Secret professionnel de l'expert-comptable : le Conseil d'Etat ouvre la voie à une nouvelle exception

31.01.2023

Gestion d'entreprise

La plus haute juridiction administrative estime qu'un contentieux au civil donne la possibilité à un expert-comptable d'être délié du secret professionnel si cela est strictement nécessaire à la défense de ses droits. Pourtant, cette situation n'est permise explicitement par aucun texte législatif.

Un expert-comptable peut-il être délié du secret professionnel pour faire valoir ses droits devant le juge civil ? En creux, le Conseil d'Etat vient de répondre il y a quelques jours que la voie lui est ouverte, sous condition (CE n° 440070).

Production des messages échangés avec le client

L'affaire part d'un litige purement civil entre un expert-comptable et un client. Afin d'obtenir le paiement de ses honoraires, le professionnel produit devant le juge judiciaire plusieurs messages échangés avec ce client, dans lesquels figurent des indications sur le projet de cession du client et sur le mode de rémunération prévue pour cette mission.

L'expert-comptable est poursuivi au plan disciplinaire. La chambre nationale de discipline près le conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables, qui statue en appel, lui inflige un blâme avec inscription au dossier en raison notamment de la violation du devoir de loyauté et du secret professionnel (cette sanction est également justifiée par l'absence de lettre de mission et la pratique, totalement interdite à l'époque des faits, d'honoraires calculés sur les résultats financiers ; elle avait été également prononcée par la chambre régionale de discipline pour ces deux dernières raisons). Car elle juge que l'expert-comptable est tenue par le secret professionnel dans cette affaire purement civile.

Le secret professionnel de l'expert-comptable ne peut être levé en principe que par une disposition législative

Rappelons que le secret professionnel de l'expert-comptable ne peut en principe être levé que par une disposition législative (cf article 21 de l'ordonnance n° 45-2138 portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable). Parmi les situations de levée prévues par un texte législatif figurent les poursuites engagées à l'encontre du professionnel par les pouvoirs publics, les actions intentées contre lui devant les chambres de discipline de l'Ordre ou encore la déclaration de soupçon à Tracfin. Mais pas les affaires au civil.

L'argument de la stricte nécessité

Le Conseil d'Etat ne partage pas la position tranchée de la chambre nationale de discipline. Pour lui, cette dernière a commis une erreur de droit. Elle aurait dû "rechercher si le secret professionnel n'avait été levé que dans la mesure strictement nécessaire à la défense des droits de l'intéressé". Cette affaire, qui est renvoyée devant la chambre nationale de discipline, ouvre donc une possibilité de levée du secret professionnel de l'expert-comptable devant les juridictions civiles.

Cette position de la plus haute juridiction administrative va dans le sens de l'extension des cas de levée du secret professionnel aux situations légitimes, qu'elles soient prévues par un texte législatif ou non. C'est d'ailleurs la thèse soutenue par le Conseil national de l'Ordre des experts-comptables (Cnoec) en lien avec l'examen de conformité fiscale (ECF). "Dans certaines circonstances, les divulgations d’informations, a priori couvertes par le secret, peuvent être admises parce qu’elles sont fondées sur des situations de nécessité, que le juge s’efforce de caractériser de manière objective et manifeste, insistant sur leur caractère légitime. C’est le cas de la transmission du compte rendu de mission [d'ECF] par l’expert-comptable à la DGFiP, qui est prévue par les textes et nécessaire pour la réalisation de la mission", argumentait en 2022 le Cnoec. Pourtant, la levée du secret professionnel pour ce compte-rendu ne figure dans aucun texte législatif.

La question qui se pose à présent est de savoir si dans cette affaire au civil la levée du secret professionnel que s'est autorisé l'expert-comptable était strictement nécessaire à la défense de ses droits.

 

Ludovic Arbelet

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