Pierre-Yves Goarant, directeur de projet en dialogue social et négociation chez VOXNEGO, cabinet de conseil et de formation en relations sociales, dresse un bilan de l'application des accords collectifs signés sur le télétravail et liste les points de vigilance pour les responsables des ressources humaines.
L’heure serait-elle venue de mesurer les réels impacts de l’application des accords télétravail ? A l’heure où des négociations sur cette thématique sont inscrites dans le calendrier social de certaines entreprises, il convient aux DRH et aux DRS de questionner l’ensemble des acteurs du dialogue social sur la résonance du télétravail en leur sein.
Attendus depuis longtemps, les accords d'entreprises sur le télétravail ont parfois été négociés et signés à la hâte lors de la crise Covid. Or, selon l’Insee, si 4 % des salariés avaient recours au télétravail avant la crise sanitaire, ils sont aujourd’hui 22 % à le pratiquer, ce qui nécessite d’autant plus son contrôle. Ce qui a pu susciter un engouement à ses débuts suscite aujourd’hui des opinions plus mitigées, de par leur résonance tant dans la sphère professionnelle que privée. Mal connu d’un point de vue opérationnel dans les organisations en 2020, il semble nécessaire aujourd’hui de faire un retour d'expérience et de prendre en compte les impacts systémiques supportés et constatés par les entreprises. En effet, pour certaines c’est "un impossible retour en arrière" tant le télétravail est aujourd’hui ancré dans le monde du travail. Pour autant, nous devons le penser différemment, car les accords télétravail ne doivent pas se substituer au "droit à la déconnexion" issu de la loi travail de 2016. Il revient aux DRH, en lien étroit avec les partenaires sociaux et les managers, d’analyser de façon rigoureuse et collective les impacts du télétravail.
La flexibilité du temps de travail est l’atout majeur du télétravail en permettant à chacun, en parfaite autonomie, de s’organiser afin de réaliser sa charge de travail prescrite. Mais il ne faut pas perdre de vue que la réalisation du travail prescrit est mécaniquement suivie de deux autres charges de travail, que le télétravail peut d’autant plus rendre difficiles. La première concerne la charge de travail réelle. Elle se traduit par la capacité de réaliser, seul ou collectivement, le travail prescrit selon les standards de l’entreprise. C’est ici que se définit l’autonomie dans le travail. En somme quels moyens le salarié doit mettre en œuvre pour réaliser sa tâche. En cas de difficulté, le télétravail peut compliquer cet aspect en raison de l’éloignement physique des collègues et du manager. Le salarié se retrouve donc seul face à son problème. La seconde forme concerne la charge de travail ressentie, qui reflète l’accomplissement du travail. C’est précisément sur ce point que la prévention des risques psychosociaux peut intervenir : garantir au travailleur la possibilité de réaliser un travail de qualité, sans en être empêché. La distanciation sociale ne favorise pas la régulation de ces trois aspects.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Le passage du travail effectué habituellement dans les locaux de l’entreprise à un cadre domestique n’est pas sans conséquence. De nouveaux risques peuvent ainsi émerger et sont parfois genrés. Ainsi, il est observé que les femmes en situation de télétravail sont susceptibles de consacrer encore plus de temps aux tâches ménagères qu’à l’accoutumée, tout en s’acquittant de l’entièreté de leur travail rémunéré, allongeant d’autant leur amplitude de travail sur une journée. Lorsque les familles sont nombreuses, ou que les enfants sont en bas âge, la conciliation devient encore plus difficile. "Cumulant travail rémunéré et travail domestique, les femmes en télétravail effectuent plus d’heures de travail que les hommes" (1). Ce constat doit questionner les acteurs du dialogue social afin de faire évoluer les accords sur l’égalité professionnelle. Autres conséquences pour les femmes : la hausse des violences conjugales lors des pics d’activités professionnelles, ou lorsque le travail prend trop de place dans le foyer. Bien que certaines branches ou accords collectifs évoquent déjà la violence conjugale, à la lumière de ces données, il devient nécessaire d’ouvrir des négociations afin de protéger les femmes.
Selon le ministère du travail, près de la moitié des accords signés sur le télétravail sont des accords à durée indéterminée, et seraient majoritairement des accords dans lesquels deux jours de télétravail seraient devenus usuels. Nous nous approchons donc des préconisations des signataires de l’ANI de novembre 2020, qui précisait "l’importance d’équilibrer le temps de télétravail et le temps de travail sur site". Le présentiel doit demeurer la norme, et le distanciel l’exception. Il est à noter, et selon la Dares (2), que le stress du travail à distance génère des troubles du sommeil. En effet, malgré une limitation à deux jours de télétravail, ceux-ci restent préoccupants, affectant 40 % des salariés. En ce qui concerne la santé physique, les TMS continuent quant à eux de progresser, touchant désormais la moitié d’entre eux.
Comme toute modification de l’exercice du travail, le télétravail n’échappe pas à la règle : il cristallise de nombreux clichés et présupposés, alimentant aussi bien ses défenseurs que ses détracteurs, d’autant que la perception et l’application du télétravail diffèrent d’une entreprise à une autre, ou d’un secteur à l’autre. Or, l’application et les obligations inhérentes du code du travail sont les mêmes, notamment celles qui pèsent sur l’employeur.
Nous constatons aujourd’hui, depuis la crise Covid, que les maux des organisations sont polarisés avec le télétravail. Le dialogue social n'échappe pas à cette règle, avec le phénomène de "giletjaunisation" du dialogue social, rendant la régulation et la transformation sociale plus difficiles à mettre en œuvre avec les directions des ressources humaines.
Pour redonner au dialogue social toute sa place, il revient aux entreprises et aux partenaires sociaux d’aborder l’accord télétravail de manière systémique, dans une démarche continue et collaborative avec l’ensemble du corps social, afin de répondre aux attentes de chacun.
(1) "Les risques psychosociaux associés au développement du télétravail", Dares, mars 2025.
(2) "Les accords d’entreprise sur le télétravail : quels changements à la suite de la crise sanitaire ?", Dares, avril 2025.
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