Stratégie environnementale de l'entreprise : trouver le juste équilibre entre les enjeux économiques, écologiques et sociaux

Stratégie environnementale de l'entreprise : trouver le juste équilibre entre les enjeux économiques, écologiques et sociaux

30.05.2021

Gestion du personnel

Chaque mois, les experts du Groupe Alpha, cabinet conseil dans les relations sociales et les conditions de travail, livrent leur analyse de l'actualité sociale. Ce mois-ci, Alain Petitjean, directeur du Centre Etudes & Prospective, rappelle l'importance pour les entreprises d'adopter une véritable stratégie environnementale.

De manière constante depuis plusieurs années, notamment depuis la COP 21, les entreprises sont invitées à s’engager résolument dans la transition environnementale, climatique, énergétique, et dans la préservation de la biodiversité.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Cette nouvelle dimension a pris du temps pour s’ancrer dans le quotidien des entreprises, d’abord préoccupées de leur seule empreinte environnementale directe : rejets, consommations, effluents. Pendant quelque temps, leurs engagements ont pu se résumer à de simples proclamations d’intention. Mais, au fil du temps, le corpus de textes applicables, venant en transposition de directives européennes, les conduit désormais à assurer une véritable traçabilité de leurs actions. Bien au-delà d’un simple mécénat environnemental, c’est aujourd’hui de stratégie environnementale des entreprises dont il faut parler, emportant avec elle aussi bien la conception des produits et services que la finance verte ou le choix des technologies et procédés à développer.

La transformation environnementale de notre société reposera essentiellement sur les efforts et ambitions des entreprises 

Dans le même temps, l’intérêt de cette question est devenu critique, voire crucial, pour des secteurs entiers de l’économie.

La transformation environnementale de notre société reposera essentiellement sur les efforts et ambitions des entreprises. Cet engagement repose, on le voit, sur des choix stratégiques, mais aussi sur des pratiques portées par leurs salariés au quotidien. Et elle suppose des acquisitions ou renforcements de compétences, qui font de l’implication du personnel un impératif incontournable pour la transition environnementale visée.

La clé de réussite dépasse la seule prise de conscience. C’est bien la prise de responsabilité des représentants des salariés dans l’entreprise, en les associant à ces orientations stratégiques et à ces efforts opérationnels qui permettra d’embarquer l’ensemble des salariés.

Ces dernières années ont vu un renforcement régulier des obligations d’informations des entreprises (et de leurs commissaires aux comptes), en matière environnementale et sociétale. L’obligation incombe aux sociétés admises sur un marché réglementé ou dépassant des seuils prévus par la loi d’établir une « déclaration de performance extra-financière » (DPEF). Le rapport est établi selon des actions déterminées par un standard international : les recommandations à dimensions sociales et environnementales de la norme ISO 26000. 

Par souci de symétrie, les instances représentatives du personnel doivent pouvoir se saisir de cet aspect fondamental de la stratégie et de la gestion opérationnelle de leur entreprise, et de ses répercussions sur la gestion prévisionnelle des parcours professionnels et des compétences.

Car cette implication garantit le caractère socialement juste de la transition environnementale, précaution indispensable à son acceptabilité par la société.

L’association des instances représentatives du personnel au suivi opérationnel et stratégique, sur les enjeux financiers, économiques et sociaux, prend la forme d’informations-consultations obligatoires, sur un rythme annuel ou pluriannuel. Ces dernières sont assorties généralement de droits à expertise, permettant au CSE de s’en saisir au bon niveau de technicité et d’analyse et de formuler leurs observations et propositions d’enrichissement ou d’amélioration.

L'entreprise  gagnera à impliquer l’ensemble de son personnel, par des engagements partagés et réciproques, dans les stratégies d’adaptation et de développement qu’elle entend mettre en œuvre

Le projet de loi Climat et Résilience, en fin de discussion au Parlement, prévoit d’y incorporer systématiquement les enjeux environnementaux, selon des modalités qu’il se garde bien de définir et de rendre effectives.

La tentation pourrait s’installer de n’y voir qu’un artifice formel. Or, ce n’est pas là l’intérêt de l’entreprise. Celle-ci gagnera à impliquer l’ensemble de son personnel, par des engagements partagés et réciproques, dans les stratégies d’adaptation et de développement qu’elle entend mettre en œuvre. Le sujet environnemental peut faire peur ou décourager les intentions, notamment lorsqu’il demande d’abandonner des procédés ou technologies éprouvés, sur lesquels se fondent les emplois d’aujourd’hui. L’adaptation des emplois et des compétences aux procédés et technologies appelées à leur succéder ne peut se nourrir d’un rejet de cet avenir, au motif qu’il serait porteur de trop d’incertitudes, voire de menaces directes sur l’emploi. C’est donc bien un objet de dialogue social à part entière (ce que n’a pas compris ou voulu admettre jusqu’à présent le législateur), dont les entreprises vont devoir se saisir. A contrario, c’est aussi pour les salariés actuels ou futurs un puissant vecteur d’épanouissement dans le travail, d’incitation à l’engagement professionnel, et de fidélisation ou d’attraction des talents. Au cœur de la stratégie environnementale des entreprises doit figurer un pacte social garantissant un équilibre dans la gestion de cette transition. Calendrier, intensité en investissement, mesures compensatoires, GPEC sont les sujets à mettre en dialogue dans l’entreprise pour que la stratégie soit comprise, admise, portée, et devienne un levier d’engagement et un élément de la fierté d’appartenance à l’entreprise…

Ce pacte social s’inscrirait dans le mécanisme de transition juste qui a pour objet de concilier l’ambition climatique de l’Union européenne et la justice sociale. Par le biais de subventions et de programmes d’investissements, il vise notamment à assurer la transition professionnelle de personnes amenées à perdre leur emploi. Si les salariés n’étaient pas impliqués dans la stratégie environnementale, cela signifierait qu’ils devraient se contenter de subir les conséquences sociales de cette transition. On voit bien les limites d’une telle logique qui ne produirait que le rejet de choix environnementaux pourtant incontournables, la frustration et le désespoir social, alors que l’urgence climatique nécessite plutôt un haut niveau d’expertise, d’anticipation et de dialogue. Avant d’engager sa stratégie de décarbonation, toute entreprise doit garder en mémoire l’épisode des gilets jaunes et l’étincelle provoquée par la hausse de la taxe carbone.

Le dialogue social est le mieux à même de vérifier le juste équilibre entre les objectifs environnementaux, sociaux et économiques de l’entreprise et de garantir l’acceptabilité maximale de sa stratégie environnementale

C’est pourquoi le dialogue social est le mieux à même de vérifier le juste équilibre entre les objectifs environnementaux, sociaux et économiques de l’entreprise et de garantir l’acceptabilité maximale de sa stratégie environnementale. Et, en particulier, apprécier la soutenabilité du calendrier de transformation environnementale de l’entreprise, en lien avec les autres horizons économiques et sociaux, notamment sur le terrain de la préservation de l’emploi et de l’adaptation des compétences. En outre, la prise en compte de la transition environnementale par ces instances relève d’un objectif phare de sensibilisation générale de l’ensemble de l’effectif d’une entreprise aux enjeux les plus concrets du changement climatique et de la préservation de la biodiversité. Ainsi jouent-elles un rôle majeur dans les nécessaires adaptations à mener pour créer les conditions d’un plus grand respect de l’environnement.

Dès lors, de nouvelles alliances entre dirigeants et salariés pourraient en découler afin de garder la main sur les choix environnementaux stratégiques et le rythme de la transition à un moment où le débat sociétal tout comme les actionnaires pourraient être tentés d’imposer aux entreprises leurs propres objectifs en la matière. L’implication des représentants des salariés gagnerait d’ailleurs à s’étendre par une présence au sein des organes décisionnaires de l’entreprise (conseil d’administration ou conseil de surveillance) où l’engagement est d’une autre nature que dans le CSE, comme l’ont montré les travaux récents réalisés par l’association Réalités du dialogue social.

Une alliance objective entre dirigeants et salariés ne serait d’ailleurs pas inédite. Une telle configuration s’est déjà produite dans le régime de croissance fordiste. Dès lors que leur firme réalisait un profit suffisant, l’intérêt des dirigeants était l’accroissement de sa taille. Il correspondait alors à celui des salariés. Cette configuration a pris fin au début des années 80 avec le changement de politique monétaire et la libéralisation des marchés financiers, qui ont ouvert la voie à la seule suprématie actionnariale.

C’est aujourd’hui un tel pacte, que nous appelons de nos vœux, pour prendre en main le destin climatique de l’entreprise, en allant y compris au-delà des prudences peu compréhensibles du législateur.

Alain Petitjean
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