Anticiper le retour sur site des salariés lors du déconfinement, adapter les formations à leur niveau, rendre visibles les postes disponibles en temps réel, mettre en valeur leurs compétences : lors d'un webinaire organisé par le cabinet de conseil Julhiet Sterwen, quatre professionnels RH livrent leurs retours d'expérience sur l'utilisation de l'intelligence artificielle.
Les discours autour du développement de l'intelligence artificielle (IA) se multiplient depuis plusieurs années. Plusieurs pionniers ont aujourd'hui franchi le pas, et ont réellement expérimenté l'IA dans leur organisation. Parmi eux, certains RH se sont saisis de ces outils, qui sont devenus des atouts au quotidien ou leur ont permis de gérer les crises de façon plus sereine.
A l'occasion d'un webinaire organisé jeudi par le cabinet de conseil Julhiet Sterwen, quatre intervenants RH issus de grandes organisations (Dassault Systèmes, Air France, la Gendarmerie nationale et Engie) ont raconté leur expérience concrète de l'intelligence artificielle.
Frédéric Gautier est vice-président RH Europe, Moyen-Orient et Afrique pour Dassault Systèmes. En avril 2020, au moment de préparer le déconfinement, l'éditeur de logiciels s'est reposé sur l'intelligence artificielle pour anticiper le retour sur site des salariés. Un logiciel "macroplanner" a été mobilisé pour s'assurer du nombre de salariés présents sur site tout en évitant la désorganisation des équipes.
"Cet outil nous a permis de tenir compte d'abord des considérations organisationnelles. Chaque rôle dans l'entreprise a été cartographié selon sa compatibilité avec le télétravail : ceux qui peuvent être télétravaillés à 100 %, ceux dont le retour sur site est nécessaire ponctuellement, ceux qui ne peuvent pas se faire à distance. Ensuite, l'outil a tenu compte des considération business, liées à la saisonnalité de chaque métier, par exemple la planification des objectifs de début d'année pour les RH, ou le closing de fin d'année pour la finance. Enfin, les contraintes personnelles renseignées par chaque individu ont été intégrées dans l'outil : les collaborateurs qui ont des enfants à garder, ceux ayant une vulnérabilité médicale particulière ou ceux qui vivent avec un proche vulnérable."

Nourri de toutes ces données, le macroplanner a ensuite été relié à chaque manager pour la mise en place opérationnelle des retours. Un nouvel onglet lié au retour sur site à été intégré à l'ensemble des applications du "cockpit manager" qui rassemble les outils de gestion des congés, des rémunérations ou encore des carrières. "Chaque manager a accès à une vue optimisée en fonction de tous les paramètres organisationnels, business et individuels. Une marge d'adaptation est possible, par exemple si tel collaborateur doit venir le jeudi plutôt que le vendredi en fonction des réunions ou autres impératifs".
Grâce à cet outil, Frédéric Gautier a pu s'assurer que le flux de salariés augmente progressivement en fonction des capacités de gestion de l'entreprise. "Beaucoup de nos systèmes sont paramétrés pour une situation de beau temps. Il a fallu que les RH soient en capacité de reparamétrer leurs outils d'aide à la décision pour répondre à une situation qu'on n'aurait jamais pu anticiper."
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Anne Grjebine est directrice campus et innovation RH chez Air France. Elle a récemment mobilisé l'intelligence artificielle pour renforcer l'attrait des salariés pour les formations en ligne, via "l'adaptive learning".
"On s'est rendu compte que pour intéresser les apprenants sur la durée, il fallait adapter la formation à eux, afin qu'ils n'aient pas le sentiment de perdre leur temps. Nous avons donc déployé l'adaptive learning pour notre offre de formation en langues - français et anglais. S'agissant du français, nous avons eu recours à la solution du Projet Voltaire, qui permet d'améliorer l'orthographe et l'expression. L'outil d'entraînement en ligne, fondé sur la technique de l'ancrage mémoriel, s'adapte au niveau d'orthographe de l'apprenant en fonction de la qualité de ses réponses. Pour la formation à l'anglais, nous avons choisi la solution Voxy, dont le système d'intelligence artificielle recherche continuellement de nouveaux contenus sur internet en lien avec l'actualité. Cela permet à l'apprenant de faire des exercices sur des contenus vidéos qui datent par exemple d’il y a deux semaines, ce qui est plus intéressant et vivant que de s'entraîner sur "My taylor is rich" !" Les deux types de formation commencent par des tests de niveau, puis permettent une autoévaluation tous les trois mois.

Air France a également mis à disposition ces formations en libre accès pour tous les salariés, plutôt que sur demande expresse. Résultat, plusieurs milliers de salariés se sont entraînés sur les modules de langue l'an passé, alors que très peu d'entre eux mobilisaient jusqu'ici les formations existantes.
Le même type de solution a été décliné pour le maintien des compétences des personnels navigant commerciaux, qui doivent obtenir chaque année une certification. Afin de s'entraîner, les volontaires accèdent à un outil qui les interroge sur des questions techniques. "En fonction des réponses aux questions, l'outil s'adapte pour insister davantage sur les points qui posent problème au salarié, et les réinterroge sur le sujet quelques semaines plus tard. L'outil affiche une courbe permettant de connaître sa progression".
Des solutions efficaces, mais dont le rapport coût-bénéfice doit être mûrement réfléchi, selon Anne Grjebine. "Cela n'a de sens que pour des volumes d'effectifs importants. Lorsque le coût des technologies baissera, on pourra développer ces solutions pour des populations plus réduites."
William Vaquette est adjoint au directeur des personnels militaires pour la Gendarmerie nationale. Afin d'améliorer la visibilité des gendarmes sur les postes à pourvoir, la Gendarmerie nationale a mis à disposition un outil de visualisation des parcours. Cet outil permet de prendre connaissance en temps réel du "trafic" des mobilités RH et du parcours des gendarmes, à la manière d'une application de trafic routier. C'est de là que vient le surnom donné à cet outil, Waze RH.
"L'idée est de naviguer sur le chemin et de dérouler sa carrière, de mettre la bonne personne au bon endroit. Ce laboratoire de données RH montre à l'utilisateur toutes les unités qui se libèrent, en donnant pour chacune l'historique des officiers affectés au poste. Chacun peut ensuite poster sa fiche de voeux pour rejoindre un nouveau poste, et nous pouvons voir quels voeux sont les plus populaires et optimiser notre plan annuel de mutation".

Au delà des considérations organisationnelles, l'IA permet finalement de remettre de l'humain au coeur de la révolution digitale, ajoute William Vaquette. "Aujourd'hui on est assailli de données de toutes sortes. Face à cette infobésité, les gens ont besoin de savoir où ils sont, où ils vont, d'avoir de la proximité humaine. Visualiser sa position et celle des autres, pouvoir faire un choix en toute connaissance de cause, c'est important. C'est en quelque sorte une "amazonisation de la gestion des ressources humaines", cela devient presque de la relation client."
Faroudja Kicher est Directrice Business services RH et transformation chez Engie. Dans son entreprise, l'intelligence artificielle est utilisée comme une manière d'outiller les salariés pour valoriser leurs compétences. L'outil, proposé par une startup, traite le langage naturel du CV d'un salarié pour le traduire en compétences. "Il n'est pas forcément évident pour un collaborateur qui a fait toute sa carrière dans l’entreprise de valoriser ses compétences. Elles sont souvent remplacées par de simples descriptifs de missions et tâches. Une fois qu'il a traduit ces compétences, l'outil les compare avec un référentiel léger de compétences cibles à 2-3 ans pour le métier en question. En fonction de l'écart entre les compétences et le référentiel, il propose au collaborateur des suggestions de formation ou de poste."

La lancement de cet outil s'est heurté à quelques obstacles. "Au début, quelques compétences "exotiques" sont ressorties de la lecture des CV. Il faut le temps d'ajuster l'outil et c'est tout nouveau pour nous. Mais il s'agit d'un sujet sensible pour nos collaborateurs, sur lequel le droit à l'erreur est peu permis. Nous relançons aujourd'hui la dynamique autour de cet outil, car nous croyons que valoriser le capital compétence sera demain un vrai plus pour nos collaborateurs."
Lorsqu'il s'agit d'intégrer l'IA aux ressources humaines, Faroudja Kicher redoute les effets de mode. "En RH, on se côtoie, on rencontre des collègues et on a tendance à faire tous la même chose. L'IA doit avoir un apport positif. Adopter un nouvel outil pour faire parler de soi et mettre en avant son côté "techno" n’a aucun sens."
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