Taux effectif global erroné : point de départ de la prescription de l'action en nullité

26.09.2019

Gestion d'entreprise

Le dommage résidant dans la perte d'une chance de ne pas contracter, qui découle du manquement du prêteur de deniers à son devoir de mise en garde, se manifeste envers l'emprunteur, dès l'octroi du crédit.

En l’espèce, une SCI ayant pour objet l'acquisition d'immeubles de toute nature tant à usage d'habitation que de bureaux commerciaux ou professionnels et l'exploitation par bail ou location de tout ou partie desdits immeubles, ainsi que l'acquisition de toutes parts sociales de sociétés civiles ayant le même objet, avait contracté des prêts auprès d’une banque en 2007. La SCI s’étant révélée défaillante, la banque a prononcé la déchéance du terme et a assigné la SCI en paiement, ainsi que les cautions en 2014. Invoquant l'irrégularité du taux effectif global et le caractère usuraire de chacun des prêts ainsi que le manquement de la banque à son devoir de mise en garde, la SCI l'a assignée aux fins de voir d’une part prononcer la substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel, d’autre part ordonner le remboursement du trop perçu et indemniser son préjudice.

Gestion d'entreprise

La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...

Découvrir tous les contenus liés
A l'encontre d'un emprunteur professionnel, la prescription de l'action en nullité de la stipulation du taux effectif global court à compter de la signature de l'acte de prêt

Les juges du fond (CA Orléans, 22 mars 2018), ayant déclaré la demande irrecevable, la SCI formait un pourvoi en cassation, aux fins de voir évoluer la jurisprudence selon laquelle, le délai de prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt litigieuse court dès le jour de sa conclusion, motif pris que le prêt a pour objet de financer une activité professionnelle, ceci obligeant l’emprunteur à faire procéder à la vérification de l'exactitude du TEG, dès lors que la nécessité même d'une telle vérification suffisait à établir que l'anomalie n'était pas apparente et ne pouvait être décelée au seul vu d'un examen sommaire.

La première chambre civile de la Cour de cassation, confirmant la jurisprudence en vigueur, se prononçait en relevant que par motifs propres et adoptés, la cour d’appel avait constaté que les prêts litigieux avaient pour objet le financement d’une activité professionnelle et que dans ces conditions, la cour d'appel en avait exactement déduit que la prescription de l'action en nullité de la stipulation du taux effectif global avait couru à compter de la signature de l'acte de prêt, de sorte que la prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel était acquise.

La décision est donc sans surprise.

Le juge doit nécessairement prendre en compte la date à laquelle l’emprunteur avait connu ou aurait dû connaître l’erreur alléguée de TEG ou son absence de notification (Cass. 1re civ., 1er mars 2017, n° 16-10.142, n° 250 FS - P + B ; Cass. 1re civ., 1er mars 2017, n° 16-10.773 ; Cass. 1re civ., 1er mars 2017, n° 15-16.819 ; Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 14-29.926 ; Cass. 1re civ., 19 mars 2015, n°14-11.121). En application des dispositions ensemble, des articles 1907 et 2224 du code civil ainsi que de l’article L. 314-5 du code de la consommation, en cas d’octroi d’un crédit à un consommateur ou à un non-professionnel, le point de départ de la prescription quinquennale de l’action en nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel engagée par celui-ci en raison d’une omission ou d’une erreur affectant le taux effectif global, est la date de la convention lorsque l’examen de sa teneur permet de constater l’erreur, ou lorsque tel n’est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l’emprunteur (Cass. 1re civ., 14 oct. 2015, n° 14-23.901 ; Cass. 1re civ., 16 oct. 2013, n° 12-18.190 ; TGI Paris, 9e ch., 21 oct. 2014, n° 13/11343). Cet élément procède de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1re civ., 27 nov. 2013, n° 12-22.456 et n° 12-24.115).

S’agissant d’un professionnel – qualité reconnue à la SCI par le juge –, le délai part de la date de la convention de crédit (Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-19.141, n° 630 F-P+B+ I ; Cass. 1re civ., 1er juin 2016, n° 15-16.380 ; Cass. com., 13 mai 2014, n° 12-28.013, Bull. civ., IV, n° 84 et n° 12-28.654 : Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-23.976, Bull. civ.,IV, n° 176 ; Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-20.398) ou de la réception de chacun des relevés de compte ou écrits indiquant ou devant indiquer le TEG appliqué (Cass. 1re civ., 8 nov. 2017, n° 13-27.771;  Cass. com., 8 oct. 2013, n° 11-26.600).

Le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste, envers l'emprunteur, dès l'octroi des crédits
 

En second lieu, la SCI emprunteuse qui de fait se prétendait "non avertie", reprochait à la banque prêteuse, un manquement à son devoir de mise en garde et faisait grief aux juges du fond de déclarer irrecevable comme prescrite sa demande en indemnisation au titre de ce prétendu manquement de la banque à son devoir de mise en garde. Pour ce faire, la SCI emprunteuse soutenait que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

Le pourvoi avait donc pour objet de tenter de faire évoluer la jurisprudence en vigueur selon laquelle le dommage résidant dans la perte d'une chance de ne pas contracter, qui découle du manquement du prêteur de deniers à son devoir de mise en garde, se manifeste envers l'emprunteur dès l'octroi du crédit, au motif que le devoir de mise en garde trouve précisément sa justification dans l'inaptitude de l'emprunteur non averti à mesurer par lui-même le risque de surendettement résultant de l'octroi du crédit, risque dont il ne peut se convaincre qu'au moment où il se réalise. Là encore, la première chambre civile rejette la prétention de l’emprunteur en confirmant la solution selon laquelle le dommage résultant d'un manquement à l'obligation de mise en garde consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste, envers l'emprunteur, dès l'octroi des crédits.

Concrètement, l’emprunteur défaillant auquel la mise en garde qui était due n’a pas été mise en œuvre, peut faire valoir un préjudice égal à la perte d’une chance de ne pas contracter un emprunt inapproprié qui se réalise dès l’octroi du crédit, ce qui est important pour le délai de prescription, comme le souligne l’arrêt de la Cour de cassation (Cass. com., 25 oct. 2017, n° 16-15.116). En effet, le préjudice résultant de cette perte de chance se distingue du préjudice final, dans la mesure où même en présence d’une mise en garde, l’emprunteur aurait tout de même décidé de bénéficier du crédit. Cette perte de chance n’autorise donc pas une décharge totale de l’emprunteur (Cass. 1re civ., 5 mars 2015, n° 14-11.205 ; Cass. com., 15 févr. 2011, n° 09-16.779 et n° 10-11.614 ; Cass. com., 8 juin 2010, n° 09-15.001 ; Cass. com., 20 oct. 2009, n° 08-20.274, Bull. civ., IV, n° 127, JCP E 2009, n° 46, 2053, obs. D. Legeais, D. 2009, p. 2607, obs. X. Delpech). L’évaluation du préjudice est effectuée par le juge du fond (Cass. 1re civ., 18 sept. 2008, n° 06-17.859, Bull. civ., I, n° 204). La perte de chance n’induisant pas une décharge totale de l’emprunteur, la réparation de la perte de chance ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance.

Patrice Bouteiller, Docteur en droit, Senior of Counsel, Cabinet Ravet et Associés
Vous aimerez aussi