Restitutions à l'exportation : le contentieux du reversement des sommes indues revient devant le Conseil d'Etat

11.10.2020

Gestion d'entreprise

La Haute juridiction rejette une demande d'indemnisation pour faute de l'Etat formulée à la suite d'un précédent arrêt validant le remboursement de droits à restitution indument perçus.

La juridiction administrative a été amenée à se pencher sur les conditions dans lesquelles l’Etat pouvait demander le reversement de restitutions à l’exportation indûment perçues par une entreprise. Dans un contentieux entamé il y a plus de 20 ans, le Conseil d’Etat vient de rendre une nouvelle décision qui pourrait clore définitivement le litige.

Il rejette le pourvoi d’une société française relatif à l’indemnisation du préjudice qu’elle aurait subi en raison d’une précédente décision du Conseil d’Etat confirmant son obligation de rembourser des sommes indument perçues. Pour la société, le Conseil d’Etat n’avait pas appliqué la jurisprudence de la CJUE en matière de prescription de l’action en reversement engagée par l’’Etat et estimait qu’il avait, de ce fait, commis une faute engageant la responsabilité de l’Etat.

Remarque : le dispositif de restitutions à l’exportation a été mis en place par l’Union européenne au profit des entreprises exportatrices de certains produits agricoles vers des pays tiers. Il permet de lisser les distorsions de prix entre le marché communautaire et le marché mondial par un remboursement à l’entreprise de l’écart de prix.

En l’espèce, cette société française avait conclu en 1994 un contrat de vente de lait en poudre avec la Tunisie dont une partie avait dans les faits été écoulée en Espagne. Elle avait pourtant sollicité des droits à restitution sur l’ensemble du contrat. Cinq ans plus tard, à la suite de contrôles douaniers, la fraude a été découverte et le remboursement d’environ 450 000 euros, pénalités incluses, demandé par l’Etat en la personne d’ONILAIT (Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers).

En 2003 le tribunal administratif de Rennes avait validé l’obligation pour la société de reverser les sommes indues. L’arrêt de la cour administrative de Nantes, rendu en 2005 et confirmant ce jugement de première instance, avait été cassé par le Conseil d’Etat en 2009 pour erreur de droit car le principe de protection de la confiance légitime avait été trop rapidement écarté (CE, 27 juill. 2009, n° 292620).

La Haute juridiction avait alors réglé l’affaire au fond et, à la suite des deux premiers niveaux de juridiction, rejeté la requête de la société en annulation du titre de recouvrement des sommes indues. Elle avait notamment estimé que le délai de prescription trentenaire prévu par la législation française pour une action en reversement des restitutions à l’exportation indues n’était pas contraire à la législation européenne. Celle-ci prévoyait en effet à l’époque un délai de 4 ans mais autorisait le maintien de délais de prescription plus long dès lors que ceux-ci étaient le fruit de législations nationales antérieures. La demande de reversement émise par ONILAIT en 1999, soit 5 ans après le versement des sommes indues, avait donc été formulée dans les délais prévus.

Une décision postérieure de la CJUE, apportant des restrictions à la possibilité de prévoir un délai de prescription plus long, a toutefois relancé le contentieux que l’on croyait éteint. Dans un litige concernant l’Allemagne, le juge européen a en effet affirmé qu’une prescription trentenaire n’était pas proportionnée, validant en revanche un délai réduit à 10 ans par voie jurisprudentielle (CJUE, aff. C-210/01 et C-202/10, 5 mai 2011).

Sur ce fondement, la société française a alors saisi le garde des Sceaux d’une demande d’indemnisation pour une somme à peu près équivalente à celle reversée à ONILAIT, arguant que l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat en 2009 avait été pris en violation de la jurisprudence communautaire.

Cette demande, rejetée par le ministre, n’a pas non plus été accueillie par le tribunal administratif de Rennes en 2015 ni par la juridiction d’appel en 2017. L’affaire du reversement des droits à restitution a donc été portée à nouveau devant le Conseil d’Etat par la voie indirecte de la demande d’indemnisation pour faute.

Dans sa décision du 9 octobre, la Haute juridiction rappelle que la responsabilité pour faute de l’Etat peut effectivement être engagée lorsqu’une décision juridictionnelle nationale viole le droit européen, notamment en méconnaissant de manière manifeste une jurisprudence bien établie de la CJUE.

Les juges rejettent la demande de question préjudicielle adressée par la société, estimant qu’il n’y a pas lieu de saisir la CJUE dont la position concernant l’engagement d’une telle responsabilité est explicitée clairement dans plusieurs de ses décisions.

Sur le fond, reste donc au Conseil d’Etat à déterminer si, compte tenu des circonstances de droit et de fait au 27 juillet 2009, date à laquelle il avait rendu sa précédente décision, le droit de l’UE a été manifestement méconnu. La CJUE ayant rendu publique sa nouvelle interprétation sur les délais de prescription acceptables dans son arrêt de 2011, le Conseil d’Etat ne pouvait la prendre en compte dès 2009. Il n’a donc pas violé de manière manifeste le droit de l’UE, ce d’autant plus que son arrêt de juillet 2009 visait expressément la décision rendue 6 mois plus tôt par la CJUE et qui faisait alors jurisprudence sur le sujet.

Le Conseil d’Etat valide donc la décision d’appel rejetant la demande d’indemnisation de la société française, sonnant peut-être la fin d’un contentieux dont la première décision a été rendue en 2003.

Anne Debailleul, Dictionnaire permanent Entreprise agricole

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