Santé au travail : "Durant la crise, on s'est affranchi des cadres, des normes, du reporting"

Santé au travail : "Durant la crise, on s'est affranchi des cadres, des normes, du reporting"

19.10.2020

Gestion du personnel

Dans l'urgence, la crise sanitaire a fait émerger de nouveaux modes simplifiés de décision et d'organisation. Certaines de ces pratiques doivent elles être pérennisées dans le cadre de la négociation actuelle sur la santé au travail ? C'est ce qu'estime un groupe d'experts réuni la semaine dernière par Malakoff Humanis.

La négociation sur la santé au travail suit son rythme soutenu afin de tenir un agenda serré. Fin novembre, les partenaires sociaux ont l'ambition de parvenir à un accord national interprofessionnel qui guidera l'écriture d'une nouvelle réforme de la santé au travail. Si tout se déroule bien, une nouvelle loi sur ce sujet épineux devrait voir le jour en 2021. Juste à temps pour envoyer un signal positif du gouvernement avant la prochaine élection présidentielle.

Mais la crise sanitaire ajoute une pression particulière sur le sujet de la santé au travail. Son importance a été mise en lumière. Les salariés sont exposés au virus dans le cadre de leur travail ; santé publique et santé au travail se confondent. Les entreprises doivent faire appliquer les consignes nationales. Les salariés sont invités à rester chez eux si l'un de leurs proches est vulnérable. Le rôle de la santé au travail prend un tournant. Cette nécessité se fait encore plus pressante dans un contexte de nouvelle vague épidémique, alors que certains déplorent encore l'absence d'une action coordonnée au niveau national des services de santé au travail.

"La crise a confirmé les faiblesses du système actuel. Les acteurs de la santé au travail ont eu des difficultés pour organiser leur service auprès des entreprises, il ne sont pas montés au front comme on aurait pu l'espérer" regrette Jean-François Naton, Vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Ce dernier était l'un des invités de la table ronde intitulée "Vers un big bang de la santé au travail", organisée par Malakoff Humanis le 13 octobre. Les cinq experts réunis à cette occasion, qu'ils soient DRH, député ou encore spécialiste sécurité d'une organisation patronale, font remonter du terrain leur avis sur la santé au travail.

Moins de sécurité, plus de santé

L'erreur première commise durant la crise est celle d'avoir maintenu une frontière trop opaque entre santé publique et santé au travail, selon plusieurs des participants. "Les services de santé au travail auraient pu jouer un rôle important, souligne Franck Gambelli, directeur sécurité, conditions de travail et environnement de l'UIMM. Une ordonnance prévoyait de leur confier une partie de la gestion des tests, mais cette prérogative leur a finalement été retirée. Ils auraient été un interlocuteur de choix pour la gestion des cas contacts, qui pose aujourd'hui problème dans les entreprises".

Est-il encore approprié de cantonner la santé au travail aux seuls maux directement liés au travail ? Les liens entre médecine du travail et médecine de ville commencent à se tisser à travers le dossier médical partagé (DMP), et cette dynamique pourrait encore aller plus loin. "Dans les faits, nous avons articulé santé travail et santé publique durant la crise, sur le sujet des personnes vulnérables par exemple, explique Jérémy Mailly, directeur des ressources humaines du groupe MOM. Pour s'identifier en tant que tels et bénéficier du chômage partiel, ces salariés nous ont confié des informations de santé auxquelles nous n'avions pas accès : IMC, hypertension, maladies respiratoires etc."

"Les instances de santé au travail de demain devront être capables de faire le lien avec la santé publique, poursuit le DRH. Et pour cela, il faut qu'elles soient davantage armées sur le sujet de la santé. Aujourd'hui, on sait ce que l'on doit faire dans les entreprises en matière de travaux en hauteur ou de manipulation de produits chimiques, car les entreprises sont formées aux contraintes réglementaires en matière de sécurité. Pour la santé, c'est encore trop flou."

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Se débarrasser des "entraves du bien travailler"

Malgré l'urgence sanitaire, l'heure n'est plus à la multiplication des obligations pour les entreprises, selon Anne-Sophie Godon, directrice innovation de  Malakoff Humanis. "Toute contrainte supplémentaire serait excessive : la santé doit être perçue côté entreprise comme un investissement pour sa performance, et non comme une contrainte".

D'autant que les entreprises ont naturellement adopté, dans l'urgence de la crise, une manière plus simple de dialoguer et de décider. Jean-François Naton (Cese), décrit "une expérience très intense de dialogue social". "Il a fallu réorganiser tous les flux de l’entreprise, gérer les informations qui venaient de tous côtés, et analyser les postes de travail au plus près des réalités. La crise a ouvert une forme d'engagement total au service du bien être et de la santé des salariés en s'affranchissant des cadres, normes, reporting. En bref de toutes les « entraves du bien travailler ». Cette expérience conforte dans l'idée qu'il est possible d'organiser la santé au travail de façon plus simple, en partant du débat sur la qualité du travail."

"Durant les réunions avec les instances du personnel durant la crise, il y a eu très peu de postures idéologiques autour de la table, y compris côté entreprise, confirme Jérémy Mailly (groupe MOM). Nous étions concentrés sur très peu de sujets, et sur la recherche de solutions de terrain. Il serait intéressant de retrouver cette simplicité pour parler de santé en entreprise."

Les courroies de distribution des pratiques de santé

Faire que l'exceptionnel devienne la norme, tel devrait être l'objectif de la future réforme de la santé au travail, selon Jean-François Naton (Cese). "Sous l'effet de la crise, une mise en débat du travail est née dans les entreprises. C'est-à-dire pouvoir librement parler de son travail, et le confronter aux objectifs d'efficacité de l'entreprise. Cela doit perdurer. Mais les entreprises doivent pour cela être accompagnées. Et c'est dans ce sens que l'efficacité des acteurs de la santé au travail doit être remise en question."

"Les branches professionnelles arrivent à accomplir de grandes avancées en déclinant de façon pratique les principes de santé au travail, rebondit Jérémy Mailly (groupe MOM). C'est très utile pour les petites et moyennes entreprises qui n'ont pas forcément les compétences sur ces sujets. Mais nous avons aussi besoin d'acteurs de proximité, car c'est dans l'entreprise qu'on en comprend réellement les enjeux. Il faut donc que cet acteur joue le rôle de courroie de distribution entre les branches nationales matures sur les questions de santé au travail et les entreprises locales. Des personnes formées à ces sujets."

"Les managers sont bien placés pour servir de courroie de transmission, intervient Anne-Sophie Godon (Malakoff Humanis). La santé doit faire partie du quotidien de travail et des pratiques managériales, y compris dans des secteurs où les risques en matière de santé sont moins visibles. Les enjeux de santé doivent être internalisés : il faut que tout le monde soit convaincu qu’en prenant en compte la santé au travail, on aura de la performance. Et comme les entreprises jugent sur preuves, il serait intéressant de mettre en place des formations à l'évaluation des impacts de la politique de santé au travail."

Remettre le travail au centre de la politique

Et c'est justement cette nécessité de proximité qui est la cause de l'échec des réformes en santé au travail, selon Jean-François Naton (Cese). "Le troisième plan de santé au travail était selon moi très bon : il portait les bons diagnostics et contenait tout ce qu'il faut pour bien faire. Les difficultés sont liées à sa mise en oeuvre : savoir embarquer, créer la dynamique de proximité une fois les règles adoptées au niveau stratosphérique. Pourquoi refaire indéfiniment le match avec une nouvelle négociation, alors que le diagnostic est déjà posé ?"

"Je ne pense pas que le sujet soit réellement porté politiquement, estime Stéphane Viry, député des Vosges et membre de la commission des affaires sociales. Malgré tout, la question doit être traitée durant ce quinquennat et nous ferons tout pour que la loi soit à la hauteur des enjeux du XXIe siècle. Mais de grâce, ne portons pas uniquement le regard sur les questions de gouvernance ! Le constat des carences de la santé au travail durant l'épidémie, les nouveaux risques pour la santé causés par le développement du télétravail... Il y a énormément de sujets à mettre sur la table, avec un champs très large. Si l'on veut que les ressources humaines deviennent un élément de compétitivité, faisons en sorte que les hommes et les femmes soient épanouis dans leur travail, pour tirer l’entreprise vers le haut". "Tant qu'on ne remettra pas le travail au centre de la politique, insiste Jean-François Naton (Cese), on restera sur du bidouillage, du cosmétique".

Les négociations santé au travail reprendront le 29 octobre pour clôre le sujet de la gouvernance, avant de reprendre pour deux séances finales en novembre. Syndicats et patronat se disent optimistes sur la concrétisation d'un futur accord.

Laurie Mahé Desportes
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