Télétravail, management, flex-office : comment les DRH préparent le travail post-crise ?

Télétravail, management, flex-office : comment les DRH préparent le travail post-crise ?

08.02.2021

Gestion du personnel

Le télétravail ne révolutionne pas uniquement les modes du travail. Dans l’ombre, les DRH peaufinent leur stratégie sur le travail de demain : nouvelles pratiques managériales, attention portée aux RPS, organisations plus collaboratives, flex-office… Un changement structurel se dessine dans les entreprises. Avec, à la clef, des implications sur des pans entiers des politiques RH.

Si Schneider Electric ne veut pas "négocier sous la pression des évènements", estimant avoir "un accord suffisamment robuste pour traverser la crise", d’autres entreprises, à l’instar de Suez, de la Société générale, de Grant Thornton France, d’Allianz France, n’ont pas attendu le retour au bureau pour poser les jalons d’une nouvelle organisation du travail. Elles ont conclu un premier accord ou revu leur accord d’entreprise sur le télétravail pour formaliser cette pratique jusque-là plutôt occasionnelle. Et tout semble indiquer qu’un changement structurel est en cours. Même une fois la Covid-19 mise sous contrôle, on ne reviendra pas au travail systématiquement au bureau.

Pour Frédéric Clavière-Schiele, directeur des affaires sociales groupe chez Société Générale, c’est une évidence : "nous sommes en train de vivre un changement de long terme. La crise a accéléré la réflexion sur les nouvelles modalités du travail en entreprise. Notre accord est une brique dans la construction du monde professionnel d’après. Nous essayer de tirer les meilleurs apprentissages possibles de la crise, nous adapter au monde d’après en recherchant la satisfaction à la fois de nos collaborateurs et de nos clients". A la Société Générale, le télétravail deviendra "une modalité de travail ordinaire" au plus tôt au 1er juin 2021, et "sous réserve que le travail à distance lié à la crise Covid ait pris fin".

Pierre-Yves Pouliquen, directeur du développement durable de Suez, est également convaincu de ce changement à long terme. "Ces trois mois de télétravail ont permis de tirer les enseignements d’une expérience inédite, en constatant que le télétravail fonctionne et même plutôt bien. 30 % des effectifs sont en télétravail. Dès lors, nous avons souhaité pérenniser l’expérience en permettant aux collaborateurs d’organiser leur vie différemment".

Surtout les salariés semblent conquis. "Il existe très forte attente des salariés, même après le reconfinement. 80 % des collaborateurs ont répondu positivement à notre campagne d’adhésion, constate Cécile Deman-Enel, DRH d’Unités, en charge de la mise en place du télétravail chez Allianz France. La crise a été un coup d’accélération important".

L’apport de l’ANI

Dans certains cas, l’ANI sur le télétravail, conclu, le 26 novembre dernier, a même servi d’aiguillon. "On partait de rien. La négociation interprofessionnelle nous a permis d’avancer plus vite, relève Christelle Le Coustumer, DRH de Grant Thornton France. Les partenaires sociaux de l’entreprise se sont sentis soutenus sur les sujets formation, management. L’ANI a donné plus de légitimité à nos discussions". Parfois, il a permis de valider les garde-fous.

Le travail hybride s’impose

Points communs de ces accords ? Le travail hybride devient la norme.

Suez, par exemple, a conclu, le 13 novembre, un accord-cadre portant sur l’ensemble du groupe. Le texte, signé par CFDT, CFE-CGC, CFTC et FO (à l’exception de la CGT), ouvre la possibilité de deux jours de télétravail par semaine. Le cabinet Grant Thornton France, spécialisé dans l’audit et le conseil (2 000 salariés), systématise également l’approche mixe en proposant deux jours de télétravail, sans jours fixes, alors qu’il était jusqu’ici exceptionnel. Chez l’assureur Allianz France (9 000 salariés), qui a relooké l’accord de 2017, ce sera également deux jours par semaine, à l’exception des équipes informatiques qui passeront à trois jours. De même, à la Société générale, la moyenne de jours télétravaillés passe d’un à deux jours hebdomadaires, avec un minimum de 40 % de présence sur site sur 15 jours. Un jour supplémentaire de télétravail sera possible par mois. A charge pour chaque service des business units de définir des modalités concrètes d’organisation du travail.

Car les DRH ne sont pas des ardents défenseurs du télétravail à temps plein qui induit, selon eux, "un manque de cohésion dans les équipes". Cécile Deman-Enel, DRH d’unités, en charge de la mise en place du télétravail chez Allianz France, l’atteste : "les salariés ont besoin d’échanger. On estime que sans se voir régulièrement, on perd de l’informel, de l’esprit d’équipe, du lien". De même, Christelle Le Coustumer, estime que le tout télétravail à ses limites. "Il faut être prudent. Si le télétravail est une avancée formidable il n’est pas adapté à toutes les situations. Par exemple, pour le travail en mode projet, le bénéfice est supérieur en présentiel. Et je crois fermement que les moments conviviaux sont importants.  De plus, le télétravail à la maison n’est pas toujours confortable, les conditions de logement sont bien sûr déterminantes".

Extension des publics éligibles

Mais, il s’ouvre à des publics jusqu’ici inéligibles. La Société Générale a lancé une expérimentation du télétravail pour le réseau bancaire afin d’étudier les spécificités de ces métiers en vue d’un déploiement du travail à distance d’ici à 2023. Chez Suez, le périmètre des télétravailleurs est défini d’un commun accord après discussion entre les managers et collaborateurs (à l’exception des salariés de première ligne, collecteurs, ripeurs, techniciens chargés de la collecte des déchets). Chez Allianz, il s’étend, par exemple, aux métiers de gestion des contrats et des sinistres, jusqu’ici très peu concernés. Seuls une centaine de postes ne sont pas éligibles. Les jeunes et les nouveaux embauchés ne sont pas non plus toujours intégrés. Ni les alternants ; certains DRH estimant que ce mode de travail s’avère "très compliqué pour ces catégories".

Nouvelles pratiques managériales

Reste que cette révolution n’arrive pas seule. Chacun s’accorde pour dire que le télétravail n’est qu’une étape dans les politiques RH. Dans l’ombre, les DRH cogitent et préparent le travail de demain. Car le télétravail est bien plus qu’une simple modalité d’organisation du travail. Presque un tsunami. Entraînant, au passage, des implications en cascade.

Primo, il remet en cause les pratiques managériales. "La crise a accéléré la transformation culturelle des entreprises, observe Dominique Laurent. Elle impose plus de délégation. Le télétravail oblige, en effet, les managers à la confiance et à porter leur contrôle sur la finalité et non sur les moyens. Ce qui va changer la donne sur la relation manager-managés, pour l’heure encore trop focalisée sur le contrôle".

Un souhait partagé par neuf cadres sur 10, selon une enquête de l’Apec dévoilée le 2 février. 89 % des cadres managers et 88 % des cadres non managers interrogés estiment qu’il faut revoir les pratiques managériales. Le passage soudain et durable en télétravail a révélé la nécessité d'adapter les manières de faire.

Difficile toutefois de passer de la théorie à la pratique en un claquement de doigt. Encore faut-il y être préparés pour ne pas tâtonner. Ce changement de braquet improvisé ne se fait pas sans heurt. Ainsi, en sus des formations traditionnelles liées au leadership et à l’agilité, de nouveaux besoins apparaissent, selon l’Apec : 23 % des cadres souhaitent être formés à la gestion du conflit, 22 % à la communication et 12 % à la prévention des risques psychosociaux.

Formation au management

Les entreprises ne s’y sont pas trompées et multiplient les efforts d’accompagnement. Chez Grant Thornton, salariés et managers ont eu une formation en e-learning de deux heures. Avec pour cette dernière catégorie, une attention portée aux RPS. L’accord intègre d’ailleurs un volet de prévention des risques psychosociaux avec notamment un guide de bonnes pratiques, réalisé à partir des enseignements tirés du premier confinement : un sondage hebdomadaire auprès des équipes a permis de cerner les difficultés rencontrées.

Chez Schneider Electric, la formation "Manager à distance" est réalisée avec les RH et la médecine du travail. Objectif ? "En une heure, inviter les managers à revisiter les attitudes et les réflexes managériaux, en prenant conscience des signaux faibles liés au travail à distance". 60 % des 2 000 managers français l’ont suivie. Du côté d’Allianz, une quarantaine de RH ont animé, avec le cabinet Spinoza, des ateliers d’échanges sur de bonnes pratiques et des retours d’expériences. Avec parmi les exemples à suivre, "des entretiens individuels plus fréquents, des temps d’échanges réguliers, le développement de la délégation, la conduite de réunion (maximum 50 minutes pour permettre un temps de pause entre deux visioconférences)", détaille Cécile Deman-Enel.

En parallèle, l’entreprise a lancé un appel à idées à tous les collaborateurs : plusieurs milliers de propositions sont remontées autour de l’organisation du travail, des espaces de travail et du leadership. La DRH présentera en février au comité exécutif un nouveau cadre de travail pour "bien intégrer collectivement le travail à distance". Ce qui pourrait induire plus de souplesse dans l’emploi du temps, comme par exemple, une interruption du travail pour aller chercher ses enfants à l’école.

Une utilisation différente des bureaux

Secundo, le télétravail induit une nouvelle manière de travailler. Car une fois le télétravail mis en place, la tâche n’est pas terminée. De nouvelles questions surgissent : "Avec le travail hybride, nous nous orientons vers une nouvelle façon de penser le travail, confirme Dominique Laurent. Je ne pense pas que l’on reviendra à ce qu’étaient les collectifs de travail d’hier. On travaillera différemment". Cela ne veut pas dire pour autant que tout doit se passer en dehors des bureaux. "L’idée est que les salariés aient, dans l’entreprise, quelque chose de très différent de ce qu’ils ont chez eux en télétravail, complète Frédéric Clavière-Schiele. Car sinon, le dispositif manquera d’efficacité". Concrètement, le bureau doit être conçu comme un espace de partage. Comment organiser des réunions d’équipe ? Prévoir des interactions avec d’autres collaborateurs ? Des clients ?". L’entreprise a planché sur un livre blanc "Future of work "conçu par les collaborateurs et présenté à la direction générale l’été dernier. Chacune des business units réfléchit désormais à décliner cette nouvelle organisation collective du travail. Remise des copies : dans six mois.

Vers le flex-office

Premières victimes de cette nouvelle donne : les bureaux attitrés et les open-spaces pourraient vivre leurs dernières heures. Car le télétravail est aussi corrélé au développement du flex office. Place désormais aux espaces communs. Et à la réduction des espaces de travail. La réflexion est en cours chez Grant Thornthon qui compte se délester d'une partie de ses espaces immobiliers de Neuilly-sur-Seine (92). Mais aussi de Schneider Electric. "Avant la crise, les espaces de travail étaient occupés à 65/70 % du temps, en raison des déplacement set du télétravail. Nous nous orientons vers un taux d’occupation sans doute plus proches de 50 %.

Avec au passage de substantiels gains immobiliers.

Sur ce sujet, Allianz a pris une longueur d’avance, en lançant un projet pilote. "Un programme a été lancé pour repenser nos espaces de travail, en fonction des usages, avec des espaces de réunions modulaires, des espaces d’échange pour se réunir en petit nombre et des espaces de travail au calme. On équipera également nos salles de réunion en visioconférence pour permettre aux salariés absents de suivre les discussions. Le fruit de ce travail sera partagé avec les partenaires sociaux tout au long de l’année 2021".

Mais une chose est sûre : les DRH sont unanimes, "il ne sera plus nécessaire d’avoir un bureau personnel pour deux à trois jours par semaine". Y compris pour le top management.

Droit du travail

Les implications pourraient, enfin, se nicher sur les aspects réglementaires. Pour Dominique Laurent, cette question-là est tout sauf anodine. Car le télétravail "englobe un certain nombre de problématiques juridiques auxquelles on n’avait pas pensé". "Cette évolution ébranlera certains fondements du droit du travail élaborées pour partie sur une conception très collective des relations du travail. Se mettra-t-on un jour en grève de chez soi ? Quid du lien de subordination ? Prenez le cas d’un salarié en insuffisance professionnelle. Ne pourra-t-il pas contester le manque de soutien managérial s’il n’atteint pas ses objectifs ? Et que faire face à un collaborateur souffrant de lombalgies alors qu’il ne dispose pas d’un siège adéquat ?". Des questions qui pourraient selon le DRH de Schneider Electric faire évoluer le droit du travail vers un droit du télétravail.

Frédéric Clavière-Schiele de la Société Générale n’y est pas favorable. "Arrêtons de poser des règles de droit a priori, qui ne sont pas suffisamment définies et cernées. Notre expérience en matière de télétravail - notre premier accord date de 2014 - montre que nous avons jusqu'à présent réussi à appréhender l’ensemble des situations de travail exercées dans ce cadre".

Au-delà des divergences, le débat est posé. Faut-il un droit du travail revisité qui redéfinissent les relations sociales ? Le lien de subordination ? Le contrôle du temps de travail, de l’activité ? Ou à défaut, allons-nous vers de nouveaux contentieux ? Avis aux juristes en droit social !

 

Indemnisation du télétravail
Côté indemnisation, la tendance est à l’équipement plutôt qu’à l’indemnisation. Selon une enquête réalisée par le cabinet ConvictionsRH auprès de 100 organismes (grands groupes, PME/TPE, ETI, organismes publics) au dernier trimestre 2020, 68 % des employeurs ne versent pas d’indemnité financière au salarié en télétravail pour compenser les frais de téléphone, de wifi, d’électricité ou de restauration. Néanmoins, 87 % des télétravailleurs bénéficient d’une aide de la part de leur employeur pour s’équiper. Elle peut prendre la forme de don de matériel, de remboursement d’équipement acheté par le collaborateur, d’équipement choisi dans un catalogue ou encore d’une somme d’argent forfaitaire pour qu’il s’équipe (de 100 euros à 1000 euros). Dans la grande majorité des cas, l'aide ne comprend pas d'achat d'imprimante, la prioritéest donnée au "zéro papier"

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Anne Bariet
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