Retraite : les partenaires sociaux s'émancipent du "conclave"

Retraite : les partenaires sociaux s'émancipent du "conclave"

20.03.2025

Gestion du personnel

Après le départ de Force Ouvrière, de l'U2P et de la CGT, les partenaires sociaux qui restent autour de la table souhaitent - pour l'heure - poursuivre les discussions sur les retraites. Mais ils ont décidé de sortir du cadre fixé par le gouvernement et de fixer leur propre feuille de route et calendrier.

Ne dites plus "conclave" mais "village retraite", a prévenu hier Yvan Ricordeau, le chef de file de la délégation CFDT, à la sortie de la nouvelle séance de négociation sur les retraites. Reste à savoir s'il prendra des allures de village gaulois. Tout porte à le croire au vu de la tournure qu'ont pris les discussions après que le Premier ministre a fait part de son refus de tout retour aux 62 ans. "Le contrat est rompu", a réitéré Yvan Ricordeau, dans la foulée des déclarations de la secrétaire générale, Marylise Léon mercredi dernier. Les partenaires sociaux semblent désormais tous disposés à s'affranchir du cadre gouvernemental. 

Les partenaires sociaux prennent leur autonomie

Yvan Ricordeau est revenu sur le changement de méthode souhaité à savoir, "un cadre clair, serein et constructif". Afin de relancer les discussions, la CFDT propose que les partenaires sociaux se mettent d'accord sur un calendrier autonome et la conduite des travaux. La CFDT souhaite ainsi que soit rédigée une nouvelle feuille de route qui intégrera notamment la question du pilotage du système de retraite. La confédération souhaite se donner une à deux séances pour "recadrer le travail". 

Les autres organisations semblent abonder dans ce sens. "Ce qui compte c'est notre feuille de route à nous" a insisté Christelle Thieffine, cheffe de file pour la CFE-CGC. "Ce que peut dire le Premier ministre, on n'en a rien à faire. Nous avons un mandat, celui d'aller jusqu'au bout, d'aménager la réforme de 2023 et de penser à la réforme d'après. A partir d'aujourd'hui on reprend la main sur le système ; on s'affranchit de ce qu'a pu dire le gouvernement". Selon elle, même l'échéance fixée à la fin du mois de mai ne les lie plus. 

En revanche, pas question de revoir totalement le dispositif et d'écarter le facilitateur Jean-Jacques Marette qui apporte "un appui technique et un appui à tonalité politique par l'organisation des travaux et l'animation des réunions", tient à souligner Yvan Ricordeau.

La CPME n'a rien à redire sur ce changement de posture. "Nous avons bien compris que nous nous engageons dans une démarche d'autonomisation des partenaires sociaux", a ainsi renchéri Eric Chévée, le chef de file.

La CFDT en a profité pour rappeler que ses priorités sont au nombre de trois : l'âge de départ à la retraite, la pénibilité et les droits des femmes. Du côté de la CPME il s'agit premièrement " de sécuriser le système par répartition et d'atteindre l'équilibre de façon durable". Deuxièmement, " de corriger les anomalies et les distorsions notamment en matière d'usure professionnelle". Troisièmement, "de compléter [le système de retraite] car à l'avenir le niveau de vie des retraités va diminuer" (en raison d'une baisse de la natalité et du déficit du régime général souligné par la Cour des comptes, a-t-il précisé). En somme, la CPME souhaite "ajouter une brique de capitalisation". 

Quoi qu'il en soit, les participants restants ne comptent pas quitter le navire. Pour l'instant. "Si le Medef ne fait pas d'efforts, on verra si on poursuit", avertit Pascale Coton, cheffe de file de la CFTC. La décision sera prise mi-avril lors de la réunion de ses instances. 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Vers une nouvelle gouvernance

Les partenaires sociaux font également de la question de la réorganisation du pilotage des systèmes de retraite un sujet central. Les propos du ministre de l'économie, Eric Lombard, suggérant aux partenaires sociaux de reprendre la main sur le régime des retraites ont été reçus cinq sur cinq. 

Pour la CFDT, "le point de départ doit être une comparaison avec l'Agirc-Arrco dont la méthode et les résultats sont mieux pilotés que le régime général. Eric Chevée souhaite quant à lui décliner ce qui a été fait en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles [un relevé de conclusions a été signé en juin 2024]. "La question du pilotage des régimes déficitaires vient d'une incapacité politique à les gérer correctement dans la durée, souligne Eric Chevée. Notre ambition est de reprendre la Cnav" !

Le financement des retraites élargi à celui de la protection sociale

Une négociation pouvant en cacher une autre, les partenaires sociaux souhaitent élargir les discussions au financement de la protection sociale, au-delà de la seule question de l'équilibre financier du régime des retraites. "Le financement de la protection sociale est un sujet à mettre à l'ordre du jour. La question de la protection sociale sur le travail, la question de l'augmentation des cotisations à court terme, voire de manière temporaire, et les efforts sur le taux d'emploi, a détaillé Christelle Thieffine. On attend du Medef qu'ils nous disent qu'ils sont capables de partager l'effort, qu'il nous fasse des propositions pour augmenter l'assiette des recettes".

La CFTC de son côté propose d'augmenter la CSG pour les actifs et les retraités et déplore que, côté patronal, on écarte toute augmentation des cotisations pour les entreprises. 

Mais la crainte immédiate est de ne pas pouvoir financer les mesures visant à adapter la réforme de 2023. "On va avancer sur la pénibilité, les carrières longues, la retraite des femmes mais si on n'a pas les moyens de financer on mettra [le patronat] devant ses responsabilités", prévient Pascale Coton. Même rappel à l'ordre du côté de la CFE-CGC qui compte bien "affirmer haut et fort la responsabilité du camp patronal, débiteur vis-à-vis des salariés qui doivent travailler deux ans de plus. La partie patronale - et en particulier le Medef - doit dire quels efforts ils sont prêts à faire". 

De son côté, le Medef se montre très prudent et préfère attendre "des chiffrages". Si la cheffe de file, Diane Milleron-Deperrois, estime que "la hausse de la CSG peut être un levier activable", elle confirme écarter toute hausse des cotisations pesant sur les employeurs et les salariés. 

Le C2P et le Fipu au coeur des discussions

Lors de la seconde partie de la séance, les partenaires sociaux ont enfin abordé la question de l'usure professionnelle et de la pénibilité qui était au menu de cette séance.

Deux dispositifs ont été au coeur des discussions : le C2P et le Fipu. L'un des objectifs des organisations syndicales est d'obtenir la réintégration des critères ergonomiques retirés en 2017 du compte professionnel de prévention [qui a remplacé le compte pénibilité]. Pour ce faire, la CFDT souhaite proposer "un dispositif simple qui couvre l'ensemble des métiers exposés" répondant ainsi critiques des entreprises qui dénonçaient  "l'usine à gaz" que constituait le compte pénibilité "car il revenait aux entreprises de déclarer salarié par salarié. La CFDT propose ainsi une nouvelle approche collective reposant sur "une cartographie des métiers exposés".

La CFE-CGE souhaite mettre les risques psychosociaux au coeur du sujet : "les faire reconnaître en termes de prévention et les inscrire au tableau des maladies professionnelles".

Le Medef estime "important de regarder l'usure notamment sous l'angle de la prévention et également au travers du C2P. Ce dispositif doit être axé sur le départ anticipé et la mise en lumière de toute la dynamique autour de la reconversion professionnelle". 

S'agissant du Fonds d'investissement pour la prévention de l'usure professionnelle (Fipu), les partenaires sociaux déplorent le manque d'entrain des branches professionnelles. "Le bilan à date du Fipu montre une montée en charge très lente car les branches professionnelles et les organisations patronales ne s'en saisissent pas, déplore Yvan Ricordeau. A peine un quart des fonds à destination des entreprises est consommé".

Les partenaires sociaux approfondiront ces questions lors de la prochaine séance prévue le 27 mars. Cette réunion sera décisive. Les partenaires sociaux devront faire la preuve de leur capacité à trouver un consensus autour d'une nouvelle feuille de route. Pourraient-ils convaincre les "sortants" de revenir à la table des discussions ? Rien n'est moins sûr. Pour l'heure, si la CGT a quitté la table des discussions, elle n'a pas délaissé le terrain. En témoignent les militants de la CGT qui battaient le pavé hier devant le ministère du travail, de la santé et des solidarités pendant que les discussions s'y déroulaient à l'intérieur.

Florence Mehrez
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