Responsabilité sociale et environnementale des entreprises : cap sur la durabilité !

29.01.2023

Gestion d'entreprise

C’est un petit Big Bang qu’opère la récente directive concernant la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite CSRD. S’il a vocation à renforcer la responsabilité des entreprises, le dispositif va dans un premier temps les obliger à s’organiser. Dans cette chronique, Myriam Roussille, professeur agrégée des facultés de droit à l'Université du Maine, revient sur les changements majeurs prévus par le texte.

Le mouvement de responsabilisation des entreprises s’accélère. Depuis le début des années 2000, en parallèle des engagements spontanés de certains acteurs économiques en faveur de la responsabilité, sociale et environnementale (RSE), la Commission européenne a manifesté son intention de promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, à travers un livre vert. Érigée en nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014, la RSE est progressivement devenue une source d’obligations pour les entreprises, plus exactement pour les importantes. Le levier privilégié par les autorités est classique : il s’agit de la transparence. L’idée – du moins au départ – était de contraindre les plus grands acteurs à faire le jour sur leur exposition aux risques sociaux et environnementaux, mais aussi sur les actions qu’ils mettaient en place pour réduire ces risques.

La France avait été pionnière en la matière en imposant aux grandes entreprises françaises dès 2010, avec la loi Grenelle II, d’inclure dans leur rapport de gestion « des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable ». L’UE lui a emboité le pas en adoptant, en 2014, une directive concernant la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes, dite « directive NFRD » pour « Non-Financial Reporting Directive ». Ce texte a imposé aux grandes entreprises de produire chaque année une déclaration non financière, désignée en France par l’acronyme DPEF pour « déclaration de performance extra-financière ».

Remarque : la CSRD a modifié la directive du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents, dite « directive comptable ».

Cette déclaration va rapidement être reléguée au rang des reliques, car elle sera supplantée, à partir de 2024 et de manière progressive, par une démarche nouvelle et plus ambitieuse : le reporting durabilité. En effet, la directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022, dite « directive CSRD » pour « Corporate Sustainability Reporting Directive », organise désormais la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises. Elle introduit d’importants changements par rapport à la directive NFRD en élargissant considérablement le nombre d’entreprises concernées, mais aussi en normalisant les informations qui devront être publiées et en imposant des indicateurs quantitatifs. Au-delà des aspects techniques, c’est surtout parce qu’elle signe l’entrée dans l’ère de la durabilité que le nouveau texte marque une étape importante dans la RSE.

Près de 50 000 entreprises concernées dans l’UE

Sous l’empire de la directive NFRD, n’étaient concernées par la déclaration non financière que les entreprises les plus importantes de l’UE, dites « entités d’intérêt public » (Dir. 2013/24/UE préc., art. 2, 1), à savoir les sociétés cotées sur un marché réglementé et les sociétés du secteur financier (banques, entreprises d’assurance), les Etats pouvant par ailleurs choisir d’étendre l’exigence à d’autres sociétés (pour la France, voir : C. com., art. L. 820-1, III s’agissant des entités d’intérêts publics et C. com., art. R. 225-104 fixant les seuils pour les autres entreprises).

La directive CSRD élargit considérablement le champ d’application du reporting : elle vise les grandes entreprises et toutes les entreprises cotées, de même que les groupes composés d’une entreprise mère et d’entreprises filiales comprises dans une consolidation ; en réalité, seules les microentreprises en seront catégoriquement dispensées. Puisque les informations en matière de durabilité vont devoir être incluses dans le rapport de gestion (comme l’était d’ailleurs la déclaration non financière auparavant), la directive relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents, dite « directive comptable », est modifiée (Dir. 2013/34/UE préc., art. 19 bis et 29 bis).

Si le dispositif vise donc un très grand nombre d’acteurs, les règles applicables sont malgré tout adaptées au profil de chacun. Pour les sociétés cotées qui étaient déjà visées par la NFRD, le dispositif est renforcé par la responsabilité mise à la charge des personnes responsables au sein de l’émetteur. La directive sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé, dite directive Transparence » le prévoit désormais (Dir. 2004/109/CE, art. 4.2.c)). Les plus petites entreprises, au regard de critères de seuils, seront au contraire soumises à un régime de reporting allégé (Dir. 2013/34/UE préc., art. 29 quater). Elles n’auront qu’à décrire :

  • brièvement leur modèle commercial et leur stratégie ;

  • leurs politiques en ce qui concerne les questions de durabilité ;

  • les principales incidences négatives, réelles ou potentielles, sur les questions de durabilité, et toute mesure prise pour les recenser, surveiller, prévenir, atténuer ou corriger ;

  • les principaux risques pour l’entreprise qui sont liés aux questions de durabilité et la manière dont l’entreprise gère ces risques, ainsi que les indicateurs clés de performance associés.

Enfin, s’agissant des sociétés dont l’entreprise mère est implantée dans un pays tiers, des règles spécifiques sont prévues (Dir. 2013/34/UE préc., art. 40 bis à 40 quinquies), de même que certaines exemptions (art. 29 bis 8).

En définitive, ce sont donc près de 50 000 entreprises qui vont être concernées par le reporting durabilité, contre environ 11 700 actuellement soumises au reporting non financier.

Standardisation des informations et quantification des performances

Les normes d’information en matière de durabilité vont être précisées par la Commission dans les mois à venir. Le 30 juin 2024 au plus tard, les actes délégués devraient standardiser une partie des éléments que les entreprises devront inclure dans leur rapport de gestion.

L’un des changements majeurs de la directive CSRD est d’obliger les entreprises à quantifier les mesures qu’elles ont prises, ce qui a vocation à permettre aux investisseurs, partenaires financiers et autres parties prenantes de pouvoir comparer les efforts réalisés par les différents acteurs auxquels ils s’intéressent et de pouvoir évaluer leur trajectoire d’amélioration au regard des objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). La comparabilité est en effet l’objectif majeur, ce qui va passer par la mise en place d’indicateurs clés de performance. La Commission pourrait à cet égard s’appuyer sur les travaux réalisés par le Groupe consultatif pour l’information financière en Europe (EFRAG) qui est à même de délivrer des avis techniques sur des normes d’information en matière de durabilité (Dir. 2013/34/UE préc., art. 29 ter 2 et quater).

Par ailleurs, les professionnels du contrôle comptable et les cabinets d’audit se trouvent investis d’une nouvelle mission : ils ont en charge l’assurance de l’information en matière de durabilité, c’est-à-dire qu’ils doivent vérifier l’exécution des procédures avant d’émettre un avis sur le reporting opéré par l’entreprise qu’ils contrôlent. Les informations en matière de durabilité doivent ainsi faire l’objet d’une vérification obligatoire par un commissaire aux comptes ou, pour certaines entreprises, par un organisme tiers indépendant. La directive concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés, dite « directive audit », prévoit désormais que les professionnels du chiffre peuvent être agréés aux fins d’émettre eux-mêmes l’assurance. Si un niveau d’assurance « modérée » est actuellement requis, le passage à un niveau d’assurance « raisonnable » pourrait être exigé à compter de 2028.

Entrée dans l’ère de la durabilité

Des informations « non-financières » exigées par la directive NFRD aux informations « durables » désormais promues par la directive CSRD, l’évolution n’est pas seulement cosmétique. Elle s’inscrit dans un arsenal de mesures plus larges, qui se combinent entre elles. Finance durable, devoir de diligence des entreprises en matière de durabilité : la « durabilité » devient le maître mot en la matière.

En réglementant les thèmes et les données que les entreprises vont devoir publier chaque année, la directive CSRD va permettre à leurs partenaires, en particulier ceux qui participent, de près ou de loin, à leur financement et à leur attractivité sur les marchés, de pouvoir comprendre comment elles inscrivent leurs activités dans les objectifs de développement durable. Investisseurs, prêteurs, mais aussi plus globalement tous les acteurs financiers amenés à produire des produits d’investissement (fonds), à les conseiller ou à les distribuer (via, par exemple, l’assurance-vie), devront pouvoir comprendre comment se positionne l’entreprise par rapport à la nouvelle grille de lecture des activités durables et évaluer les mesures qu’elle prend pour améliorer ses performances.

Cette grille de lecture résulte d’un règlement de juin 2020, qui vise à établir un cadre visant à favoriser les investissements durables. Le « règlement Taxonomie » est le complément naturel de la nouvelle directive CSRD, puisqu’il permet de déterminer si une activité est ou non une activité durable. Il pose le socle de règles qui permettront de définir les informations devant être publiées par les entreprises en matière de durabilité :

  • la part de leur chiffre d’affaires provenant de produits ou de services associés à des activités économiques durables ;
  • et la part de leurs dépenses d’investissement ainsi que la part de leurs dépenses d’exploitation liées à des actifs ou à des processus associés à des activités économiques durables.

La logique européenne va au-delà de celle retenue outre-Atlantique en la matière : si les normes américaines IFRS imposent aux entreprises de prendre en compte l’impact des risques sociaux et environnementaux sur leur résultats comptables, l’UE y ajoute, depuis 2014, la prise en compte de l’impact des activités sur leur environnement social et naturel. C’est ce que l’on nomme la « double matérialité », qui conduit à vérifier si l’entreprise se comporte de manière responsable au regard des critères ESG.

Mais le mouvement devrait encore gagner en importance avec la future directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité qui est actuellement en cours d’adoption. Au-delà du reporting prévu par la directive CSRD, qui se limite malgré tout à la publication d’informations, la future directive sur le devoir de vigilance imposera aux entreprises de nouvelles obligations puisqu’elles devront prévenir, faire cesser ou, à tout le moins, atténuer l’impact de leurs activités sur les atteintes aux droits de l’homme ou à l’environnement. Et ce sera sans doute encore une autre paire de manche…

 

 

 

Myriam Roussille

Nos engagements