En décembre, le trilogue est parvenu à un accord qui devrait être formellement adopté au printemps. Mais a-t-il trouvé l'équilibre entre défense des intérêts économiques et protection de l'intéret général ? Decryptage du contenu de la directive secret des affaires dans sa dernière version.
Le 15 décembre 2015, les représentants du Parlement européen, du Conseil de l’UE et de la Commission européenne, sont parvenus à un accord sur le projet de directive secret des affaires (voir texte en anglais ci-dessous). Avalisé de manière informelle, ce texte nécessite, désormais, le vote du Parlement européen pour être publié. Jeudi prochain, les députés de la commission des affaires juridiques du Parlement devraient donner le premier « la », avant la séance plénière prévue au printemps.
La directive vise à doter l’UE d’une protection uniforme des secrets d’affaires dans l’ensemble des pays membres. En définissant ce que le secret constitue, ainsi que le caractère licite et illicite de son obtention, utilisation ou divulgation, elle marque les contours de cette protection. Un garde-fou, que les États membres devront faire respecter à travers la transposition des dispositions de la directive. Transposition qui commandera l’ouverture d’un arsenal de mesures judiciaires civiles à la disposition des entreprises dépossédées : mesures provisoires, conservatoires et correctives, ainsi qu’obtention de dommages et intérêts. Le délai de prescription devra également être défini par chacun des États, sans pouvoir aller au-delà de 6 ans.
Jugé déséquilibré par des représentants de la société civile - journalistes, ONG et syndicats - et des parlementaires français, des modifications ont été apportées au texte en trilogue. Au printemps dernier, plusieurs pétitions avaient alerté l'opinion publique sur un texte décrit comme trop favorable aux intérêts des entreprises au détriment des intérêts sociaux, environnementaux ou démocratiques. Il portait atteinte aux révélations des lanceurs d’alerte ou au travail d’enquête mené par la presse. Et il faisait peser des contraintes sur la mobilité des salariés. Le travail du trilogue a-t-il suffi à redresser la barre ?
Comme initialement proposé par la Commission européenne, le texte conserve une définition large de ce que constitue un secret d’affaires, par référence à l’accord ADPIC (aspects des droits de propriété intellectuelle) de l’OMC du 15 avril 1994. Pourra constituer un secret protégé : une information secrète, qui a une valeur commerciale du fait de ce caractère secret, et qui a fait l’objet de dispositions raisonnables pour être gardée secrète par la personne la détenant. Tout un ensemble de savoir-faire et de connaissances techniques et commerciales pourront donc bénéficier du nouveau statut créé par le droit de l’UE : tant des innovations marketing, que des formules chimiques, des marques, des informations commerciales, des procédés de commercialisation, de fabrication, ou des techniques de montages de produits, etc.
D'abord en juin, puis début décembre, l’absence de périmètre donné à cette définition a été remise en cause par des syndicats, ONG et des médias français : ils la jugent trop favorable aux entreprises. Après les pétitions, ils ont adressé une lettre au président de la République, François Hollande (voir communiqué). « La définition est trop large et elle laisse trop de part à la subjectivité. Les agents économiques pourront estampiller secret des affaires à peu près tout ce qu’ils veulent », explique l’avocat William Bourdon, président de l’association Sherpa, signataire de la lettre et qui défendra Antoine Deltour devant le tribunal correctionnel de Luxembourg au mois de mai, pour ses révélations à l’origine de l’affaire Luxleaks.
La directive définit, ensuite, ce que constitue, d’une part, une obtention licite et, d’autre part, illicite d’un secret d’affaires. Sera, par exemple, considérée comme licite l’obtention d’un secret d’affaires par une « découverte indépendante ». Il en ira de même de l’observation et de l’étude d’un produit ou d’un objet, accessible au public ou qui est licitement en possession de la personne ayant obtenu l’information. Cette personne devra, par ailleurs, être libre d’une quelconque disposition contractuelle limitant son accès au secret d’affaires en cause. Cette dernière mention, ajoutée en trilogue, pourrait tant être opposée à un salarié de l’entreprise qu’à un fournisseur ou un sous-traitant ; en clair à toute une série d’acteurs liés par une obligation contractuelle, explique la députée européenne Constance Le Grip (LR, France), rapporteure sur le texte (voir également notre interview). Est également licite l’obtention d’un secret d’affaires par les travailleurs ou leurs représentants, dans l'exercice de leur droit à l’information et à la consultation. L’est encore une acquisition du secret qui résulte de toute autre pratique conforme aux « usages commerciaux honnêtes ».
Concernant l’obtention illicite d’un secret d’affaires, la définition a été élargie par rapport au contenu de la proposition de directive. «��L’obtention d’un secret d’affaires sans le consentement de son détenteur est considérée comme illicite lorsqu’elle résulte, d’un accès non autorisé à tout document, objet, matériau, substance ou fichier électronique ou d’une copie non autorisée de ces éléments, que le détenteur du secret d’affaires contrôle de façon licite et qui contiennent ledit secret ou dont ledit secret peut être déduit ». Il en ira de même d’une obtention résultant de tout autre comportement considéré comme contraire « aux usages commerciaux honnêtes ».
Néanmoins le trilogue n'a pas retenu la référence à l’intentionnalité du comportement incriminé ou le fait que l’obtention du secret d’affaires résulte d’une négligence grave. Des éléments « qui n’ont plus semblé nécessaires, dans la mesure où l’on encadre très strictement, ailleurs, ce qui peut relever d’une acquisition licite » (voir plus haut), et que des exceptions sont énoncées, indique Constance Le Grip. Ces aspects n’auront donc plus à être démontrés pour faire valoir l’illicéité.
D’autre part, la référence à une obtention illicite du fait d’un vol, d’un acte de corruption, d’un abus de confiance n’est plus mentionnée. Ces références avaient été introduites par « une erreur que la Commission européenne a elle-même reconnue », mentionne l’eurodéputée. « Par nature un vol est nécessairement illicite, il y avait une redondance. (…) Et tout ce qui concerne le droit pénal n’est pas dans le champ de compétence de l’UE », rappelle Constance Le Grip.
Enfin, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret d’affaires sont aussi définies, toujours en ayant ôté la mention de l’intentionnalité ou de la négligence de la personne s’en rendant coupable.
Concernant la presse, les lanceurs d’alerte et les salariés, le trilogue a conduit à deux ajouts importants. Tout d’abord, est exclu du champ d’application de la directive l’exercice du droit à la liberté d’expression et à l’information, tel que prévu par la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Ainsi que le défaut d’impact de la directive sur l’application des règles nationales ou de l’UE qui requièrent du détenteur d’un secret d’affaires qu’il le révèle au public pour des raisons d’intérêt public. Dans les deux cas, les exclusions sont donc conditionnées.
Des exceptions à la possibilité de poursuites judiciaires sont également présentes dans le texte. Elles concernent, une nouvelle fois, l’exercice du droit à la liberté d’expression et à l’information, toujours avec cette référence à la Charte des droits fondamentaux de l’UE qui limite le travail de la presse à la nature d’intérêt public général de l’information divulguée. Aucune poursuite ne pourra, non plus, être activée à l’encontre d’une personne ayant révélé une fraude ou une activité illégale dans le cas où cette dernière aurait agi dans le but de protéger l’intérêt public général. Enfin, les salariés ne pourront pas être traduits en justice s'ils ont révélé le secret d’affaires à leurs représentants, révélation qui était nécessaire à l’exercice légitime des fonctions de ces derniers. Là encore, les cas d’exclusions sont très précisément énumérés par le texte.
Une analyse différente des exceptions |
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Pour Constance Le Grip, les modifications apportées en trilogue « garantissent, renforcent et consolident (…) l’exercice réel et effectif du travail des journalistes. L’exercice de l’activité de journaliste constitue un cas de non-application de l’intégralité des dispositions de la directive��». De la même manière, « l’exercice de la mission de lanceur d’alerte, pratiquée dans le cadre de l’intérêt public général, n’encourt pas l’application des mesures de sanctions ». Et « la notion d’intérêt public général n’est pas restrictive mais permet justement de bien cibler l’exception sur les lanceurs d’alerte. (…) Cela crédibilise et reconnaît pour la première fois, dans un texte de directive européenne, les missions des lanceurs d’alerte », défend-t-elle. Cette analyse n’est globalement pas partagée par l’avocat William Bourdon. Il ne néglige pas le premier pas opéré en trilogue mais le juge « insuffisant ». « Personne ne peut penser qu’il n’y a pas d’arrière-pensée très forte de la part de lobbies pour réduire la capacité de certains citoyens, lanceurs d’alerte ou journalistes d’investigation, de rendre responsables certains secteurs de l’économie qui veulent rester irresponsables. (…) Les exceptions sont trop vagues et laissent trop de marge d’appréciation, elles devraient être plus clairement définies ». Au contraire, « le secret des affaires pourrait être protégé sans être criminalisé » (…). Mais « la potentialité d’abus et de manipulations avec ce texte est considérable. (…) Il devrait être réécrit pour contenir tout risque d’instrumentalisation ». Il rappelle que 4 scandales financiers sur 5 en Europe ont été révélés par des lanceurs d’alerte... |
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