Résiliation en ligne, quels impacts pratiques pour les entreprises ?

Résiliation en ligne, quels impacts pratiques pour les entreprises ?

14.04.2024

Gestion d'entreprise

Rendre possible la résiliation en ligne pour tous les clients consommateurs est désormais de rigueur pour les entreprises proposant la conclusion de contrats en vue de la fourniture de produits ou de services par voie électronique et ce, indépendamment du fait de savoir si le consommateur souhaitant résilier son contrat, l'a conclu par voie électronique. Sahra Hagani, associée chez Grant Thornton Société d'Avocats et Marcela Szczech, avocate du même cabinet, nous expliquent la mise en œuvre concrète.

Le nouvel article L 215-1-1 du code de la consommation, issu de la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat (loi « MUPPA ») et complété par le décret relatif aux modalités techniques de résiliation des contrats par voie électronique est entré en vigueur le 1er juin 2023. Il prévoit, en son alinéa 1er, que « Lorsqu’un contrat a été conclu par voie électronique ou a été conclu par un autre moyen et que le professionnel, au jour de la résiliation par le consommateur, offre au consommateur la possibilité de conclure des contrats par voie électronique, la résiliation est rendue possible selon cette modalité. ». Le texte, complété du Décret, impose par ailleurs un nombre d’étapes au parcours de résiliation limité à 4. Le non-respect de cette disposition est sanctionné par une amende administrative pouvant aller jusqu’à 15 000 euros pour une personne physique et 75 000 euros pour une personne morale.

Il en résulte que dès lors qu’un professionnel offre la possibilité de conclure un contrat par voie électronique pour tout ou partie de ses produits ou services, il doit permettre, au consommateur, de résilier par voie électronique, grâce à un parcours en 4 étapes, tous ses contrats, y compris ceux qui n’ont pas été conclus par voie électronique. Ceci, afin de faciliter, pour le consommateur, le changement de cocontractant en vue de faire jouer la concurrence entre les professionnels et préserver son pouvoir d’achat. 

Naturellement, se pose la question de l’impact de cette nouvelle règlementation sur les professionnels.

Pour mesurer les effets de ce dispositif, il convient d’analyser tant son champ d’application (I) que les conséquences pratiques et juridiques de l’encadrement du parcours de résiliation (II).

Champ d’application du dispositif de résiliation en ligne

Bien que l’article L. 215-1-1 du code de la consommation est supposé avoir un champ d’application relativement circonscrit, une interprétation littérale du texte semble donner lieu à une application différente de celle initialement prévue par le législateur lors de la discussion du projet de loi tant sur la nature juridique des contrats concernés (a) que sur ce que revêt concrètement la notion de conclusion d’un contrat par voie électronique (b).

Quels sont les contrats impactés ?

Tous les contrats. C’est en tout cas ce qui ressort de la lettre de l’article L. 215-1-1 du code de la consommation qui vise le contrat conclu par voie électronique sans définir plus avant la qualification juridique des contrats concernés par ce dispositif.

Par ailleurs, ce texte a été inséré au sein du Livre 1, Titre 1 du code de la consommation relatif aux conditions générales des contrats. Aussi, le texte ne permet pas de circonscrire son champ d’application à uniquement une ou plusieurs catégories de contrats conclus par voie électronique. Ce faisant, suivant sa lettre, ce dispositif serait applicable tant à des contrats de vente que des prestations de services et cela, qu’ils soient à exécution successive ou instantanée.

Or, l’utilité pratique d’offrir la possibilité de résilier un contrat à exécution instantanée en ligne interroge au regard de l’objectif poursuivi par le législateur. Il est en effet difficile d’imaginer des cas dans lesquels la résiliation d’un contrat à exécution instantanée – par exemple la vente ponctuelle d’un produit – pourrait être justifiée en pratique par la préservation du pouvoir d’achat du consommateur sans porter atteinte de manière disproportionnée au principe de force obligatoire du contrat. A notre sens, les contrats à exécution instantanée devraient être exclus du champ d’application du texte.

A cet égard, le gouvernement semblait partager cette position dans son étude d’impact relative au projet de loi MUPPA. L’Etude d’impact précise, en effet, que « cette mesure aura essentiellement un impact sur les contrats de fourniture de services souscrits par voie électronique. Les contrats de vente à exécution instantanée ne seront pas concernés par cette disposition portant sur la résiliation des contrats. ». Les travaux parlementaires sont en revanche plus flous sur les contrats exclus du champ d’application, les députés et sénateurs évoquant de manière juridiquement imprécise les contrats d’abonnements comme cible du dispositif. Néanmoins, les députés s’inscrivent, en creux tout du moins, dans la même ligne.

La DGCCRF, autorité de contrôle en la matière, n’a pas, à notre connaissance, officiellement déclaré s’aligner sur cette interprétation. Néanmoins, les implications juridiques liées à une interprétation littérale du texte la conduiront sans doute à adopter une position réaliste et à ne pas l’appliquer à des contrats à exécution instantanée.

Quid du champ d’application positif du texte ? Difficile de répondre de manière certaine à ce stade dans la mesure où ni le gouvernement, ni les travaux parlementaires n’en proposent une. On serait tenté de le définir en opposant au contrat à exécution instantané, le contrat à exécution successive, opposition implicitement présente au sein de l’article 1111-1 du code civil définissant ces deux typologies de contrats. Cela serait néanmoins prendre le risque de ne pas appréhender l’ensemble des contrats visés par le législateur au travers de la notion de contrats d’abonnements, notion qui n’a pas, à notre sens, de réalité juridique en tant que telle. En effet, l’article 1111-1 du code civil définit les contrats à exécution successive comme « celui dont les obligations d'au moins une partie s'exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps. ». Une interprétation littérale de cet article pourrait conduire à limiter la qualification juridique de contrats à exécution successive aux seuls contrats portant sur des prestations de service et donc limiter le champ d’application de l’article L. 215-1-1 du code de la consommation aux seuls contrats de prestation de services. Néanmoins, en pratique, ce qu’on appelle communément des contrats d’abonnements renvoie à une réalité de contrats plus diverse et variée. Les contrats d’abonnement ne concernent pas uniquement des prestations de service mais peuvent également concerner la livraison de produits. On peut penser, par exemple, à l’abonnement à un journal ou de manière plus récente aux abonnements aux box que le consommateur souscrit pour recevoir, tous les mois, des produits de dégustation ou des vêtements. L’écueil, cependant, avec la notion de contrat d’abonnement, c’est qu’elle n’est pas une notion connue du droit des obligations en tant que telle, faute de définition légale, jurisprudentielle ou doctrinale qui fasse consensus. Certains auteurs se sont interrogés sur la définition de ce type de contrat de manière ponctuelle sans toutefois que la question suscite un réel intérêt en doctrine, les difficultés qu’est susceptible de poser ce type de contrats n’appelant pas une telle réflexion. On peut néanmoins relever que parmi les éléments qui ne sont plus discutés par la doctrine figure le fait que l’abonnement constitue une modalité du contrat entraînant la formation d’un contrat à exécution échelonnée et peut dès lors, d’un point de vue juridique, concerner la fourniture de produits. Une telle analyse serait, au demeurant, en phase avec le changement de titre du chapitre V, du livre II du titre I du code de la consommation par la loi MUPPA qui avant l’introduction de l’article L. 215-1-1 s’intitulait « Reconduction des contrats de prestations de services ». Aujourd’hui, il porte le titre « Reconduction et modalités de résiliation des contrats. » : la référence aux seuls contrats de prestation de service est supprimée. Elle ne contredirait pas par ailleurs la position du gouvernement dans son Etude d’impact qui n’avait pas exclu l’application du dispositif aux contrats d’abonnements portant sur la fourniture de produits.

En conséquence, à notre sens, il convient de considérer que sont concernés par le dispositif les contrats d’abonnement portant tant sur la fourniture de prestations de service que de produits, sous réserve bien sûr que le professionnel propose par ailleurs pour tout ou partie de ses produits ou service, la conclusion de contrats par voie électronique.

Qu’est-ce qu’un contrat conclu par voie électronique ?

La question peut sembler anodine tant nous nous sentons familiers de cette notion, que nous soyons professionnels ou consommateurs. Néanmoins, la multiplication de l’utilisation d’outils électroniques au sein de points de vente tels que les tablettes ou des bornes permettant d’effectuer ses achats en boutique comme sur internet interroge sur la notion de contrat conclu par voie électronique.

En effet, dans le cadre de l’Etude d’impact, le gouvernement n’envisage la résiliation des contrats conclus par voie électronique que dans le cadre des contrats conclus à distance au sens du code de la consommation. Il en est de même des débats parlementaires précédents l’adoption de la loi définitive et de la DGCCRF, dont l’interprétation ne semble pas faire exception. Toutefois, l’article L. 215-1-1 du code de la consommation figure au sein du Livre I, Titre I du code de la consommation relatif aux conditions générales des contrats et non pas au sein du titre encadrant les contrats conclus à distance. Le texte ne fait, par ailleurs, pas référence aux contrats conclus à distance mais au contrat conclu par voie électronique, notion dont il ne définit pas les contours. Pas plus, au demeurant, que par exemple l’article L. 213-1 du code de la consommation encadrant la conservation des contrats conclus par voie électronique, ou le code civil qui fait la part belle aux modalités liées à la conclusion d’un contrat par voie électronique en leur consacrant une entière sous-section.

Pour être mis sur la voie d’une définition, il convient de revenir à la genèse de l’article L. 213-1 du code de la consommation et de la sous-section 4 du Titre III, Chapitre II, Section 1 du code civil consacrée aux dispositions propres au contrat conclu par voie électronique. Ces derniers sont le résultat de la transposition, par la loi pour la confiance dans l'économie numérique dite loi LCEN, de la Directive n°2000/31 du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, dite directive E-commerce. Bien que cette directive n’apporte pas de définition claire et univoque à la notion de contrat conclu par voie électronique, les objectifs poursuivis par la Directive E-commerce nous apportent un éclairage sur cette notion telle qu’envisagée par le législateur de l’Union européenne.

En effet, selon les considérants 1 et 2 de cette dernière, l’Union européenne a souhaité « […] assurer un niveau élevé d’intégration juridique communautaire afin d’établir un réel espace sans frontières intérieures pour les services de la société de l’information. » dans la mesure où « [le] développement des services de la société de l’information dans l’espace sans frontières intérieures est un moyen essentiel pour éliminer les barrières qui divisent les peuples européens » et que « [le] développement du commerce électronique dans la société de l’information offre des opportunités importantes pour l’emploi dans la Communauté […] et peut également renforcer la compétitivité des entreprises européennes ».

Dans cette perspective, l’objectif poursuivi par la Directive E-commerce est « de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les Etats membre. ». A cet effet, la Directive E-commerce « rapproche, dans la mesure du nécessaire à la réalisation de [cet objectif] certaines dispositions nationales applicables aux services de la société de l’information et qui concernent [notamment] les contrats conclus par voie électronique. ». Cette dernière consacre, dans ce cadre, une section 3 aux contrats conclus par voie électronique.

L’Union européenne considère donc le commerce électronique comme un des leviers majeurs d’intégration du marché dans la société de l’information permettant de créer un marché unique des services de la société de l’information. A cette fin, elle a souhaité procéder à l’harmonisation de la règlementation de certains instruments juridiques dont le contrat conclu par voie électronique. Ce faisant, la règlementation relative à la conclusion de contrats par voie électronique encadre cette typologie de contrat dans son rôle d’instrument juridique permettant la contractualisation de la fourniture de services de la société d’information.

La notion de contrat conclu par voie électronique doit donc être interprétée à la lumière de cet objectif d’intégration et de suppression des barrières susceptibles d’entraver la libre circulation des services de la société d’information de sorte que la définition du contrat conclu par voie électronique est intrinsèquement liée à celle de « services de la société d’information ». Et c’est précisément cette notion de services de société d’information que la Directive E-commerce définit par renvoi à l’article 1§2 de la directive 98/34 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information et modifiée depuis par deux directives.

Selon l’article 1§2 de la Directive services de la société de l’information, un service de la société de l’information est : « tout service de la société de l'information, c'est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services. 

Aux fins de la présente définition, on entend par :

  • « à distance » : un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes,
  • « par voie électronique » : un service envoyé à l'origine et reçu à destination au moyen d'équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques […] ».

Les services de la société d’information sont donc envisagés comme des services rendus à distance par voie électronique. Dès lors, quand bien même la notion de distance n’est pas visée dans la terminologie employée (contrat conclu par voie électronique), elle est nécessairement sous-entendue.

La règlementation encadrant le contrat conclu par voie électronique n’a pas pour objet de règlementer la conclusion de contrats via une technologie particulière mais à sécuriser la conclusion des contrats conclus à distance via la voie électronique. Il en résulte que le dispositif n’a donc vocation à s’appliquer que si le professionnel propose la conclusion de contrats à distance par voie électronique et non pas du simple fait de l’utilisation d’outils permettant la conclusion de contrats par voie électronique.

Si cela a pu sembler une évidence, le manque de clarté des textes légaux en la matière rend, à notre sens, une analyse éclaircissante bienvenue.

Il en est de même du mécanisme mis en place par le dispositif dont la mise en œuvre concrète, au-delà de nécessiter la mise en place d’un réel chantier de mise en conformité, peut poser difficulté compte tenu du droit de l’Union européenne aujourd’hui en vigueur.

Etude pratique et juridique des conséquences de l’encadrement du parcours de résiliation

Un impact significatif en matière de rétention client

Le deuxième alinéa de l’article L. 215-1-1 du code de la consommation prévoit les conditions dans lesquelles le professionnel doit mettre en œuvre ce dispositif.

Ainsi, « le professionnel met à la disposition du consommateur une fonctionnalité gratuite permettant d'accomplir, par voie électronique, la notification et les démarches nécessaires à la résiliation du contrat. Lorsque le consommateur notifie la résiliation du contrat, le professionnel lui confirme la réception de la notification et l'informe, sur un support durable et dans des délais raisonnables, de la date à laquelle le contrat prend fin et des effets de la résiliation. »

Cet article est complété par le Décret qui fixe « notamment les modalités techniques de nature à garantir une identification du consommateur et un accès facile, direct et permanent à la fonctionnalité mentionnée au deuxième alinéa, telles que ses modalités de présentation et d'utilisation. Il détermine les informations devant être fournies par le consommateur. ».

Les informations devant être fournies par le consommateur sont les suivantes au titre du Décret :

  • Les nom et prénom du consommateur, ou si le contrat a été conclu avec une personne morale, sa raison ou dénomination sociale ;
  • L'adresse électronique ou à défaut l'adresse postale permettant au professionnel de confirmer la réception de la notification de la résiliation ;
  • Toute référence préalablement communiquée par le professionnel au titulaire du contrat pour identifier ce titulaire et le contrat concerné, tel que par exemple un numéro de client ou de contrat ;
  • La date de résiliation souhaitée sous réserve des dispositions légales ou contractuelles en vigueur.

Des mentions spécifiques additionnelles sont prévues pour les services de communications électroniques et plus généralement pour les contrats pour lesquelles la loi autorise une résiliation anticipée sur le fondement d’un motif légitime.

De manière pédagogique, la DGCCRF a synthétisé le parcours de résiliation qu’impose désormais la règlementation.

Ainsi, le parcours de résiliation du client doit comporter les 4 étapes suivantes :

  • Etape 1. Le consommateur accède à la fonctionnalité lui permettant de résilier le contrat en cliquant sur « résilier votre contrat» ou une formule analogue dénuée d'ambiguïté, affichée en caractères lisibles ;
  • Etape 2. Le consommateur indique ou confirme les Informations dans le cadre d’une rubrique prévue à cet effet ; 
  • Etape 3. Le professionnel présente au consommateur un récapitulatif de résiliation afin de lui permettre de vérifier les éléments renseignés et le cas échéant les modifier. Par ailleurs, le consommateur doit pouvoir confirmer de manière définitive la résiliation grâce à l’activation d'une fonction, qui est directement accessible à partir de la page du récapitulatif avec la mention : « notification de la résiliation » ou une formule analogue dénuée d'ambiguïté, affichée en caractères lisibles.
  • Etape 4. Le professionnel accuse réception de la notification de résiliation et l’informe sur support durable dans un délai raisonnable de la date la date à laquelle le contrat prend fin et des effets de la résiliation.

Il convient de relever que le législateur a pris un soin particulier à décrire les conditions d’accessibilité ainsi que les étapes du processus de résiliation d’un point de vue technique avec pour effet d’en limiter le nombre. Il enjoint ainsi le professionnel à rendre la fonctionnalité de résiliation accessible facilement et directement et de manière permanente et empêche ainsi le professionnel d’ajouter des étapes additionnelles afin de rendre le parcours de résiliation plus compliqué ou insidieux. Ce faisant, dans le cadre de ses développements informatiques, le professionnel doit prendre garde à ne pas dévier des prescriptions techniques imposées par les nouveaux textes.

En pratique, s’agissant de l’accessibilité de la fonctionnalité de résiliation, d’après notre expérience, les professionnels optent souvent pour un lien figurant en pied de page et accessible sur toutes les pages du site internet ou de l’application.

S’agissant du parcours de résiliation enfermé dans ces quatre étapes, les entreprises peuvent s’interroger sur leurs marges de manœuvres pour une mise en œuvre satisfaisante de leur politique de rétention client.

La rétention client est la capacité d’une entreprise à fidéliser ses clients. Elle constitue donc un marqueur de l’attractivité de l’entreprise et implique la mise en place de moyens en vue de limiter la perte de clients. A ce titre, le parcours de résiliation constitue donc un point clé de cette politique en ce qu’il est la dernière étape avant la perte définitive du client.  

Les stratégies de rétention client lors de cette étape consistent, d’après notre expérience, le plus souvent en des offres promotionnelles, de cadeaux et plus généralement de la procuration d’un avantage au client visant à le conserver dans sa base client et assorti parfois, d’une contrepartie sous la forme d’une durée d’engagement supplémentaire.

La prise de connaissance par le consommateur de ces avantages et des conditions dans lesquelles ils sont octroyés nécessite un « clic » supplémentaire ou la navigation sur d’autres pages du site pour accéder à l’ensemble des informations et notamment celles exigées au titre de l’information précontractuelle prévue par le code de la consommation. Ce faisant, compte tenu de l’encadrement technique du parcours de résiliation et de l’interprétation que semble en avoir la DGCCRF, il ne peut être exclu que certaines entreprises doivent complètement refondre leur stratégie de rétention client pour pallier la suppression de ce levier de rétention.

De telles conséquences nous semblent relativement disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi par le législateur.

En effet, selon l’Etude d’impact et les travaux parlementaires relatifs à la loi MUPPA, l’un des objectifs de cette règlementation est de faciliter le parcours de résiliation en vue de simplifier le changement de cocontractant afin de préserver le pouvoir d’achat. Or, la préservation du pouvoir d’achat peut également résulter de la possibilité pour les entreprises de proposer des avantages au cours du parcours de résiliation sans pour autant avoir recours à des procédés techniques qui auraient pour effet de constituer des obstacles à la résiliation d’un contrat par un consommateur. Et si tel devait être le cas, l’arsenal juridique actuel appréhende déjà de telles pratiques abusives au travers de la règlementation en matière de pratiques commerciales déloyales.  

La résiliation en ligne à l’épreuve du droit de l’Union européenne

Si le législateur est déjà intervenu pour encadrer techniquement des parcours en ligne, c’est avant tout pour assurer la sécurité juridique des parties en application du droit de l’Union européenne.

L’originalité du dispositif lié à la résiliation en ligne des contrats réside dans le fait qu’il vise – au niveau national – à lever tout obstacle à la résiliation par le consommateur et ainsi le protéger contre des pratiques abusives rendues possibles par les interphases technologiques telles que les site internet ou les applications mobiles l’empêchant d’exercer ses droits. 

Cette typologie de comportements a été identifiée sous le nom de Dark commercial patterns et constitue aujourd’hui une source de préoccupation majeure des autorités de contrôle à l’échelle internationale. Nous en voulons pour preuve un rapport de l’OCDE publiée en octobre 2022 sur le sujet. 

En droit de la consommation en France et plus généralement au sein de l’Union européenne, la protection contre les comportements abusifs est en principe assurée par la règlementation en matière de pratiques commerciales déloyales dont font partie les pratiques commerciales trompeuses et les pratiques commerciales agressives. Et, l’article L121-6 du code de la consommation réprime déjà dans le cadre de la règlementation en matière de pratiques commerciales agressives le fait de solliciter de manière répétée et insistante ou d’user d'une contrainte physique ou morale, et compte tenu des circonstances qui l'entourent notamment « Tout obstacle non contractuel important ou disproportionné imposé par le professionnel lorsque le consommateur souhaite faire valoir ses droits contractuels, et notamment celui de mettre fin au contrat ou de changer de produit ou de fournisseur », ce que relèvent, au demeurant, tant le rapport de l’OCDE précité que l’Etude d’impact.

Dans le cadre de son Etude d’impact, le gouvernement a toutefois estimé qu’un renforcement de la législation était nécessaire dans la mesure où « […] l’appréciation de ces pratiques doit être réalisée au cas par cas : par conséquent, les pratiques agressives visant à entraver l’exercice du droit de mettre fin au contrat ne sont pas évidentes à caractériser. Aussi, l’interdiction de ces pratiques n’est pas assez précise pour contraindre les professionnels à faciliter la résiliation des contrats souscrits en ligne. Il en résulte une certaine insécurité juridique pour les professionnels, qui ont du mal à savoir à partir de quand un parcours un peu long de résiliation en ligne pourrait être considéré comme « disproportionné » et de nature à « limiter la liberté de conduite du consommateur ».

Il en résulte qu’au travers de l’article L 215-1-1 du code de la consommation, l’objectif du gouvernement était de clarifier les cas dans lesquels une pratique du professionnel était de nature à faire obstacle au droit de résiliation du consommateur et ce, tant pour l’autorité de contrôle que pour les professionnels. Cependant, en insérant ce nouvel article et en le dotant d’une sanction distincte de nature administrative, le législateur a pris le risque :

  • d’une part, qu’un même comportement soit susceptible d’être sanctionné deux fois : une fois au titre de l’article L 215-1-1 du code de la consommation et une autre au titre de l’article L121-6, 4°, du code de la consommation au titre des pratiques agressive et soit donc potentiellement contraire au principe non bis in idem, et
  • d'autre part, que cet article s’avère non-conforme à la directive sur les pratiques commerciales déloyales.

Sur ce dernier point, il convient de rappeler que la Directive sur les pratiques commerciales déloyales est une directive d’harmonisation maximale. Cela signifie que les Etats-membres ne sont pas autorisés à adopter une législation allant au-delà des règles posées par la directive pour autant que cette législation nationale réponde aux mêmes objectifs que le texte européen. Or, compte tenu de l’objectif poursuivi par le gouvernement à travers ce texte, à savoir en substance la clarification des cas dans lesquels un comportement relève d’une pratique agressive, le fait d’encadrer le parcours de résiliation en limitant le nombre d’étapes revient à créer – du point de vue du droit de l’Union européenne – une présomption de pratiques commerciales agressives en toutes circonstances s’agissant des parcours de résiliation ne répondant pas aux exigences prévues par l’article L 215-1-1 du code de la consommation. Et, la Directive sur les pratiques commerciales déloyales liste, en son Annexe I, les pratiques commerciales réputées agressives en toutes circonstances au titre desquelles celles relatives à la mise en œuvre d’obstacles à la résiliation n’y figurent pas.

Il existe donc, à notre sens, un risque de non-conformité à la Directive sur les pratiques commerciales déloyales rendant à ce titre le dispositif en principe illicite.

Cela étant, et comme le relève l’Etude d’impact, la France n’est pas le seul Etat-membre à avoir mis en place un tel dispositif. Selon l’Etude d’impact, l’Allemagne aurait également inséré un dispositif semblable au sein de sa législation nationale. Ce dispositif limiterait le nombre de clics, en vue de notifier la résiliation, à deux et son non-respect serait sanctionné par la possibilité pour le consommateur de résilier le contrat à tout moment et sans préavis. Ce faisant, eu égard à la multiplication des travaux en faveur de la lutte contre les Dark commercial patterns à l’échelle internationale et de celle de législations nationales visant à lutter contre de telles pratiques, le législateur de l’Union européenne devra se positionner en tant qu’arbitre.

Or, il ne peut être exclu que ce dernier – plutôt que de censurer les législations nationales – s’en inspire pour modifier sa règlementation. Il a déjà pu le faire par le passé en s’inspirant – après quelques rebondissements, il est vrai – de la législation française en matière de prix de référence.

Par conséquent, nous ne saurions que conseiller aux entreprises de prendre toute la mesure de ce nouveau texte et si ce n’est déjà le cas, procéder à la mise en place d’un chantier de mise en conformité au sein de l’entreprise avec les équipes pertinentes en vue de se mettre en conformité et approfondir la réflexion liée à une stratégie renouvelée en matière de rétention client.

Sahra Hagani Co-auteur : Marcela Szczech (Avocat, Grant Thornton Société d'Avocats)

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