Retraites : priorité à l’emploi des seniors

Retraites : priorité à l’emploi des seniors

20.03.2023

Gestion du personnel

Dans cette chronique, Antoine Rémond, responsable du pôle Etudes & Prospective du Centre Etudes & Data du Groupe Alpha, estime nécessaire de mettre en place une stratégie ambitieuse pour l'emploi des seniors, faute de quoi le recul de l'âge de départ à la retraite se traduira par une dégradation de la santé des salariés seniors.

Le refus du président de la République en 2019 de relever l’âge d’ouverture des droits à la retraite, malgré un besoin de financement avéré du système de retraite, et alors que ses principaux ministres (Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Agnès Buzyn) poussaient en ce sens, avait marqué les esprits : "On va vous dire « il faut maintenant aller à 64 ans”. Vous ne savez déjà plus comment faire après 55 ans, les gens vous disent ‟les emplois, c’est plus bon pour vous”. C’est ça la réalité, c’est le combat qu’on mène. On doit d’abord gagner ce combat avant d’aller expliquer aux gens ‟mes bons amis, travaillez plus longtemps ! ». C’est le délai légal, ça serait hypocrite" (conférence de presse, Grand débat, 25 avril 2019).

La stratégie retenue était alors de viser un recul de l’âge moyen de sortie de l’emploi, en faisant en sorte que les Français travaillent collectivement plus longtemps sans toucher à l’âge de la retraite. Pour cela, deux leviers devaient être actionnés : l’augmentation de l’emploi des seniors et l’élaboration de mécanismes visant à "inciter les gens à travailler plus longtemps dans une option de libre choix". Un rapport avait alors été commandé à Olivier Mériaux, Sophie Bellon et à Jean-Manuel Soussan. Il est resté sans suite, cette stratégie ayant été abandonnée sans aucune justification, comme ce fut le cas pour le projet de réforme systémique qui avait mobilisé les énergies collectives pendant plus de deux ans.

Pour augmenter le volume d’emploi des seniors, la réforme actuelle s’en remet essentiellement au relèvement de l’âge d’ouverture des droits qui, en repoussant l’horizon de la retraite, doit modifier les comportements des agents économiques. Ce phénomène est appelé effet horizon. Or cette stratégie rencontre des limites car de nombreuses personnes ne se maintiennent finalement pas en emploi et se retrouvent dans une situation intermédiaire, ni en emploi, ni en retraite (NER).

Les limites de l’effet horizon : le volume de NER

Les travaux de recherche réalisés à l’étranger montrent que les réformes ayant relevé l’âge de la retraite ont un effet positif sur l’emploi des seniors mais ils alertent sur les possibles augmentations des recours aux assurances chômage et maladie (Hippolyte d’Albis, Les seniors et l’emploi, 2022). C’est également le cas en France où les travaux réalisés sur les effets du relèvement de 60 à 62 ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite indiquent qu’il a entraîné une augmentation de l’emploi mais aussi du chômage, de l’inactivité et des arrêts maladie des seniors de 60 ans et plus (Dubois & Koubi, 2017 ; Unédic 2023 ; Dubois & Koubi, 2023). Sur le champ du régime général, Rabaté et Rochut (2016) ont précisé que la diminution du taux de retraités à 60 ans s’était répartie de la manière suivante : 37,8 % en emploi, 32,3 % au chômage, 3,5 % en congé maladie, 14,7 % en invalidité et 11 % en inactivité. Le relèvement de 60 à 62 ans de l’âge d’ouverture des droits a donc abouti à augmenter le nombre de personnes NER à 60 et 61 ans. Celles-ci représentent désormais près de 30 % des personnes de ces âges. Ce sont majoritairement des femmes, des personnes aux revenus modestes (faisant partie des 40 % de personnes dont le niveau de vie est le plus faible), des personnes peu diplômées (diplômes inférieurs au bac), des ouvriers et des employés (Drees, 2018). Ils sont également en moins bonne santé que les autres seniors. En termes de métiers, les travailleurs de la deuxième ligne sont plus souvent dans cette situation car ils sont davantage touchés par le chômage et par l’inactivité hors retraite (Amossé et Erhel, 2022).

La situation de NER est associée à un fort risque de pauvreté avant la retraite. Pour ces personnes, le relèvement à 64 ans de l’âge d’ouverture des droits à retraite se traduira par un allongement du sas de précarité avant la retraite, Dubois & Koubi (2017) ayant mis en évidence un figeage des situations. La réduction de 36 à 27 mois de la durée maximum d’indemnisation des chômeurs de 55 ans et plus, couplée au relèvement de l’âge d’ouverture des droits à 64 ans, risque d’aggraver la précarité et d’accélérer le basculement dans la pauvreté.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

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- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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Le risque de la réforme : une augmentation du sas de précarité

Comme lors de la réforme de 2010, le gouvernement n’a pas donné d’éléments concernant les effets potentiels du relèvement de l’âge d’ouverture des droits sur les NER. L’étude d’impact précise seulement que la réforme entraînerait une hausse de 300 000 personnes en emploi âgées de 55 à 64 ans en 2030, dont la majorité serait âgée de plus de 60 ans. Néanmoins, un chiffrage a été réalisé par la Dares et la Drees en janvier 2022 pour le Conseil d’orientation des retraites. Il révèle qu’un relèvement à 64 ans de l’âge d’ouverture des droits à retraite se traduirait par un supplément de 84 000 chômeurs indemnisés, 30 000 allocataires du RSA, 30 000 bénéficiaires de l’ASS. La hausse de l’inactivité et des arrêts maladie n’a pas été chiffrée et celle de l’invalidité ainsi que celle de l’AAH n’ont pas été réalisées en intégrant les paramètres de la réforme.

Les effets d’un relèvement de l’âge d’ouverture des droits de 60 à 62 ans ne sont pas transposables de la même manière au-delà de 62 ans, pour deux raisons. Premièrement, le relèvement à 64 ans de l’âge d’ouverture des droits apparaît en décalage avec la réalité des entreprises qui absorbent encore les précédentes réformes. Ces dernières ne sont pas achevées et elles ont été menées à un rythme particulièrement soutenu : relèvement à un rythme de 4 mois par an de l’âge d’ouverture des droits porté à 62 ans en 2016 et de l’âge d’annulation de la décote porté à 67 ans en 2023, augmentation de la durée de cotisation à 43 ans à partir de la génération 1973. En comparaison, en Allemagne, le relèvement de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans, décidé en 2007, s’étale de 2012 à 2029, à un rythme d’un ou deux mois par an selon les classes d’âge. Par ailleurs, dans les entreprises, les pratiques restent marquées par la période Covid, durant laquelle les suppressions de postes ont été gérées largement par le recours aux préretraites.

Deuxièmement, l’état de santé des seniors et leur capacité à prolonger leur activité sont moindres après 62 ans qu’à 60 et 61 ans, d’autant que l’adaptation des conditions de travail des seniors et la prévention de la pénibilité ont été largement insuffisantes. Là encore, l’exemple de l’Allemagne est intéressant. En 2021, le taux d’activité des hommes de 60-64 ans était de 71,9 % et celui des femmes de 58,5 % (respectivement 39,1 % et 37,4 % en France). Toutefois, ils reculent légèrement depuis 2019 alors que l’âge de la retraite est progressivement relevé.

Pour une stratégie ambitieuse sur l’emploi des seniors

Parmi les données de l’OCDE sur les retraites et le marché du travail, il existe un indicateur mesurant l’écart entre l’âge effectif de sortie du marché du travail et l’âge normal (réglementaire) de la retraite. En France, en 2020 (chiffre le plus récent), le premier est de 60,4 ans pour les hommes et 60,9 ans pour les femmes quand le deuxième est de 64,5 ans. Pour les hommes, la France est, avec la Belgique, le pays où cet écart de 4,1 ans est le plus élevé. Pour les femmes, elle fait partie des pays où il est le plus grand. Cela s’explique en partie par le dispositif carrières longues mais tient également aux pratiques des entreprises en matière d’emploi des seniors et reflète les situations de personnes NER. Pour la moyenne de l’UE, l’écart est de 1,7 an pour les hommes pour un âge de la retraite normale de 64,3 ans. En Suède, l’âge de sortie est supérieur de 0,8 an à l’âge normal de la retraite (65 ans).

En France, cet écart serait en réalité plus important car l’emploi des 59-62 ans est surévalué dans la mesure où il inclut les effectifs qui se trouvent dans les dispositifs de préretraites d’entreprise, plus communément appelés congés de fin de carrière ou cessation anticipée d’activité. Ces seniors préretraités sont sortis de l’entreprise et continuent à être payés par elle pour ne plus venir travailler. Personne ne sait combien ils sont puisqu’ils sont statistiquement considérés comme étant en emploi, leur contrat de travail n’étant pas rompu.

Dès lors, il faut d’abord traiter les enjeux d’emploi des seniors avant de reculer l’âge d’ouverture des droits à la retraite. Dans son référé du 23 juillet 2019 sur les fins de carrière, la Cour des comptes a souligné le délaissement des politiques en faveur de l’emploi des seniors au cours des dernières années. Elle a insisté sur le bilan décevant des plans pour l’emploi des seniors et sur une mobilisation insuffisante des dispositifs de droit commun.

C’est la raison pour laquelle le législateur doit porter une ambition pour des retraites choisies et progressives. Dans cette perspective, il y a des améliorations à apporter en matière de compensation et de prévention de la pénibilité. Une évolution des dispositifs de transition entre emploi et retraite serait également pertinente pour offrir davantage de choix aux salariés. Au-delà, créer les conditions d’un changement culturel dans les entreprises dans la façon de considérer les seniors apparaît indispensable pour repenser et aménager les fins de carrière. Il faut pour cela s’appuyer sur une négociation hardie des partenaires sociaux, comme l’a fait la Finlande il y a quelques années. Dans ces conditions, l’index seniors n’est qu’une partie du sujet et l’incertitude juridique qui pèse sur lui le fragilise avant même qu’il ne se soit concrétisé. Quant au CDI seniors, il a été vidé de sa substance en raison de son coût potentiellement exorbitant pour les caisses de sécurité sociale. L’emploi des seniors doit être traité dans toutes ses dimensions : formation, conditions de travail, aménagement des postes et prévention de la pénibilité, rôle/place dans l’entreprise et missions exercées, temps de travail, dispositifs de transition entre emploi et retraite. Il faut aussi décloisonner les actions visant les seniors et les autres âges. C’est toute la gestion des carrières qui doit être repensée, en intégrant les questions de rémunération, de formation et de santé au travail.

Sur ces deux derniers sujets, le baromètre du dialogue social du Groupe Alpha a fait apparaître que ce sont ceux sur lesquels un dialogue constructif peut s’établir. Mais cela suppose au préalable une évolution de certains dispositifs de la négociation collective. Les pouvoirs publics doivent faire du plan de développement des compétences un objet à part entière de négociation entre les parties prenantes. La question du développement des compétences est cruciale dans les entreprises confrontées à la transformation digitale et à la transition environnementale. Elle l’est tout autant dans la gestion des âges. Des travaux, menés notamment par Sémaphores, ont confirmé le caractère flou, nomade et polysémique de la notion de compétence dans les entreprises, ce qui ne favorise pas son appropriation spontanée si l’on n’en fait pas un objet de négociation. Or, dans les faits, la formation ne représente pas un sujet majeur de concertation, les accords ayant pour thème la formation professionnelle représentant moins de 3 % des accords d’entreprise. S’agissant des sujets de santé, de sécurité et de conditions de travail (SSCT), leur traitement apparaît de manière unanime comme dégradé depuis la mise en œuvre des ordonnances travail de 2017. Or les questions de SSCT des seniors, parmi lesquelles la prévention de la pénibilité, exigent un dialogue social au plus près des situations de travail. Dès lors, il est nécessaire de renforcer les dispositions légales supplétives sur les moyens du CSE, de la CSSCT et des représentants de proximité. Faute d’aménagement des conditions de travail des seniors préalable à un recul de l’âge, c’est une dégradation de l’état de santé qui se produira, dont la partie visible sera le sas de précarité avant la retraite (chômage, invalidité) et l’absentéisme dans les entreprises, mais dont une partie sera également invisible. Elle ne sera pas toutefois sans conséquence sur les organisations et la productivité. Pour la mise en œuvre de mesures spécifiques, il y a matière à inspiration dans le rapport Mériaux, Bellon, Soussan (2019) qui avait identifié cinq axes d’action.

Conclusion

Il n’y a pas aujourd’hui de base sociale à la réforme actuelle. La légitimité de l’élection présidentielle est insuffisante étant donné les circonstances dans lesquelles le second tour a eu lieu. Le patronat, bien que favorable au relèvement de l’âge d’ouverture des droits, n’en était pas demandeur et les syndicats la combattent unanimement. Dans le débat démocratique, cette réforme génère une incompréhension liée au revirement du président de la République sans une quelconque forme d’explication. Celui-ci est passé d’un projet de réforme systémique niant les besoins de financement (pour plus de précisions, lire ici), et visant à faire rentrer à marche forcée 42 régimes dans un régime unique, à un projet de réforme paramétrique, à vocation financière mais rabougri car ne jouant que sur un seul levier de financement, ce qui n’avait pas été le cas lors des réformes de 2003, 2010 et 2014.

L’unité syndicale, l’ampleur historique des mobilisations, leur ancrage territorial, les enquêtes d’opinion révèlent un refus massif de la réforme actuelle. Un principe de réalité sociale doit prévaloir. La priorité doit être donnée à l’emploi des seniors et une discussion doit s’engager sur d’autres sources de financement pour financer les besoins du système des dix prochaines années.

Antoine Rémond
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