Recrutement, formation, prévention des risques psychosociaux, accompagnement des salariés aidants… Les starts-ups ont envahi tous les segments de la fonction RH. A tel point qu’elles deviennent des partenaires de plus en plus incontournables. Reste toutefois à améliorer les relations parfois difficiles, voire méfiantes des protagonistes.
Une quinzaine de start-uppeurs, de professionnels RH et d’acteurs de l’emploi et des ressources humaines se sont réunis, ce 14 mai, à la Station F, dans la Halle Freyssinet, près de la gare d'Austerlitz, à Paris. Un campus de jeunes pousses prometteuses. Le thème de l’évènement ? Le lancement d’un programme d’incubation de la HR tech, initié par le Lab RH, une association qui fédère les jeunes créateurs et Deel, une entreprise spécialisée dans le portage salarial. "C’est le premier programme dédié exclusivement aux starts-ups RH à vocation nationale et internationale", se réjouit Alexandre Stourbe, directeur général du Lab RH. 15 ont été sélectionnées.
Parmi elles, Interfacia, créée en 2020, propose un service d’accompagnement pour les employeurs des salariés aidants. Avec un focus spécifique sur le management de l’aidance afin de venir en appui des managers pour anticiper les absences impromptues, assurer la continuité de l’activité et prévenir la désorganisation "programmée"…
Mon coach Mobilité s’est, de son côté, spécialisé, sur l’aide aux mobilités internes et externes, de l’insertion aux plans sociaux. La jeune pousse Yuzu, qui a vu le jour en 2022, travaille, elle, avec le laboratoire de neurosciences de l’université de Lorraine pour proposer une solution d’évaluation de soft skills, ou compétences comportementales, à travers le jeu vidéo pour recruter.
Toutes ces start-ups bénéficieront d’un accompagnement personnalisé pendant un an, de sessions de mentorat et de contacts avec la communauté de la station F.
Nourries par la révolution digitale, ces jeunes pousses investissent le créneau des ressources humaines pour venir en appui aux professionnels de la fonction. "Et si au départ, elles se cantonnaient au secteur du recrutement et de la formation, elles couvrent aujourd’hui tous les segments de la fonction RH, observe Mathilde Le Coz, présidente du Lab RH et DRH du cabinet d’audit Forvis Mazars. La HR tech s’ouvre aujourd’hui à la qualité de vie au travail, à la rémunération, à la prévention des risques psychosociaux, à la santé mentale mais aussi à l’expérience collaborateur, avec des applications pour faciliter le travail hybride et même au dialogue social avec des innovations pour organiser les élections professionnelles".
Signe de cette effervescence : "quand le Lab RH a été créé, en 2015, nous comptions une centaine de start-ups dédiées au monde RH. En 2024, elles sont plus de 700", poursuit Mathilde Le Coz qui précise que le Lab RH suit 320 entreprises.
Des initiatives qui séduisent de nombreux professionnels RH. Super U, KPMG avocats, Sanef, Sogetrel, Lacoste travaillent avec Humoon qui propose une solution de coaching et de formation à destination des managers de proximité. Moka.care, le spécialiste de la santé mentale, compte plus de 230 clients dont Engie, Allianz, L’Oréal, le Club Med, la SNCF.
La jeune pousse Mon coach Mobilité affiche, de son côté, parmi ses clients, le ministère des armées, EDF, Thalès, Hermès, Leroy-Merlin, Saint-Gobain…
Siegfried de Preville, directeur sécurité, santé & bien-être du groupe Rocher, en est convaincu : "malgré leur jeunesse, leur valeur ajoutée est indéniable". Le groupe a fait appel à Mendo, en 2024, pour former 640 salariés des fonctions marketing, juridique, IT et RH notamment à l’IA générative. Objectif recherché ? Les accompagner dans leurs pratiques professionnelles. A l’arrivée, "un parcours de formation souple, rapide et économique qui permet à chaque collaborateur de se former à son rythme, selon ses besoins".
Le cabinet Forvis Mazars fait, lui, appel, à la start-up Maki, pour évaluer les compétences des candidats, qu’elles soient financières, linguistiques ou informatiques, via une batterie de tests standards ou personnalisés pour élargir ses viviers de recrutement. Il compte également sur Basile afin de booster la cooptation et sur Workelo pour faciliter l'onboarding du candidat, avant même son arrivée dans l’entreprise.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
"Les DRH sont à la recherche de nouvelles solutions, assure Alexandre Darbois, co-fondateur d’Humoon. Pour la formation, par exemple, ils ont pris conscience que les prestations proposées jusqu’ici, avec des slides et des PowerPoint, sont moins efficaces, notamment depuis la crise sanitaire". "Dans le reclassement, les prestations sont dépassées et peu efficaces, complète Elisabeth Dartigues, co-fondatrice de Mon coach Mobilité. Elles étaient jusqu’ici très coûteuses et réservées le plus souvent au management. En cas de licenciement les Etam et les ouvriers, pourtant les plus touchés par l’obsolescence des métiers, ne bénéficiaient que de versions dégradées. Les outils digitaux permettent de démocratiser cet accompagnement".
L’avis est également partagé par Pierre-Etienne Bidon, à la tête de Moka.care : "Il y a eu une grosse évolution depuis le Covid. Du jour au lendemain, la santé mentale a été érigée au rang de priorité pour les DRH. Ils se sont alors aventurés au-delà de leurs prérogatives traditionnelles, en s’attelant à ces sujets santé pour juguler les arrêts maladie de longue durée et les départs de managers. Ils se sont tournés vers des solutions préventives comme nous le proposons, en supplément aux solutions curatives traditionnelles, peu utilisées, à l’instar des lignes d’écoute psychologiques".
Les start-ups, nouvelles cartes maîtresses des DRH ? Tout d’abord, ils apprécient leur souplesse. "Elles ne proposent pas un produit clef en main immuable. Nous avons pu orienter la production de contenus, avec Mendo, en leur demandant de travailler sur des cas d’usage spécifiques à notre fonction marketing, relate Siegfried de Préville.
Pendant cette phase de préparation, l’ensemble des correctifs a été pris en compte". Ensuite, ils portent une attention particulière à la fiabilité technique déployée de ces solutions. "Dans le domaine très spécifique des RH, comme l'évaluation par exemple, nous sommes très attentifs aux fondements scientifiques de ces innovations", assure Siegfried de Préville. Et généralement les start-ups s’entourent de professionnels aguerris".
Un point fort mis en avant, par exemple, par Yuzu. "On fournit les équipes RH de données très dures à obtenir, celles liées aux compétences comportementales qui permettent de mesurer la capacité d’un candidat à s’adapter, à gérer son stress, à faire preuve d’empathie cognitive, assure Léo Fichet, co-fondateur de la jeune pousse qui œuvre à la fois pour le recrutement et la mobilité interne. Ces aptitudes sont plus complexes à déceler que des savoir-faire techniques, lesquels sont en outre vite obsolètes".
"Au-delà de l’outil, ce que je recherche c’est l’accompagnement, complète Mathilde Le Coz. Basile, par exemple, se positionne comme expert de la cooptation. Cette start-up fournit, en plus de la dimension technologique, un service complémentaire, en nous conseillant sur la manière d’écrire les mails, d’animer des communautés, de lancer des idées de concours…. Ce type de service constitue une vraie plus-value et permet d’envisager des collaborations plus pérennes".
Il n’empêche. Tous les professionnels RH ne sont pas technophiles. Claude Monnier, DRH chez Sony Music, présent ce 14 mai à la station F, est l’un de ces réfractaires. "Pour la fonction RH, la technologie est le cadet de mes soucis. Mon approche au quotidien réside dans le progrès social et je n'ai, pour l'instant, entendu parler d'aucune start-up qui puisse faire avancer cela".
Petite précision : Claude Monnier se présente avant tout comme "directeur des relations humaines et pas artificielles".
En réalité, la relation entre DRH et start-ups est difficile, voire méfiante.
Les freins sont tout d’abord culturels car à priori tout oppose DRH et ces créateurs d’entreprise. "Les premiers sont issus du droit social, de la psychologie, de la gestion ; ils n’ont pas un mindset d’innovateurs, quand les seconds ont fait leurs armes dans le marketing, le conseil et le commercial", relève Michel Barabel, co-directeur du Master 2 GRH dans les multinationales à l’IAE de Paris-Créteil et directeur scientifique de l’Executive Master RH de Sciences Po Paris. Des postures qui ne font pas vraiment bon ménage. D’autant que "les DRH gèrent les risques, pointe Elisabeth Dartigues qui a été DRH durant la majeure partie de sa carrière ; leur métier est justement de les prévenir non de les provoquer".
Ils sont aussi techniques. Les directions informatiques limitent ainsi la collaboration au nom de la compatibilité informatique ou de la sécurité. D’où la nécessité selon Mathilde le Coz de "constituer des comités de sélection composés de RH, de collaborateurs mais aussi de salariés de l’IT pour valider les aspects techniques et éviter ainsi les sujets de crispation entre DRH et DSI".
Les obstacles proviennent également des directions financières qui rechignent à délier les cordons de la bourse. A charge pour le DRH de démontrer la plus-value de la solution retenue en termes de performance sociale, de montée en compétences, de recul de l’absentéisme, de fidélisation et d’attractivité… Des arguments qui divergent des présentations business mais qui font mouche aussi auprès du Comex.
Autre écueil : celui de la pérennité. "Le marché se concentre énormément. De nombreuses start-ups se font aujourd’hui racheter par de plus gros acteurs qui souhaitent apporter des briques d’agilité à leur environnement", poursuit Mathilde Le Coz, à l’instar de Cegid qui vient d’annoncer le rachat de KMB Labs (logiciels basés sur l’IA générative) et d’Hellowork qui a mis dans son escarcelle de jeunes pousses comme Basile, Seekube, Holeest ou encore CV Catcher avec l’idée d’offrir une offre globale à destination des recruteurs.
Mais malgré ces points de vue antagonistes, les deux profils auraient tout à gagner à travailler de concert.
Reste que cette coopération ne s’improvise pas. Difficile, en effet, pour le DRH, de choisir sa jeune pousse. Primo, "sans être un geek, il faut avoir une compréhension minimale des sujets IT, être au carrefour des enjeux de RGPD et de cybersécurité", avance Mathilde Le Coz. Secundo, "définir une stratégie. Sinon on rentre vite dans l’expérimentation pour l’expérimentation. On ne peut pas tout faire, il faut choisir ses priorités".
"Une start-up n’a vraiment d’utilité que si elle répond à un besoin prioritaire de l’organisation. A défaut, elle n’est qu’un feu de paille, destinée à s’essouffler très rapidement, insiste Michel Barabel. Attention à ne pas céder aux effets de mode".
Tertio ? "Connaître son public, ses usages, ses attentes, ses manières de consommer".
Enfin et surtout, être capable de mesurer le fameux ROI. "A défaut, on perd du temps et de l’énergie. La start-up doit couvrir un besoin RH, pour ne pas être estampillée gadget", poursuit Mathilde Le Coz.
Une fois ces conditions réunies, la collaboration sera profitable à toute l’entreprise. Car les deux parties ne peuvent s’ignorer, le rapprochement est nécessaire. D’une part, "la fonction RH a besoin d’innovation pour démontrer sa valeur ajoutée", rappelle Michel Barabel. D’autre part, "elle doit s’appuyer de cet écosystème pour développer des solutions qu’elle n’aurait pas pu réussir en interne, avec des équipes réduites et des périmètres d’intervention très larges".
Enfin et surtout, "la fonction RH doit être le moteur de l’accompagnement des transformations. Or, si elle ne sait pas se transformer, elle n’est pas légitime pour accompagner les autres fonctions de l’entreprise". En clair, le DRH doit incarner le changement et l'innovation... Et démontrer qu’il est lui aussi capable de disrupter.
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