Dans cette chronique, Vincent Jacquemond, expert SSCT chez Secafi et associé Groupe Alpha, et Amandine Michelon, chargée d’études au Centre Etudes & Data du Groupe Alpha, pointent la nécessité pour les entreprises de mettre en place des représentants du personnel en proximité des situations de travail afin d'avoir une politique de prévention efficace en matière de conditions de travail.
Les ordonnances Travail de 2017 avaient posé l’ambition de renouveler et de rendre plus dynamique l’exercice du dialogue social. Alors que la grande majorité des comités sociaux et économiques (CSE) sera renouvelée en 2023, l’achèvement du premier cycle des CSE est le bon moment pour en dresser un bilan tiré des retours d’expérience issus de nos expertises.
En matière de dialogue social sur les conditions de travail et la santé au travail, on constate un écart significatif entre l’intention des ordonnances et la réalité des pratiques observées.
Le passage au CSE poursuit la tendance à l’élargissement des périmètres des instances représentatives du personnel dans les plus grandes entreprises et contribue, entre autres, à une centralisation de la représentation du personnel. Cette centralisation concerne tant les instances représentatives du personnel que les pratiques de négociation.
A la fois cause et symptôme de cette centralisation, la disparition d’un espace de dialogue social de proximité dédié aux questions de santé, sécurité et conditions de travail est clairement identifiée comme le plus nuisible à la qualité de la vie au travail. En effet, les ordonnances du 22 septembre 2017 actent la disparition d’une instance autonome dédiée spécifiquement aux questions de santé, de sécurité et de conditions de travail dans les entreprises (les CHSCT), obligatoire à partir de 50 salariés, pour y substituer une commission (la CSSCT), obligatoire seulement à partir de 300 salariés. Les effets sont notoires : le rapport d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 a alerté sur la diminution, depuis la mise en place des CSE, du taux de couverture des salariés par des instances spécifiques aux questions de santé, sécurité et conditions de travail (SSCT), y compris dans les entreprises de 300 salariés et plus.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Plus globalement, cette évolution a des effets, non seulement, sur les questions de SSCT, puisque celles-ci sont désormais moins bien traitées, mais également sur les instances de représentation actuelles. En effet, faute d’avoir mis en place des CSSCT de proximité, les entreprises rencontrent des difficultés à traiter les questions relatives aux conditions de travail dans des CSE aux ordres du jour souvent trop chargés.
Dans les entreprises multisites, la centralisation des CSE conduit à un éloignement des représentants du personnel du terrain, rarement compensé par la mise en place de représentants de proximité, dans la mesure où seulement 25% des accords de CSE en instaurent. Lorsque c’est le cas, leurs moyens sont fortement limités. Cette mise à mal de la représentation de proximité vient s’ajouter à l’éloignement des décideurs et renforce une tendance à gérer la santé au travail via des indicateurs.
Loin du terrain, utilisant de plus en plus la visio-conférence pour réunir des représentants issus de différents sites, le dialogue social est mis à distance du travail réel. Il a alors peu de chance d’aboutir à des solutions en phase avec les attentes et les besoins des activités locales.
Cette situation contribue au développement de mobilisations spontanées. Ce dernier peut être compris comme un signe des difficultés de remontées des problématiques soulevées par le travail réel en local vers le niveau central et, plus globalement, de l’articulation du dialogue social entre échelles locale et centrale. Plusieurs entreprises font face à des phénomènes de "gilets jaunes" ou à des conflits, avec arrêts de travail spontanés (grèves, débrayages, etc.), sans que ces événements ne soient pris en charge par des organisations syndicales. Sans interlocuteurs identifiés au préalable et en l’absence de revendications concrètes avec propositions de plan d’action, les mesures de sortie du conflit sont difficiles à opérer.
N’étant pas instruites et régulées localement, les situations de risques ou de tensions prennent de l’ampleur et remontent au niveau central uniquement après aggravation de leurs conséquences.
Lors de nos interventions, nous observons fréquemment des situations qui témoignent d’une régulation sociale insuffisante sur le terrain :
- un dysfonctionnement local non régulé, qui se traduit au final par une plainte pour harcèlement et un service en crise ;
- l’absence de prise en compte, dans la phase de projet, des impacts organisationnels qu’implique l’introduction d’un nouvel outil informatique (par exemple) et qui se traduit, lors de la mise en œuvre, par un désordre dans l’activité, avec une forte dégradation de la qualité de service ;
- des problèmes de conditions de travail ou de salariés en difficulté, qui ne sont pas suffisamment pris en compte et aboutissent, sur le long terme, à des licenciements pour inaptitudes ;
- des difficultés de fonctionnement dans les roulements de quart ou les astreintes de certaines activités qui ne trouvent d’issues qu’après une grève ou une mobilisation spontanée des métiers concernés…
Développer une culture de prévention pour agir à la source, notamment sur les causes organisationnelles, est un enjeu d’autant plus important que les défis à relever en matière de santé et sécurité au travail seront nombreux dans les prochaines années. L’augmentation de l’âge de départ en retraite, comme le dérèglement climatique, génère des risques supplémentaires. Ils nécessiteront, dans de nombreux métiers, l’adaptation de la charge et des conditions de travail pour concevoir un travail tenable et désirable - soyons ambitieux - dans la durée. Cela nécessite une prise en compte des réalités vécues par ceux qui réalisent le travail. Ce sont eux qui connaissent le mieux le temps, les efforts et les ressources dont ils ont besoin pour atteindre les objectifs assignés.
C’est dans cette logique que les récentes "Assises du travail" ont proposé de placer l’écoute des travailleurs comme nouveau principe de prévention des risques professionnels et recommandé d’organiser le dialogue social en proximité des situations de travail.
Cela implique d’adapter le format des instances représentatives du personnel de nombreuses entreprises, en négociant la mise en place d’instances locales et en leur octroyant des moyens et des prérogatives élargies. Dans les entreprises multisites, se contenter des mesures supplétives du code du travail revient à privilégier des instances centralisées, loin du terrain où le dialogue social devient virtuel. Or, le dialogue social sur le travail ne peut se contenter d'être formel. Il doit proposer des améliorations concrètes, efficaces et attendues par les salariés.
L'écoute des salariés, la prévention et le dialogue sur les conditions de travail demandent des moyens et du temps. Mais de nombreuses études l’ont démontré : c’est un investissement rentable, efficace et profitable à tous sur le long terme.
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