Suspension de l'autorisation environnementale d'une centrale électrique en Guyane

02.08.2021

Environnement

Le juge des référés considère que le projet est incompatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par la loi.

Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) de Guyane, une société a en projet la construction d’une centrale thermique de 120 MWe, composée de sept moteurs fonctionnant au fioul domestique léger, d’une centrale photovoltaïque, d’un poste d’évacuation et de répartition de l’électricité et d’une canalisation de transport.
Cette nouvelle centrale est destinée à remplacer une centrale électrique datant de 1982, fonctionnant aux fiouls lourd et léger, d'une puissance de 115 MWe et qui, compte tenu de sa vétusté et de sa future non-conformité aux nouvelles normes d’émission, doit être mise à l’arrêt au plus tard le 31 décembre 2023.
Deux associations agréées de protection de l'environnement ont demandé au juge des référés de suspendre l’exécution de l’arrêté préfectoral du 22 octobre 2020 portant autorisation environnementale de la centrale.
Dans une décision du 27 juillet 2021, le tribunal administratif de la Guyane fait droit à leur demande en suspendant l'autorisation environnementale jusqu'à ce qu'il soit statué au principal.
Urgence écologique et climatique versus sécurité d'approvisionnement électrique
Le tribunal rappelle que le juge administratif des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision prise après des conclusions défavorables du commissaire enquêteur ou de la commission d’enquête, fait droit à cette demande si elle comporte un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci. Le juge peut cependant écarter la demande à titre exceptionnel, malgré le doute sérieux, lorsque la suspension de l'exécution de cette décision porterait à l'intérêt général une atteinte d'une particulière gravité.
En l'espèce,  la commission d’enquête a émis des avis défavorables aux demandes d'autorisation d'exploiter la canalisation de transport, de déclaration d'utilité publique, de déclaration de projet mais également à la demande d'autorisation environnementale.
De leur côté, l'État et l'exploitant invoquent l’intérêt général du projet, s’inscrivant dans le cadre d'une opération d'intérêt national ainsi qu’il est prévu par décret, mais aussi la sécurité d'approvisionnement électrique de la Guyane, au vu de la mort annoncée de l’actuelle centrale thermique.
Selon le tribunal, l’intérêt général attaché à la sécurité d'approvisionnement électrique de la Guyane doit être mis en balance avec l’urgence écologique et climatique au nom de laquelle la politique énergétique nationale se donne pour objectifs de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Et eu égard à l’intérêt général global en lien avec l’urgence écologique et climatique, l'Etat et l'exploitant ne sont pas fondés à soutenir que la suspension de l'exécution de l’autorisation environnementale porterait à l'intérêt général propre à la sécurité d'approvisionnement électrique de la Guyane une atteinte d'une particulière gravité.
Un projet incompatible avec les objectifs de réduction des émissions de GES fixés par la loi
Dans cette affaire, le juge estime nécessaire d'évoquer l’urgence climatique globale et de s'inscrire dans la lignée de la récente décision du Conseil d'État "Commune de Grande Synthe" (v. notre actualité du 1er juillet "Climat : le Gouvernement contraint d'agir sous neuf mois").
En l’espèce, l’arrêté d'autorisation prévoit que le combustible utilisé par la nouvelle centrale électrique sera du fioul domestique et délivre une autorisation d’émissions de GES.
Quand bien même une diminution des émissions de CO2 de 30% par MWh par rapport à celles actuellement produites serait prévue, le juge considère que le projet ne peut être regardé comme participant de manière suffisante à la trajectoire de réduction de ces émissions fixée par le décret SNBC du 21 avril 2020 pour atteindre les objectifs de réduction fixés par la loi et le règlement européen dit "RRE" 2018/842 sur la répartition de l'effort. Alors que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour infléchir la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national, le projet de centrale alimentée par du combustible fossile, facteur de l’émission de 294 000 t.CO2/an, ne peut être regardé comme s’inscrivant suffisamment dans cette démarche.
Enfin, si l’État et l'exploitant font valoir que la centrale fonctionnera dans le courant de l’année 2024 à la biomasse liquide et non pas au fioul domestique, la centrale bénéficiant alors d’un bilan-carbone neutre, cette assertion présente pour le juge un caractère hypothétique au vu à la fois du document de travail non daté fourni et d'une annonce ministérielle précédant de peu la délivrance de l'autorisation.
Le projet apparaît donc bien incompatible avec les objectifs de réduction des émissions de GES fixés par la loi et ce moyen est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'autorisation environnementale.
Un espace proche du rivage
En outre, le site en cause constitue un espace proche du rivage et relève de l’article L. 121-40 du code de l’urbanisme, lequel prévoit que dans les espaces proches du rivage, sont autorisées l'extension de l'urbanisation dans les secteurs déjà occupés par une urbanisation diffuse, ainsi que les opérations d'aménagement préalablement prévues par le chapitre particulier valant schéma de mise en valeur de la mer (SMVM) du schéma d'aménagement régional (SAR). Il contient ainsi des dispositions qui aménagent les contraintes de la loi Littoral.
D’une part, s’il est soutenu que le SAR de la Guyane prévoit que le site constituerait un espace dédié aux activités économiques futures, il ne ressort cependant pas du document que l’opération d’aménagement en cause aurait été prévue par le SMVM attaché au SAR. Par ailleurs, il ressort du SAR qu'aucune activité industrielle n’est prévue dans le périmètre concerné.
D’autre part, le site ne peut être regardé comme constituant un secteur déjà occupé par une urbanisation diffuse, les différents hameaux dont se prévalent les défendeurs étant situés entre 500 mètres et un kilomètre du site.
Dans ces conditions, et alors même que le SAR n’a pas classé la zone en cause comme espace naturel remarquable du littoral (ENRL), le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 121-40 du code de l’urbanisme est également propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'autorisation environnementale.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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