité du créancier mais par le niveau de risque. Il y aura donc une distinction fondamentale entre les créanciers garantis et les non garantis qui pourra être affinée à l’infini. Au sein des créanciers garantis, il peut y avoir plusieurs classes selon l’efficacité de la garantie en question. On a, par ailleurs, si des modifications du capital sont envisagées, une classe des détenteurs de capital, les actionnaires pour la plupart des sociétés concernées, qui va être également amenée à voter sur le plan.

L’autre différence avec les comités de créanciers, se situe dans le fait que le vote des classes de créanciers va s’imposer au tribunal. On aura un pouvoir important des classes de créanciers et un pouvoir moins important du tribunal.

Ces différentes classes auront-elles le même pouvoir les unes par rapport aux autres ? 

Un système assez sophistiqué va permettre « l’application forcée interclasses ». Le schéma le plus simple est le suivant : toutes les classes constituent des collèges électoraux au sein desquels un vote à la majorité des deux tiers sera effectué. A supposer qu’il y ait trois classes par exemple, si chacune des classes vote dans le même sens, il n’y a pas de difficulté.

Si une classe n’est pas favorable au plan, quand d’autres le sont, plusieurs solutions permettent de régler cette situation de conflit. On peut appliquer le principe de « l’application forcée interclasses », avec une règle dite « de priorité absolue ». On va ainsi permettre au tribunal d’arrêter un plan, alors même qu’il y a opposition, si le plan respecte la règle dite de « priorité absolue ». Il devra donc être conçu pour permettre que les créanciers les mieux garantis soient intégralement indemnisés, en tout cas couverts, avant que les classes de niveau inférieur ne soient indemnisées. Ce système en cascade va déterminer l’application forcée.

On ne peut donc pas imaginer que les créanciers chirographaires votent un plan contre une classe de créanciers garantis alors que ces créances ne seraient pas payées en priorité par rapport aux créances chirographaires. Mais l’inverse est possible…. La loi prévoit toutefois des exceptions et des outils de contrôle des risques d’abus.

Comment les clasees de créanciers seront-elles composées ? 

Le législateur n’a pas voulu être trop contraignant dans les règles de définition de la composition des classes. On veut que les classes reflètent la réalité du passif de l’entreprise. Si vous avez un passif essentiellement financier, il est normal qu’on donne un rôle particulier aux créanciers financiers. Si votre passif repose majoritairement sur des créances publiques, la même conséquence s’impose. Il faut permettre à l’administrateur, qui va être le chef d’orchestre de tout cela, d’avoir une capacité d’appréciation. Mais dans un cadre qui va être relativement restrictif. A la fois parce que la loi définit des critères d’instauration de ces classes et parce que le tribunal a un pouvoir de contrôle important. Il est clair que, comme en matière électorale, la définition d’un collège peut influencer le vote.

La loi reprend le critère de la directive de « communauté d’intérêts ». Les créanciers qui composent une classe doivent correspondre à une telle communauté. Quand le vote est soumis au contrôle du tribunal, il y a toute une série de recours qui sont possibles et le tribunal lui-même doit vérifier un certain nombre de points. Dans l’hypothèse d’une application forcée interclasses, il doit vérifier, par exemple, que les créanciers ne reçoivent pas une contrepartie qui serait inférieure à celle qu’ils recevraient en cas de liquidation judiciaire. C’est ce que l’on appelle le critère du meilleur intérêt.

Une circulaire d’interprétation précisera ces éléments de contrôle.

Qu'en est-il des éventuels salariés de l'entreprise ?

Les salariés ne sont pas concernés par les classes. Ils ne peuvent pas être affectés par le plan. On ne peut pas leur imposer le non-paiement de leur salaire ou des choses aussi inacceptables que ce genre de plan.

Concernant la réforme des sûretés dans le cadre des procédures collectives, que peut-on dire ? 

Le point le plus saillant est le traitement de la caution, notamment lorsqu’il s’agit d’une personne physique. Un ensemble de dispositions protègent ce garant de manière plus efficace. Nous avons aussi introduit un dispositif qui remet en cause l’efficacité d’une sûreté considérée jusqu’à présent comme extrêmement efficace : l’hypothèse où le débiteur en procédure collective s’est porté garant de la dette d’un tiers sur les éléments précis de son patrimoine. Ce qu’on appelle la caution réelle. Ce n’est pas une dette du débiteur en procédure collective mais une garantie pour la dette d’un tiers. Elle échappait donc à la procédure collective. Nous remettons cette jurisprudence en cause. C’est un point significatif pour les établissements de crédit.

Certains dispositifs dérogatoires mis en place dans le contexte de la pandémie actuelle sont pérennisés par l’ordonnance. Lesquels ?

On cherche à faciliter les procédures préventives. Le privilège de post monney, par exemple, c’est-à-dire la possibilité de donner un rang prioritaire à des financeurs qui acceptent d’apporter de l’argent frais au soutien de la poursuite d’activité. C’est un point innovant.

En matière de rebond, le champ des procédures de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire simplifiée est étendu. Les personnes éligibles à ces procédures très courtes, plutôt favorables aux débiteurs lorsqu’ils sont dans en situation compromise, sont plus nombreuses.

Les principales dispositions de l’ordonnance entrent en vigueur au 1er octobre. Pourquoi ne pas avoir laissé plus de temps aux professionnels ?

La directive devait être transposée au plus tard le 17 juillet dernier. Nous étions déjà en retard.

Les professionnels connaissent déjà les grands axes de la réforme. Il n’y a pas de surprise. Les points plus méconnus ne posent pas de problème de lecture.

Les classes de créanciers représenteront quelques dizaines de procédures par an. Cela permettra aux professionnels de se former et de se préparer. Beaucoup de colloques sont prévus. Je crois qu’il n’y aura pas de difficulté. Il faudra plusieurs mois, voire années, pour vérifier que cela fonctionne effectivement.

Sophie BRIDIER

Nos engagements