Résidences de tourisme : seul le bail initial a une durée ferme
02.10.2023
Gestion d'entreprise

La troisième chambre civile a mis un point final à une bataille judiciaire qui opposait depuis plus d’une dizaine d’années le groupe Pierre & Vacances, exploitant de résidences de tourisme, à des bailleurs à qui il avait délivré des congés triennaux pendant le cours de baux renouvelés.
1. De nombreux bailleurs concernés avaient, sur le fondement de l’article L. 145-7-1 introduit dans le code de commerce par la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques, dite « loi Novelli », contesté la validité des congés triennaux délivrés par cet exploitant de résidences de tourisme au cours de baux renouvelés.
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La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Cet article dispose : « Les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme mentionnées à l’article L. 321-1 du code du tourisme [nota : à savoir les résidences de tourisme « classées »] sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale » (C. com., art. L. 145-7-1).
Soutenant que les locataires exploitants de résidences de tourisme seraient victimes d’un traitement inégalitaire par rapport aux autres preneurs à bail commercial auxquels l’article L. 145-4 du code de commerce permet de délivrer congé à l’issue de l’une ou l’autre des périodes triennales, l’exploitant avait dans un premier temps saisi le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris d’une demande de renvoi à la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, demande à laquelle le juge avait fait droit dans les termes suivants :
« L'article L. 145-7-1 du code de commerce porte-t-il atteinte aux droits garantis par la Constitution et, plus particulièrement, au principe d'égalité des citoyens devant la loi et les charges publiques édicté à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».
2 . Par une motivation lapidaire, la Cour de cassation, avait dit le 16 mars 2017 n’y avoir lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel, considérant qu’elle ne présentait pas de caractère sérieux «en ce que la différence de traitement existant entre les preneurs de logements situés dans une résidence de tourisme classée, qui seuls ne peuvent user de la faculté de résiliation triennale, et les autres locataires commerciaux, est justifiée par un motif d’intérêt général d’ordre économique tenant à la nécessité de garantir la pérennité de l’exploitation des résidences de tourisme classées, lequel est en rapport avec l’objet de la loi qui est de protéger les propriétaires du risque de désengagement, en cours de bail, des exploitants » (Cass. 3e civ., 16 mars 2017, n° 16-40.253 et +., QPC ; Dalloz actualité, 24 mars 2017, obs. Y. Rouquet; AJDI 2017. 513, obs. Y. Rouquet ; RTD com. 2017. 582, obs. J. Monéger).
Ces considérations tenant à l’ordre public économique étaient peu discutables.
On se rappellera en effet que dans le cadre de leur politique de diversification d’offres de placements financiers à destination de leurs clients, les établissements bancaires proposaient depuis de nombreuses années des produits d’investissement défiscalisés dans des résidences de tourisme classées.
Un régime fiscal très avantageux avait été instauré pour encourager l’investissement immobilier dans des zones à potentiel touristique et en déficit d’infrastructures d’hébergement. Le montage contractuel était généralement le même : un établissement bancaire (souvent adossé à un promoteur et à un commercialisateur appartenant au même groupe) proposait à ses clients d’acheter en état de futur d’achèvement un ou plusieurs lots de copropriété dans une résidence de tourisme classée, destinés à être loués à un unique locataire, une société spécialisée dans l’exploitation et la gestion de résidences de tourisme, en vue de sous-louer les appartements meublés pour de courts séjours à une clientèle de tourisme et, accessoirement, à une clientèle d’affaires.
Le problème venait du fait que le loyer de départ proposé aux copropriétaires-investisseurs était souvent fixé à un montant particulièrement attractif (suffisamment en tout cas pour les inciter à investir dans la perspective ou la croyance d’une garantie de revenus locatifs sur la durée entière du bail). Ce loyer étant souvent déconnecté de la valeur locative et surtout de l’attractivité touristique réelle de l’emplacement, l’équilibre financier pouvait rapidement devenir précaire pour la société d’exploitation (loyers trop élevés à payer aux copropriétaires-investisseurs au regard des recettes dégagées).
De fait, si l’exploitant n’était pas déjà en procédure collective avant l’échéance de la première période triennale du bail, il pouvait être tenté de mettre fin à « l’hémorragie » en délivrant congé à l’échéance de cette période pour l’ensemble des baux. Le rédacteur du bail étant toujours la société d’exploitation ou l’établissement bancaire ayant commercialisé le produit d’investissement, il se sera réservé, ou avait à l’esprit, pour les baux rédigés avant le 25 juillet 2009, la faculté de donner congé pour chacune des périodes triennales comme le prévoit l’article L. 145-4 du code de commerce.
C’est à ce moment précis que le « piège fiscal » risquait de se refermer sur les bailleurs-investisseurs individuels, indépendamment de la bonne foi de la société d’exploitation confrontée à de réelles difficultés de gestion. En effet, le bénéfice des réductions d’impôt sur le revenu au titre des investissements locatifs réalisés dans les résidences de tourisme, prévu par les articles 199 decies E à G du code général des impôts, est subordonné à l’engagement de « louer le logement nu pendant au moins 9 ans à l’exploitant de la résidence de tourisme » (CGI, art. 199 decies E, al. 5) ; et si le bailleur investisseur ne respecte pas cette obligation, la réduction d’impôt pratiquée est susceptible d’être reprise par l’administration fiscale au titre de l’année de la rupture de l’engagement.
De plus, la taxation des loyers facturés à la société d’exploitation a pour contrepartie la possibilité pour le bailleur-investisseur de déduire immédiatement la TVA ayant grevé l’acquisition de son lot. Or, si le bail est résilié de manière anticipée, ce même bailleur est exposé à devoir restituer la TVA initialement remboursée s’il ne parvient pas à conclure un nouveau bail avec un exploitant exerçant une activité assujettie à la TVA, c’est-à-dire une activité hôtelière ou para-hôtelière répondant aux conditions fixées par le a) et le b) du 4° de l’article 261 D du code général des impôts (hôtels de tourisme classés, villages de vacances classés ou agréés, résidences de tourisme classées, mise à disposition d’un local meublé avec un certain nombre de prestations para-hôtelières). Autant dire, un risque majeur pour des bailleurs individuels non-professionnels de l’immobilier.
C’est pourquoi le législateur est intervenu par la loi du 22 juillet 2009 en créant le nouvel article L. 145-7-1 précité pour interdire au preneur, exploitant d’une résidence de tourisme classée, de donner congé avant l’expiration d’une durée ferme de 9 ans, et ce, afin de protéger les copropriétaires-investisseurs de la perte du bénéfice des avantages fiscaux liés à ce type d’investissement immobilier.
Ce texte souffrait manifestement d’une rédaction hâtive et maladroite, en visant les « baux commerciaux signés ». Mais, plus encore, il ne précisait ni qu’il serait applicable aux baux en cours, ni que son application fût limitée au bail initial.
Quelques semaines avant l’arrêt du 16 mars 2017, la troisième chambre civile avait été appelée à statuer sur un pourvoi qui contestait cette fois l’applicabilité de l’article L. 145-7-1 du code de commerce à un bail en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi du 22 juillet 2009.
Par un arrêt du 10 novembre 2015, la cour d’appel de Poitiers avait considéré que la nouvelle loi ne pouvait s’appliquer à des baux conclus avant son entrée en vigueur. Décision censurée par la Cour de cassation qui, par arrêt du 9 février 2017 (n° 16-10.350, FS-P+B+I) ; v. J. Prigent, in Chron., Lexbase Affaires, mars 2017, n° 501), jugeait que l’article L. 145-7-1 doit être tenu pour un texte d’ordre public immédiatement applicable aux baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi. Cet arrêt avait été abondamment commenté et parfois critiqué (v. not. : Dalloz Actualité, 13 février 2017, obs. Y. Rouquet ; RTD com., 2017, p. 46, obs. J. Monéger ; Administrer, mars 2017, p 31, note D. Lipman W-Boccara ; Loyers et copr., 2017, comm. 79, obs. E. Chavance ; Lexbase Affaires, mars 2017, J. Prigent, Chron. n° 501; AJDI, 2017, 432, obs. A. Antoniutti ; JCP E, 2017, 1320, § n° 14, obs. B. Brignon ; D. 2017. 1107, note G. Casu ; ibid. 1572, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki; AJDI 2018. 11, étude H. Jégou et J. Quiroga-Galdo; Gaz. Pal. 11 juill. 2017. 58, obs. J.-D. Barbier).
Comme l’avaient relevé plusieurs commentateurs, le législateur, en ne conférant pas explicitement au texte un caractère d’ordre public, avait pris le risque de le vider de toute efficacité au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi.
Mais la lacune de l’ordre public textuel était désormais comblée par l’ordre public prétorien (v. sur ces questions, notre ouvrage Baux commerciaux 2018, Editions Législatives, p. 201 et s.,).
Demeurait donc la question de l’applicabilité de la loi Novelli aux baux renouvelés, dont la solution n’allait pas de soi (v. J.-P. Blatter, Traité des baux commerciaux, 7e éd., Le Moniteur, nos 319 s., p. 212 s.).
Après l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2017, les instances engagées par les bailleurs avaient repris leur cours devant le tribunal de grande instance de Paris. Par plusieurs jugements en date du 25 juin 2019, ce tribunal, faisant doit à la thèse des bailleurs, jugea que les congés ne pouvaient prendre effet qu’à l’expiration de la durée du bail renouvelé.
Mais sur appel de l’exploitant, la cour d'appel de Paris, par plusieurs arrêts du 27 Janvier 2021 (Pôle 5, ch. 3, n° 19/14665 et a.), désavouait les juges par les motifs suivants :
« Il résulte des débats parlementaires que [l’article L. 145-7-1 du code de commerce] a été introduit dans la loi sur amendement sénatorial, afin de lutter contre le désengagement du preneur lors du bail initial et parfois même lors de la première période triennale du bail initial, ce qui avait notamment pour effet de priver les bailleurs du bénéfice fiscal qu'ils pensaient obtenir en concluant ce type de baux commerciaux. Cet avantage fiscal prenant fin avec le premier bail, l'article L145-7-1 du code de commerce qui institue un régime dérogatoire au régime légal de droit commun qui permet au preneur de mettre fin au bail à l'issue de chaque période triennale en application de l'article L145-4 du code de commerce, et protège ainsi le bailleur pendant la durée initiale de neuf ans de toute perte de l'avantage fiscal, n'a plus de justification en ce qui concerne les baux ultérieurement renouvelés, or, il est de principe que la loi cesse, là où cesse ses motifs. »
Se référant toujours à l’intention du législateur, la cour d’appel de Paris jugeait que « l'application littérale du texte, en ce qu'il se réfère à la notion de "signature", aurait pour effet d'établir une différence entre les bailleurs qui auraient signé un contrat de bail renouvelé et ceux auxquels un tel document n'aurait pas été proposé à la signature, mais qui seraient néanmoins tenus envers le preneur par un bail renouvelé non signé, ce qui serait dépourvu de sens ».
Saisie par l’exploitant, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, par cinq arrêts du 7 septembre 2023, vient de mettre un terme au débat en jugeant que l'article L. 145-7-1 du code de commerce n'est pas applicable aux baux renouvelés, soumis au seul article L. 145-12 du même code. Ce dernier texte, auquel la Cour de cassation avait par ailleurs conféré un caractère d’ordre public (Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, n° 01-02.781, publié au Bulletin) prévoit en effet en son alinéa 2 que les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 145-4, relatifs à la faculté de résiliation triennale, sont applicables au cours du bail renouvelé.
Pour adopter cette solution, la Haute juridiction s’est à son tour référée aux travaux préparatoires de la loi Novelli, dont il ressort selon elle que « l'objectif poursuivi par le législateur est de rendre fermes les baux commerciaux entre l'exploitant et les propriétaires d'une résidence de tourisme classée afin d'assurer la pérennité de l'exploitation pendant une période initiale minimale de neuf ans ».
Comme d’autres commentateurs (v. J.-D. Barbier et S. Valade, Dalloz Actualité, 19 septembre 2023 ; B. Brignon Lexbase Affaires n° 768, 21 septembre 2023) nous ne pouvons qu’approuver cette interprétation de l’article L. 145-7-1°.
D’abord, elle n’est en rien contraire à la lettre du texte : s’il impose une durée ferme du bail pendant un « minimum » de neuf ans, il n’interdit nullement au preneur-exploitant de donner congé au-delà et notamment en cas de prolongation tacite du bail, de sorte qu’il n’y aurait aucun sens à le lui interdire si le bail est ultérieurement renouvelé.
Ensuite, la solution réalise un juste équilibre entre l’impératif de stabilité pour la protection des investisseurs individuels et la nécessité de permettre aux preneurs-exploitants de recouvrer leur liberté de se désengager après une durée incompressible de neuf années.
Il reste seulement permis de se demander si les objectifs poursuivis par le législateur pour la stabilité des baux de résidences de tourisme classées, n’auraient pas justifié d’étendre la règle aux baux d’autres catégories de résidences services (étudiants, seniors, personnes âgées dépendantes).
Les promoteurs de ces autres types de résidences attirent pareillement l’investissement locatif tant par des promesses de loyers garantis que par des avantages fiscaux toujours subordonnés à une condition de location de longue durée. Ainsi par exemple, l’investissement en résidences services pour seniors qui (outre des réductions d’impôts éligibles sous conditions aux dispositifs de défiscalisation Censi-Bouvard et Pinel, la déduction des intérêts d’emprunt et l’amortissement de l’immobilier sur 30 ans), permet de récupérer la TVA sur le prix de revient hors taxe à condition que le bien soit loué pendant vingt ans.
Il est vrai qu’en pratique, les baux de ces autres types de résidences-services sont généralement conclus pour une durée ferme de neuf années ou plus. Mais le particulier qui investit dans l’un de ces autres types de résidences services n’aurait-il pas mérité d’être pareillement protégé par la loi du risque de désengagement de l’exploitant avant le terme du bail initial ?
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