Salarié protégé : l'obligation de sécurité en cas de harcèlement prévaut sur l'obligation de réintégration

07.12.2021

Gestion du personnel

L'impossibilité de réintégration est caractérisée envers un salarié protégé, supérieur hiérarchique de salariés soutenant avoir été victimes du harcèlement moral de ce dernier et ayant à ce propos exercé leur droit de retrait. L'employeur est tenu par son obligation de sécurité, dont participe l'obligation de prévention du harcèlement moral.

La protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun dont bénéficient les salariés protégés limite drastiquement le pouvoir de l'employeur en matière de réintégration lorsque l'autorisation de licenciement a été annulée. Ainsi, l'impossibilité de réintégration est entendue très limitativement par la jurisprudence. La décision de la Cour de cassation du 1er décembre 2021 admet cette impossibilité lorsque cette obligation de reclassement est confrontée avec l'obligation de sécurité dans le cadre de l'obligation de prévention du harcèlement moral.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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L'arrêt apporte également des précisions sur le calcul de l'indemnité due au salarié, en particulier sur l'acquisition de jours de congés payés pendant la période d'indemnisation.

Obligation de sécurité en matière de harcèlement contre obligation de réintégration

Autorisation de licenciement pour faute grave annulée pour défaut de motivation et demande de réintégration

Dans cette affaire, une salariée bénéficiaire du statut protecteur (elle est représentante du Medef au conseil d'administration d'un Urssaf) est licenciée pour faute grave pour des faits de harcèlement moral, sur autorisation de l'inspecteur du travail.

Mais l'autorisation est annulée sur recours hiérarchique pour défaut de motivation de la décision administrative. L'inspecteur du travail a bien procédé à son enquête et retenu des faits graves justifiant le licenciement, mais il n'a pas précisé expressément si les faits constituaient une faute suffisamment grave pour justifier le licenciement. Le Ministre n'a pas statué sur la demande, au motif qu'à la date où il a rendu sa décision la salariée n'était plus protégée.

Cette dernière était donc libre de demander sa réintégration, ce qu'elle a fait. A la suite de quoi son employeur la licencie à nouveau pour faute grave sur les mêmes faits, la salariée n'étant alors plus protégée. Elle demande l'annulation de ce licenciement, ce que les juges lui refusent estimant son licenciement pour faute grave justifié. Elle avance que l'employeur ne peut refuser la réintégration d'un salarié protégé après annulation de l'autorisation de ce licenciement que s'il justifie d'une impossibilité absolue de réintégration, et que « le refus d'une partie du personnel de travailler à nouveau avec ce salarié ne saurait constituer une telle impossibilité ».

Obligation de sécurité en matière de harcèlement qui prévaut sur l'obligation de réintégration

Mais la Cour de cassation confirme la décision des juges du fond. Elle commence par rappeler qu'en « application de l'article L. 2422-1 du code du travail, le salarié protégé dont le licenciement est nul en raison de l'annulation de l'autorisation administrative doit être, s'il le demande, réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent. Il en résulte que l'employeur ne peut licencier un salarié à la suite d'un licenciement pour lequel l'autorisation a été annulée que s'il a satisfait à cette obligation ou s'il justifie d'une impossibilité de réintégration ».

Puis, les juges ajoutent que « tenu par son obligation de sécurité dont participe l'obligation de prévention du harcèlement moral, l'employeur ne pouvait pas réintégrer la salariée dès lors que celle-ci était la supérieure hiérarchique des autres salariés de l'entreprise, lesquels soutenaient avoir été victimes du harcèlement moral de cette dernière et avaient à ce propos exercé leur droit de retrait, de sorte qu'était caractérisée l'impossibilité de réintégration ».

En d'autres termes, son obligation de sécurité en matière de harcèlement moral constitue bien une impossibilité absolue de réintégration.

Remarque : les faits reprochés à la salariée étaient sérieux et étayés par de nombreux témoignages. Ainsi, les moyens annexés à l’arrêt nous apprennent que les méthodes de management de cette salariée avaient provoqué une dégradation telle des conditions de travail que plusieurs salariés avaient eu recours aux antidépresseurs et avaient bénéficié d'arrêts maladie. Ces méthodes d'encadrement avaient ainsi installé une situation délétère, caractérisée aussi bien par des réunions trop fréquentes, avec des instructions données dans l'urgence, contredites régulièrement et sans cohérence, et une absence de prise de décision sur des sujets d'importance, une rétention d'information et une absence de communication avec les organismes patronaux, interlocuteurs naturels, mais aussi en confiant à ses collaborateurs des tâches ne relevant manifestement pas de leurs fonctions et considérées comme humiliantes (nettoyage de la cuisine pour une salariée chargée de communication par exemple), ou encore en demandant l'exécution de tâches à la juriste pendant son congé maternité. Elle faisait également souvent des commentaires désobligeants sur la vie privée des salariés, ou encore avait un comportement et faisait des remarques méprisantes (par exemple en répondant lors d'un entretien à un salarié qui sollicitait un statut cadre qui lui avait été promis, qu'il « ne valait pas une augmentation de 50 euros »), etc. Si bien que l'ensemble de ses collaborateurs ont fait jouer leur droit de retrait lors de la réintégration de cette salariée. 

Revirement de jurisprudence ou assouplissement en cas de harcèlement ?

C'est la première fois que la Cour de cassation adopte cette solution.

D'autant que la jurisprudence semblait donner raison à la salariée. En effet, la Haute Cour est très restrictive à l'égard de la qualification d'impossibilité absolue de réintégration. Plus particulièrement, plusieurs arrêts ont jugé que l'opposition d'une partie du personnel ne peut pas faire obstacle à la réintégration, cela ne constituant pas un cas de force majeure permettant à l'employeur de s'affranchir de son obligation pénalement sanctionnée. La Cour de cassation a même précisé que lorsque ce refus du personnel repose sur des motifs de harcèlement écartés par l'autorité administrative, cela ne peut suffire à caractériser une impossibilité absolue de réintégrer le salarié protégé à son exact poste (Cass. soc., 9 juin 1988, n° 85-40.022 ; Cass. soc., 7 juill. 1988, n° 85-45.990 ; Cass. crim., 29 nov. 1988, n° 86-95.884 ; Cass. soc., 24 juin 2014, n° 12-24.623).

Mais s'agit-il vraiment d'un revirement de jurisprudence ? Il nous semble qu'il faut continuer d'entendre l'impossibilité totale de réintégration très restrictivement, et que l'opposition des salariés ne la caractérise pas forcément. La Cour de cassation est très précise dans sa motivation : elle souligne bien que la salariée est la supérieure hiérarchique des salariés s'étant plaints de son harcèlement, et que ceux-ci ont exercé leur droit de retrait.

Rappelons que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité, et qu'il a respecté son obligation de protection de la santé des salariés s'il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention et les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement dès qu'il a été informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral (notamment, Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702).

NDLR : à noter également que l'autorisation de licenciement a été annulée pour un motif de légalité externe, tenant à son défaut de motivation, mais elle avait bien été octroyée au vu des faits constatés lors de l'enquête de l'inspecteur du travail. Or la jurisprudence est bien moins stricte lorsque c'est un motif de légalité externe qui est à l'origine de l'annulation. Par exemple, la tenue d'un nouvel entretien préalable ne s'impose pas en cas de nouvelle demande d'autorisation de licenciement fondée sur les mêmes motifs que la première, lorsque celle-ci avait fait l'objet d'un refus d'autorisation ou d'une annulation d'autorisation pour un motif de légalité externe (CE, 13 nov. 1991, n° 91226). Mais la Cour de cassation ne soulève pas ce point dans sa motivation.

Droit aux congés payés afférents à la période d'indemnisation

L'arrêt se prononce également sur un tout autre sujet relatif à l'indemnisation du salarié protégé dont l'autorisation de licenciement a été annulée.

Rappelons que selon l'article L. 2422-4 du code du travail, lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié protégé a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, ou dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision d'annulation. 

La Cour rappelle que cette indemnité correspond  à la totalité du préjudice subi au cours de cette période et que ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité, laquelle constitue un complément de salaire.

La Haute cour en déduit « que cette indemnité ouvre droit au paiement des congés payés afférents ».

La salariée doit donc bénéficier de l'indemnité de congés payés pour la période couverte par l'indemnité d'éviction.

C'est la première fois à notre connaissance que la Cour de cassation se prononce sur ce point.

Séverine BAUDOUIN, Dictionnaire permanent Social
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