Salarié protégé : responsabilité de l'État à l'égard de l'employeur en cas d'illégalité de l'autorisation de licencier

07.08.2025

Gestion du personnel

L'illégalité de la décision autorisant le licenciement d'un salarié protégé, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État. L'employeur est donc en droit d'obtenir réparation de son préjudice direct et certain en résultant. Cependant, les manquements de l'employeur peuvent exonérer en partie cette responsabilité.

Lorsque l'employeur décide de licencier un salarié protégé, il doit en demander l'autorisation à l'inspecteur du travail. Si la décision de l'administration est par la suite annulée, il est possible d'obtenir réparation de l'État, au nom duquel agit l'autorité administrative, des préjudices directs et certains qui en ont résulté. Ce principe s'applique aussi bien pour un refus illégal que pour une autorisation illégale, et aussi bien au salarié protégé qu'à l'employeur (CE, 4 nov. 2020, n° 428198 ; CE, 4 nov. 2020, n° 428741 ; CE, 20 juin 2022, n° 438885). Il en va de même du refus illégal de l'administration de se prononcer sur une autorisation de licenciement d'un salarié protégé (l'inspecteur du travail s'estimant, à tort, incompétent) (CE, 7 oct. 2021, n° 430899). A noter que même si l'illégalité entachant la décision est imputable à une simple erreur d'appréciation, cela constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique (CE, 9 juin 1995, n° 90504).

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

Découvrir tous les contenus liés

Il faut alors déterminer le préjudice direct et certain causé par la décision illégale pour évaluer l'indemnisation. Et ensuite, il convient d'évaluer le partage éventuel de responsabilité avec l'employeur, exonérant en partie l'État.

Le Conseil d'État, dans cette décision du 16 juillet 2025, mentionnée aux tables du recueil Lebon, reprend toutes les étapes de cette procédure.

Méthode à suivre pour déterminer si l'illégalité de la décision administrative a causé un préjudice

L'autorisation de licenciement annulée car délivrée par une inspectrice du travail territorialement incompétente...

Dans cette affaire, l'employeur est l'IGESA, un établissement public sous la tutelle du ministère de la Défense, gérant le Foyer central des forces françaises en Allemagne. Ce foyer fermant ses portes, l'IGESA demande l'autorisation de licencier pour motif économique 8 salariés protégés. L'administration parisienne, s'estimant territorialement incompétente, transfère les demandes à l'inspection du travail de Bastia, où se situe la direction des ressources humaines de l'IGESA. L'inspectrice du travail délivre les autorisations de licenciement.

6 des 8 salariés protégés concernés attaquent ces décisions devant le tribunal administratif de Bastia, qui les annule, au motif que l'inspectrice du travail corse était territorialement incompétente. Les salariés saisissent ensuite le conseil de prud'hommes pour obtenir réparation de leurs préjudices et par 6 jugements, le juge judiciaire condamne l'IGESA à leur verser une somme totale de près de 160 000 euros comprenant l'indemnité « d'éviction » prévue par l'article L. 2422-4 du code du travail (c'est-à-dire l'indemnité due au salarié protégé en cas d'annulation d'une autorisation de licenciement), et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A la suite de quoi, l'IGESA a recherché la responsabilité pour faute de l'État afin d'obtenir le remboursement de ces sommes en invoquant l'illégalité des autorisations de licenciement.

...cause un préjudice direct et certain à l'employeur...

Le Conseil d'État se fonde sur l'automaticité de l'indemnisation due par l'employeur, au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail pour en tirer un lien de causalité direct et certain avec l'illégalité fautive dont sont entachées les autorisations de licenciement annulées. 

En d'autres termes, l'employeur doit verser cette « indemnité d'éviction »  dès lors que l'autorisation de licenciement est annulée, ce préjudice pour l'employeur est donc la résultante directe de l'illégalité de la décision d'autorisation.

Il en va de même de l'indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail : c'est bien parce que les autorisations administratives étaient illégales que les salariés ont pu demander au conseil de prud'hommes l'indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Remarque : si le principe de séparation des pouvoirs interdit au conseil de prud'hommes de se prononcer sur le caractère réél et sérieux du licenciement d'un salarié protégé, lorsque l'annulation de la décision d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de légalité externe (vices de forme ou de procédure de l'acte litigieux et compétence de l'autorité qui l'a édicté), comme dans l'affaire du 16 juillet 2025, le juge judiciaire retrouve sa liberté d'appréciation de la cause réelle et sérieuse dudit licenciement (Cass. soc., 22 mai 1995, n° 92-45.243 ; Cass. soc., 4 juill. 2018, n° 16-26.138). D'autre part, lorsque l'autorisation de licenciement est annulée pour un motif de fond, le juge judiciaire ne peut revenir sur l'appréciation des juges administratifs, en raison également du principe de séparation des pouvoirs. Dans ce cas, le juge judiciaire octroie l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le cas échéant (Cass. soc., 21 oct. 2009, n° 08-43.160 ; Cass. soc., 26 sept. 2007, n° 05-42.599).

Et c'est pareil, précise le conseil d'État, avec les frais d'honoraires d'avocat exposés par l'IGESA devant le conseil de prud'hommes, ainsi que des frais au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre des instances prud'homales mis à la charge de l'IGESA : ces frais ont été engagés en raison de la procédure intentée suite à l'annulation de la décision administrative litigieuse.

Remarque : il n'en est pas question ici, mais le Conseil d'État a jugé qu'en revanche, les indemnités en lien avec la rupture du contrat de travail s'imposant à l'entreprise dès lors qu'elle décide de procéder au licenciement (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de congés payés et indemnité de licenciement), leur versement est dépourvu de tout lien direct avec la faute de l'administration (CE, 26 févr. 2001, n° 211102).

...mais seulement si la même décision aurait été prise par l'autorité compétente

Pour reconnaître la responsabilité de l'État dans le cas d'une autorisation illégale en raison de l'incompétence territoriale de l'inspecteur du travail, il faut toutefois vérifier un autre point : est-ce qu'une même décision aurait été prise par l'autorité administrative compétente ?

Si la réponse est oui, il ne peut y avoir de responsabilité de l'État : en effet, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale. Ainsi, comme l'a déjà décidé précédemment le Conseil d'État (CE, 4 nov. 2020, n° 428198 ; CE, 21 juill. 2023, n° 457196), le juge administratif doit rechercher si les mêmes décisions que celles annulées par le tribunal administratif auraient pu légalement intervenir, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. 

Dans cette affaire, la cour administrative d'appel n'a pas fait ce travail : elle a jugé que le préjudice causé par le versement aux salariés des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'était pas en lien direct avec l'illégalité fautive résultant du vice d'incompétence, dès lors que le tribunal administratif n'avait pas annulé les décisions attaquées en raison de l'inexacte appréciation par l'inspectrice du travail du motif économique projeté. L'IGESA est donc fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel.

Remarque : le Conseil d'État procède lui-même à cette vérification, dans le cadre de l'évaluation du partage de responsabilité entre l'État et l'employeur (v. ci-dessous).

Responsabilité partagée qui exonère partiellement l'État

La dernière étape du contrôle du juge administratif consiste à vérifier si la faute de l'employeur en sollicitant la délivrance d'une autorisation de licenciement, exonère partiellement l'État de sa propre responsabilité. C'est ce que tranche ici le Conseil d'État.

Pour ce faire, il évalue le motif économique invoqué par l'employeur. D'après la Haute cour administrative, il ne résulte d'aucune des pièces produites que le motif économique des licenciements projetés, apprécié au niveau  de l'ensemble des secteurs de l'activité sociale de l'IGESA était établi, ce que les jugements du conseil de prud'hommes (devenus irrévocables) ont également retenu. Dans ces conditions, le motif économique n'étant pas établi, poursuit le Conseil, les mêmes décisions n'auraient pas pu être légalement prises par l'inspecteur du travail compétent.

Ainsi, conclut la Haute cour administrative, en sollicitant l'autorisation de procéder à ces licenciements sur le fondement d'un motif économique alors que ce motif n'était pas établi, l'IGESA a commis une faute  qui est de nature à exonérer l'État de 80 % de sa responsabilité.

Enfin, le Conseil d'État se prononce sur le fond. Elle donne donc raison à l'IGESA dans sa requête en annulation de la décision de la cour administrative d'appel mais elle limite la responsabilité de l'État sur tous les chefs d'indemnisation à une prise en charge de 20 % des frais et indemnités versées.

Remarque : à noter que le Conseil d'État déduit directement la faute de l'employeur de l'absence de cause réelle et sérieuse du motif économique de licenciement.

Séverine BAUDOUIN
Vous aimerez aussi