"Si les PME peuvent faire le choix de licenciements économiques, les grands groupes privilégient des dispositifs plus soft"

"Si les PME peuvent faire le choix de licenciements économiques, les grands groupes privilégient des dispositifs plus soft"

19.05.2021

Gestion du personnel

Sortie de crise, restructurations, mesures d’accompagnement, travail post-crise… Aurélie Feld, la nouvelle présidente du cabinet conseil en ressources humaines LHH France, analyse les défis auxquels sont confrontés les DRH à court et moyen termes. Pas de quoi s’ennuyer avec le déconfinement !

Le projet de loi sortie de crise, adopte en première lecture à l’Assemblée nationale, la semaine dernière, prévoit la fin du régime transitoire le 30 septembre prochain. Cette date butoir est-elle suffisante pour mette un terme au "quoi qu’il en coûte" ? Et quid de l’arrêt progressif des aides ciblées sur l’activité partielle ?

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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 La fin du "quoi qu’il en coûte" doit être un accompagnement progressif et adapté de manière presque personnalisée

Les mesures sociales activées depuis le premier confinement (chômage partiel, fonds de solidarité, exonérations de charges et prêts garantis) ont constitué de bons amortisseurs pour surmonter le choc de la crise : nous avons moins de destruction d'emploi que dans beaucoup de pays, notamment aux Etats-Unis et moins de défaillances d’entreprises. Notre économie a résisté à la pandémie. L’objectif est aujourd’hui de débrancher les dispositifs d’aides sans faire de dégâts. D’où une extinction progressive de ces dispositifs, en fonction de la reprise d’activité notamment des secteurs les plus touchés, comme par exemple l’hôtellerie-restauration, l’événementiel.

Le gouvernement se laisse toutefois des marges de manœuvre, avec la possibilité de prendre des mesures spécifiques par ordonnance jusqu’au 30 septembre prochain, au prorata de la reprise d’activité, selon le projet de loi. Ce qui nous semble plutôt efficace. La fin du "quoi qu’il en coûte" doit être un accompagnement progressif et adapté de manière presque personnalisée pour ne pas handicaper certaines entreprises.

Redoutez-vous après l’arrêt des aides une vague de plans sociaux, avec notamment un regain des pré-retraites maison ? Quel est le retour de vos clients ?

Nous avons eu deux alertes mais aujourd’hui, il n’y a pas de raz de marée 

Pour l’heure, la vague des plans sociaux tant redoutée n’a pas eu lieu. Nous avons eu deux alertes, l’été dernier et au dernier trimestre 2020, mais aujourd’hui, il n’y a pas de raz de marée. D’ailleurs, nous ne sommes pas sûrs que cette vague arrive vraiment.

On sait d’expérience que les grandes entreprises gardent leurs projets de licenciement avant une échéance électorale importante. De plus, les mesures de soutien ont bien fonctionné, les entreprises tiennent le coup. Enfin, un PSE coûte cher. Sans visibilité économique, les entreprises peuvent avoir du mal à cibler les postes à supprimer et à évaluer une telle restructuration. Elles préfèrent se concentrer sur leur stratégie post-crise avant de prendre de telles décisions.

Les entreprises ont-elles activé d’autres dispositifs, à l’instar des ruptures conventionnelles collectives, des accords de performance collective, des plans de départs volontaires ou encore de l'APLD ?

Cette différence de traitement créé un système à deux vitesses, beaucoup plus pénalisant pour les salariés de ces petites structures 

On ne sait pas encore si ces dispositifs se substitueront ou non aux PSE. L’APLD a sans conteste permis de sauver de nombreux postes et de garder des compétences en interne, en évitant la politique du stop and go. Nous sommes sur un plateau relativement haut concernant les suppressions de postes.

Mais selon nos observations, la situation resterait très contrastée, en fonction de la taille d’entreprise. Si les petites structures (de moins de 250 salariés) peuvent faire le choix de licenciements économiques collectifs ou individuels, les grands groupes privilégieraient, eux, des dispositifs plus soft : gestion des emplois et des parcours professionnels, dispositifs seniors incluant des préretraites, mobilité interne, reconversions… Cette différence de traitement créé un système à deux vitesses, beaucoup plus pénalisant pour les salariés de ces petites structures, peu accompagnés, moins bien indemnisés et plus éloignés du marché de l’emploi ; l’ancienneté dans les PME étant en moyenne plus élevée que dans les grandes entreprises.

Autre sujet d’inquiétude : dans certains secteurs, la crise conjoncturelle est devenue structurelle. C’est le cas de l’aérien. La crise pourrait affecter à long terme les voyages d’affaires, par exemple.

Quelles seront les conséquences durables de cette crise sanitaire sur l’organisation des entreprises. Y-a-t-il des pratiques innovantes ? Quelles sont les tendances qui se dessinent en termes RH et management ?

Il faut réfléchir à des mécanismes de compensation pour les salariés qui ne télétravaillent pas

Il y a aura un avant et après la crise sanitaire, avec des impacts sur l’organisation du travail et les modèles managériaux. Les entreprises s’acheminent vers un travail hybride avec un télétravail de deux à trois jours par semaine. Mais n’oublions pas : le télétravail ne concerne pas tous les actifs. Tous ne les postes ne sont pas télétravaillables. Ce qui peut entraîner une fracture au sein des collectifs de travail. Il faut donc réfléchir à des mécanismes de compensation. Au risque sinon de créer une baisse de l’engagement et de la cohésion d’équipe.

Pour les télétravailleurs, nous devons rester vigilants sur les nouveaux risques liés à ce mode de travail, par exemple, une porosité plus grande entre la vie professionnelle et personnelle, une sur-production, un temps de travail discontinu, le droit à la déconnexion… Les femmes et les familles monoparentales risquent d’être les plus pénalisées. D’autres questions se posent :  comment prévient-on les risques psychosociaux lorsque les salariés sont éloignés ? Comment peut-on les accompagner hors du lieu de travail ? Et enfin, comment réussir l’intégration de nouveaux embauchés, notamment des jeunes livrés à eux-mêmes qui arrivent dans l’entreprise sans connaître son éco-système ? La période d’essai reste la même mais les obstacles sont ici plus nombreux.

Quant aux pratiques managériales, nous allons travailler sur la refonte des référentiels managériaux. Avec à la clef, la recherche de moins de contrôle et plus de confiance envers les collaborateurs. On a tout à y gagner : travail plus collaboratif, temps de travail en équipe, créativité…

La proposition de loi Rixain a été adoptée le 12 mai à l’Assemblée nationale. Est-ce une réelle avancée pour vous ? Et comment les entreprises doivent-elles se préparer à prendre en compte ces nouvelles dispositions ? Marie-Pierre Rixain parle de la persistance du "plafond de verre pour les femmes". Qu’en pensez-vous ?

Les quotas sont un mal nécessaire pour faire bouger les lignes 

Cette proposition de loi constitue une réelle avancée. On connaît l’importance de la loi Copé-Zimmerman : les femmes sont désormais 46 % à siéger dans les conseils d’administration des entreprises du Cac 40, et 45,8 % dans les sociétés du SBF 120. Or, dans un même temps, leur nombre plafonne en moyenne à 20 % dans les Codir et les Comex. Les quotas sont donc un mal nécessaire pour faire bouger les lignes. Il y a désormais un effort d’accompagnement à faire pour permettre à ces femmes d’accéder à ce type de responsabilités. Ce qui peut passer par du coaching, de la formation, le développement de réseaux…

Cette méthode pourrait également s’étendre à d’autres populations discriminées, par exemple, les personnes d’origine étrangère. La question des statistiques dites "ethniques" divise en France. Mais à l’instar de la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes, il est essentiel d’avoir des outils pour mesurer les discriminations raciales au niveau des entreprises. Sans ces outils, toutes tentatives de résorber les inégalités resteront vaines.

Quels sont les principaux dossiers traités actuellement au sein de votre cabinet?

Nous travaillons avec Airbus et Stellantis sur les transitions collectives

Ils sont nombreux et très divers. Parmi nos dossiers figurent par exemple la gestion de l’emploi et des parcours professionnels, la mobilité professionnelle, les départs volontaires, la refonte des pactes sociaux (alignement des systèmes de rémunération et avantages sociaux avec la stratégie de l'entreprise) mais aussi la recherche de repreneurs, notamment pour les secteurs du retail et de l’industrie.

Nous sommes également mobilisés sur le dispositif des transitions collectives. A ce titre, nous travaillons avec Airbus à l’élaboration d’une plateforme qui mettra en relation entreprises en recherche de candidats et salariés travaillant sur un poste menacé. Nous accompagnons d’autres entreprises, comme par exemple, Stellantis (fusion du groupe PSA et de Fiat Chrysler Automobiles).

Nous craignions d’être focalisés sur les restructurations mais nous avons d’autres projets en cours, sur des sujets comme la transformation des compétences, le développement des talents ; ces questions revêtent même une importance toute particulière pour certaines entreprises. Ce qui est très positif.

Anne Bariet
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