Dans un contexte politique bouleversé et une période de forte inflation, Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha, invite les pouvoirs publics à revisiter les ordonnances de 2017 et la loi Pacte de 2019 afin de renforcer le rôle des CSE et la présence des représentants de salariés dans les instances de gouvernance de l’entreprise, pour construire une société moins porteuse d’inégalités sociales.
Après l’obtention d’un deuxième mandat présidentiel, Emmanuel Macron a subi un sévère revers aux élections législatives. Certes, François Mitterrand et Jacques Chirac avaient enregistré, en leur temps, une défaite plus cinglante encore, avec des oppositions disposant de la majorité absolue et imposant une cohabitation qui n’avait d’ailleurs pas tourné à leur avantage.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Mais le revers du président de la République s’accompagne d’une progression de l’abstention, qui ne se dément pas, et d’une poussée impressionnante d’un courant d’extrême-droite lors des deux scrutins. Ce courant capte le vote des catégories les plus modestes, avec notamment un vote largement majoritaire des ouvriers, ce qui devrait interpeller les forces traditionnelles de gauche, de droite et du centre.
Si la majorité présidentielle ne modifie pas le cours de sa politique économique et sociale dans le sens d’une plus forte réduction des inégalités et si les différentes oppositions n’affirment pas leur capacité à gouverner en améliorant la crédibilité et la cohérence de leurs programmes, on peut imaginer que le plafond de verre, qui bloque l’accession aux responsabilités de ce courant, ne résistera pas à l’échéance de 2027.

Dans une société bien fracturée, malgré l’embellie relative de l’emploi, l’essentiel se jouera sur le terrain social, et notamment dans l’entreprise, même s'il ne faut pas négliger les autres facteurs qui nourrissent cette ascension de l’extrême-droite. Les conséquences sociales de l’indispensable transition environnementale, si elles ne sont pas maîtrisées, conduiront à une explosion, dans la rue ou dans les urnes, et à l’expression du désespoir, comme l’a montré le mouvement des gilets jaunes.
Comment le gouvernement d’Élisabeth Borne et le président de la République, avec leur marge de manœuvre amputée, vont-ils répondre aux exigences multiformes et quelles peuvent être les priorités ?
L’urgence absolue concerne le pouvoir d’achat. L’autre exigence concerne le changement de méthode pour gouverner autrement, à tous les niveaux, en faisant vivre la démocratie dans toutes ses dimensions.
La loi "Pouvoir d’achat", qui va être débattue au Parlement, tente de trouver un équilibre entre les engagements pris par le gouvernement et les initiatives qui relèvent des entreprises. Les 20 milliards mis sur la table par le gouvernement ne sont pas négligeables, mais la réussite de ce programme est également suspendue à la capacité des entreprises à prendre le relais. Celles dont la santé financière et la visibilité sur les marchés sont satisfaisantes ne peuvent aujourd’hui se limiter au seul rendez-vous annuel sur la politique sociale, fût-ce au prix d’un effort qu’il convient de faire sur les rémunérations fixes. Pour le compléter, une meilleure mobilisation des dispositifs historiques de partage des performances que constituent la participation et l’intéressement apparaît tout à fait adaptée. Il s’agit de dispositifs négociés dans l’entreprise organisant une redistribution générée par l’atteinte d’objectifs communs. Au-delà de ces outils classiques de la politique salariale, le dispositif Pepa, dont le plafond va être porté à 3 000, voire 6 000 euros dans certains cas, apparaît particulièrement attractif. On peut toutefois déplorer qu’il vienne limiter la volonté exprimée de la part des PME de développer l’intéressement et la participation. Un principe de réalité a prévalu compte tenu des résultats insuffisants en la matière depuis de nombreuses années. Il faudra toutefois relancer ce chantier une fois passée l’urgence sociale sur le pouvoir d’achat.

Mais, au-delà de ce problème immédiat à résoudre, compte tenu d’une poussée inflationniste, dont l’ampleur et la durée sont difficiles à maîtriser, il y a sans doute l’exigence d’un autre partage de la valeur et des richesses. Car notre société est encore marquée par des inégalités fortes, tant au niveau des revenus que des patrimoines, bien moins supportables qu’auparavant et à juste titre. La pandémie a mis en exergue des métiers difficiles, à l’utilité sociale incontestable, mais mal rémunérés. La transition écologique, dont le coût est largement occulté et sous-estimé, va bousculer les gouvernants et les citoyens, même si un large consensus se réalise autour de la nécessité de protéger notre planète. Qui va payer ? La puissance publique ? Les entreprises ? Les salariés ? Les citoyens ?
Au-delà des initiatives étatiques, en matière de politique fiscale notamment, l’entreprise est bien sûr concernée par ces enjeux de partage de la valeur. De nombreux dirigeants d’entreprise expriment aujourd’hui clairement que des exigences de rentabilité trop élevées, portées par certains actionnaires, ne sont plus compatibles avec les enjeux, les coûts et les conséquences sociales de la transition écologique ni avec la nécessité de lutter plus énergiquement contre les inégalités de revenus.
Il n’est certes pas aisé de concilier des mesures immédiates de préservation du pouvoir d’achat et des mesures plus structurelles de rééquilibrage entre salariés et actionnaires, dans le partage des richesses. Une voie est envisageable pour y parvenir et contribuerait en outre à renforcer la démocratie sociale au cœur de l’entreprise, répondant ainsi à l’exigence citoyenne de s’impliquer davantage dans les processus de décision. Mais, pour cela, une amélioration du cadre législatif, mis en place lors de la précédente mandature, est nécessaire.
Soyons clairs, les ordonnances du 22 septembre 2017 ont certainement contribué à fluidifier le marché du travail, mais si l’objectif était également d’améliorer le dialogue social au niveau de l’entreprise, nous sommes très loin du compte. On peut certes mettre en avant le nombre d’accords signés, la vitalité réelle du dialogue social pour faire face à la pandémie ou l’apprentissage plus laborieux que prévu des nouvelles règles, compte tenu des pratiques nouvelles imposées par les modifications du code du travail.
Mais la fusion des instances de représentation mérite aujourd’hui d’être sérieusement réévaluée. L’origine des carences, que met en évidence le Comité d’évaluation, présidé par Jean-François Pillard et Marcel Grignard, renvoie notamment à la faiblesse des moyens mis à la disposition des représentants du personnel, incompatible avec la réussite d’une fusion aussi délicate. L’échec est aussi lié à l’intégration dans le processus de fusion des délégués du personnel ; l’effacement de la représentation de proximité est aujourd’hui un sérieux problème, tant pour les organisations syndicales que pour les directions des ressources humaines.
Une des plus sérieuses conséquences de cette fusion non aboutie est également l’effacement relatif des questions de santé, de sécurité et de conditions de travail, dans une période où les transformations rapides et profondes des entreprises mettent forcément ces questions à l’ordre du jour.
Il faut donc rapidement corriger les ordonnances et redonner à la représentation du personnel et aux CSE les moyens de jouer leur rôle, pour faire entendre leur voix, au moment où la conciliation des objectifs économiques, sociaux et environnementaux n’est pas chose aisée, dans les entreprises comme dans les branches professionnelles.
Mais cela ne suffira pas. Dans la gestion courante de l’entreprise, même s’il est plus souvent sollicité pour donner un avis sur des décisions déjà entérinées et ne peut en conséquence jouer le rôle d’anticipation et de prévention qui devrait être le sien, le CSE occupe une place indéniable. Celle-ci est d’autant plus appréciée par les salariés que ces derniers vivent le plus souvent le pluralisme syndical qui leur est proposé comme une source de divisions, contre-productive pour la défense de leurs intérêts.
Pourquoi ne pas doter le CSE d’un pouvoir de négociation et de signature des accords d’entreprises, complétant et non se substituant aux prérogatives des syndicats ? Le CSE reste un lieu où les convergences se construisent et le secrétaire de cette instance, quelle que soit son appartenance syndicale, est bien souvent une personne de consensus, bien utile pour surmonter les obstacles. Une telle évolution a bien plus de sens que la volonté exprimée dans certains milieux de mettre en cause la représentativité syndicale dans ses formes actuelles, qui déséquilibrerait définitivement les relations entre les employeurs et les salariés.
Et puisqu’il est question de négociation collective, le législateur pourrait corriger une anomalie choquante du cadre actuel ; il serait grand temps en effet que le plan de développement des compétences, qui peine dans bien des cas à être concerté, soit enfin négocié. À l’heure des lourdes transitions qui attendent les entreprises, de l’essor du CPF qui reste à consolider, de la future mise en place d’un compte épargne-temps universel, ne pas faire de ce sujet essentiel, pour les entreprises comme pour les salariés, un objet de négociation, de compromis puissant et mobilisateur est très préjudiciable.
L’avenir de notre société passera par un effort soutenu et durable d’éducation et de formation ; il faut faire de cette question un enjeu de dialogue social et plus encore de négociation dans nos entreprises, pour affecter les ressources de façon judicieuse.

Mais si l’on veut aller plus loin dans le sens d’un renforcement de la démocratie sociale, le rétablissement, puisque c’est de cela qu’il s’agit, des prérogatives pleines et entières des CE, CHSCT, au sein de la nouvelle instance, ne suffit pas, pas plus que l’élargissement du champ de la négociation collective. Le CSE ne sera toujours pas partie prenante des grandes décisions qui font la vie de l’entreprise.
C’est au niveau des conseils d’administration ou des conseils de surveillance que se joue la partie. Il y a aujourd’hui 13 pays sur 27, en Europe, qui permettent au tiers des administrateurs d’une société de représenter les salariés, selon des modalités diverses. La France, grâce à une évolution salutaire de la loi Pacte, pourrait être le quatorzième et donner un signe pour consolider une Europe sociale encore bien fragile.
Une présence plus forte dans les conseils d’administration ne résout pas tous les problèmes. Mais pour ne prendre que l’exemple du partage de la valeur, croit-on sérieusement que l’on trouvera des équilibres durables, au-delà des mesures conjoncturelles qu’appelle le regain de l’inflation, sans une gouvernance de l’entreprise mieux partagée, là où les décisions essentielles se prennent ?
La présence dans les instances de gouvernance de l’entreprise et le renforcement du rôle du CSE, dans sa gestion courante, seraient complémentaires. Les représentants des salariés feraient connaître leurs positions, au moment où les grandes décisions stratégiques ou organisationnelles sont prises dans les conseils d’administration. Ils n’en seraient que plus efficaces pour que le fonctionnement quotidien de l’entreprise respecte les nécessaires équilibres entre les différentes parties prenantes.
Confrontés à des responsabilités accrues, les représentants des salariés y trouveraient une légitimité renforcée, notamment auprès des jeunes générations.
L’entreprise bénéficierait de compromis exigeants et équilibrés, donnant la force nécessaire à sa raison d’être et à l’utilité sociale de ses métiers.
En revisitant les ordonnances de 2017 et la loi Pacte de 2019, le gouvernement a sans aucun doute l’occasion de répondre, sur le terrain où se joue l’avenir de millions de citoyens, à cette aspiration profonde exprimée lors des récents scrutins : plus d’écoute, plus de concertation, plus de participation aux prises de décision, pour construire une société moins porteuse d’inégalités sociales, d’absence de reconnaissance et de déclassement.
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