Sort de la commission lorsque deux agences font visiter le même bien au même acquéreur

16.06.2022

Immobilier

Lorsque deux agences ont participé à la vente effectivement conclue sans qu'il ne soit démontré que l'activité de l'une ait été plus essentielle et déterminante que celle de l'autre, la commission doit être partagée par moitié entre les deux agences immobilières.

Dans cette affaire, les faits sont importants. Des propriétaires ont confié un mandat de vente simple à une première agence immobilière. Celle-ci a fait visiter la maison d’habitation à vendre à un couple intéressé. Le même jour, les propriétaires ont confié un autre mandat de vente simple à une autre agence pour le même bien, au même prix, avec la même commission. Cette seconde agence a également fait visiter le bien au même couple quelques jours plus tard. Il a ensuite envoyé, par courriels de la même date, une offre au prix à chaque agence immobilière. Revendiquant chacune le montant total de la commission, elles ont assigné les vendeurs en paiement. La solution des juges du fond, approuvée ici par la Cour de cassation (Cass.3e civ., 11 mai 2022, n° 21-15.943), se révèle surprenante et n’est pas très plaisante pour les intermédiaires immobiliers.

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La gestion immobilière regroupe un ensemble de concepts juridiques et financiers appliqués aux immeubles (au sens juridique du terme). La gestion immobilière se rapproche de la gestion d’entreprise dans la mesure où les investissements réalisés vont générer des revenus, différents lois et règlements issus de domaines variés du droit venant s’appliquer selon les opérations envisagées.

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Une décision surprenante

La cour d’appel a décidé de partager par moitié la commission de près de 20 000 € entre les deux agences immobilières. Pour ce faire, elle a retenu que les deux agences immobilières ayant fait visiter le bien au même couple d’acquéreurs et reçu de ceux-ci une offre au même prix, elles ont participé à la vente qui a été conclue, et ce, sans qu'il soit démontré que l'activité de l'une a été plus essentielle et déterminante que celle de l'autre.

La seconde agence forme alors un pourvoi en cassation. Elle rappelle d’abord la jurisprudence classique en matière de droit à honoraires, selon laquelle, en application de l'article 6 de la loi Hoguet du 2 janvier 1970, lorsqu'une personne a donné à plusieurs agents immobiliers un mandat non exclusif de vendre le même bien, elle n'est tenue de payer une rémunération qu'à celui par l'entremise duquel l'opération a été effectivement conclue, et cela, même si l'acquéreur lui avait été précédemment présenté par un autre agent immobilier, sauf à ce dernier à prétendre à l'attribution de dommages-intérêts en prouvant une faute du vendeur qui l'aurait privé de la réalisation de la vente. Elle invoque ensuite que le fait que le compromis de vente conclu entre les parties l'a été par sa seule entremise et que les juges du fond n’en n’ont pas tenu compte. Elle estime que, dans ces circonstances, c’est elle qui a effectivement conclu l’opération.

Pour rejeter ce pourvoi, la troisième chambre civile se fonde sur les faits constatés par la cour d’appel :

- le bien avait été visité une première fois par le couple d’acquéreurs par l'intermédiaire de l’agence titulaire du premier mandat simple ;

- le jour même de cette visite, la seconde agence avait obtenu un mandat non exclusif par les vendeurs ;

- par courrier électronique de la même date, le couple avait formulé une offre au prix adressée à chacune des deux agences ;

- le bien a été vendu aux termes d'une promesse unilatérale de vente et d'un acte définitif rédigés tous deux par le notaire chargé de la vente.

Ce dernier fait ne correspond donc pas aux allégations de l’agence auteur du pourvoi qui invoquait, pour sa part, un compromis de vente conclu par sa seule entremise. Il est vrai que si tel avait été juridiquement le cas, le sort de la commission aurait été scellé aux termes de l’avant-contrat et de la vente authentique, et les juges s’y seraient référé. La seconde agence a dû surestimer son entremise, au moins dans la rédaction des actes.

Quoiqu’il en soit, la Cour de cassation approuve les juges d’appel d’avoir déduit des faits énoncés que « les deux agences avaient participé à la vente effectivement conclue et ce, sans qu'il ne fût démontré que l'activité de l'une ait été plus essentielle et déterminante que celle de l'autre, de sorte que la commission devait être partagée par moitié entre les deux agences immobilières ».

Une solution à éviter

C’est la première fois à notre connaissance, que les juges optent pour le partage des honoraires faute d’avoir pu « départager » les agences en concurrence. Cette décision est pourtant fondée sur le critère jurisprudentiel classique de l’intervention déterminante, consistant à avoir mis les parties en présence, avoir engagé et mené à bien les négociations, suivie de la réalisation effective de l'opération par l'engagement définitif des parties dans un écrit unique. Il est habituellement jugé qu’en l'absence de faute d’un mandataire, lorsqu'une personne donne à plusieurs agents immobiliers un mandat non exclusif de vendre la même propriété, elle n'est tenue de payer une rémunération qu'à celui par l'entremise duquel l'opération est effectivement conclue, avec engagement écrit des parties (Cass. 1re civ., 15 mai 2007, n° 06-13.988).

Mais dans la décision rendue le 11 mai 2022, la rédaction de l’engagement écrit des parties n’a pas permis aux juges d’identifier le mandataire dont l’intervention a été déterminante pour la conclusion de l’opération. Or la solution de la Cour de cassation est alors impérative : dans cette situation, la commission « devait » être partagée entre les deux agences immobilières !

A l’heure où de plus en plus de mandataires recourent au notaire pour rédiger les avant-contrats de vente, la présente affaire illustre une limite de cette pratique. Pour éviter de nouvelles décisions de justice similaires, en présence d’une concurrence toujours accrue, mieux vaut, pour les professionnels de la vente immobilière, établir leurs propres actes pour démontrer leur intervention déterminante. Il convient aussi de bien informer le client qu’une offre d’achat une fois acceptée l’engage à acquérir, et qu’accepter plusieurs offres d’achat simultanément peut le mettre en difficulté. Toutefois en l'espèce, un recours d’une agence, voire de chaque agence, contre le pollicitant pour négligence fautive ayant entraîné la perte de la moitié de la rémunération n’était pas envisageable, le mandataire ayant un devoir d’information et de conseil à son égard, et l’intention frauduleuse n’étant pas démontrée.

Laurence DARTIGEAS-REYNARD, Dictionnaire Permanent Transactions immobilières
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