Une campagne nationale de testing va être lancée auprès des entreprises de plus de 1 000 salariés pour mesurer d'éventuelles discriminations à l’embauche. Près d'un millier de sociétés devraient être concernées. De quoi inquiéter les DRH ?
Heure de vérité ou simple formalité ? Les entreprises vont-elles passer haut la main l’opération de testing que s’apprête à lancer le gouvernement ? L’idée a été puisée dans le rapport de Jean-Christophe Sciberras, ex-président de l’ANDRH et DRH France du groupe Solvay, remis en mai, à François Rebsamen. Mais avec une variante par rapport aux préconisations énoncées��: le panel ne sera pas constitué d’entreprises volontaires mais choisies au hasard. Le gouvernement doit encore sélectionner le prestataire, sur la base d’un cahier des charges élaboré par la Dares. L’opération devrait être lancée en mars pour un résultat vraisemblablement en septembre. Concrètement, deux CV quasi-identiques seront envoyés aux employeurs de plus de 1 000 salariés. Ils correspondront à des emplois à pourvoir pour éviter que les candidatures-tests soient inappropriées. Ils se différencieront par un critère potentiellement discriminant : nom de famille ou lieu de domicile. Seule la première phase du recrutement, le sourcing, sera testé c’est-à-dire l’échange d’emails et de CV. Près d'un millier de sociétés devraient être concernées.
Pas question toutefois de révéler les noms des recruteurs indélicats. "L’objectif est pédagogique, insiste Jean-Christophe Sciberras. Il ne s’agit ni de pénaliser, ni de blâmer. Mais de faire évoluer les comportements". En 2008, le premier testing, commandé par la Halde et dévoilé publiquement selon le principe du "name and shame" ("nommer pour jeter l'opprobre"), avait suscité une vive polémique de la part des entreprises épinglées, à l’instar d’Accor, de Mercuri Urval et du Crédit Agricole. En cause : la méthode jugée peu professionnelle, en raison de CV fictifs de moindre qualité. Cette fois, la démarche se veut différente. La procédure de testing a pour but d’effectuer "une évaluation objective des pratiques de recrutement, indépendamment des intentions et des discours, en collant au plus près des pratiques effectives réelles", assure Jean-Christophe Sciberras.
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
"Cette initiative est la bienvenue, soutient Alain Gavand, fondateur du cabinet Stratégie RH. Car malgré l’arsenal législatif, les discriminations en France restent prégnantes". Selon une étude de l’institut Montaigne, en octobre dernier, mieux vaut s’appeler Eric que Mohamed pour être recruté en France. Un candidat perçu comme musulman pratiquant a deux fois moins de chances d'être convoqué en entretien d'embauche qu'un catholique pratiquant (10,4% contre 20,8%). Le malaise est palpable. Au point où "un sentiment d’injustice prédomine chez les jeunes issus de l’immigration, alerte Saïd Hammouche, fondateur de l'association Mozaik RH, spécialiste de la diversification des recrutements. Car si au départ ils croient en leurs chances d'insertion, ils déchantent au bout d’un an lorsqu’ils sont contraints d’accepter des emplois sous qualifiés contrairement à leurs camarades de promo qui décrochent un job en adéquation avec leur formation dans les six mois". "Les pratiques de discrimination sont souvent non intentionnelles, tempère toutefois Jean-Christophe Sciberras. Elles résultent de stéréotypes qui orientent de manière inconsciente les choix en faveur d'un candidat plutôt qu’un autre".
Pour éviter ce type de dérives, quelques entreprises ont pris les devants en organisant des auto-testing. C’est le cas, par exemple, de Randstad France qui a décidé de lancer des appels mystères depuis 2010 pour dépister d’éventuelles discriminations. 1 000 à 1 500 appels de ce type sont effectués chaque année. "Concrètement, des appels sont passés par un client mystère aux agences du réseau en indiquant des éléments discriminants : origine, âge, sexe…", rappelle Aline Crépin, directrice de la RSE du groupe. Les scénarios des communications, balayant 1 des 20 critères de discriminations, ont été écrits par les équipes RSE et RH.
Le groupe Casino a fait appel au cabinet ISM Corum. La méthode, déployée depuis 2008, consiste à envoyer 1 500 pairs de CV quasi-identiques mais aux patronymes différents à 800 établissements du groupe. Pour être tout à fait crédibles, les CV sont réels ; ils correspondent à ceux de salariés déjà recrutés. L’opération se déroule sur une année pour mieux caler aux périodes de forte activité (fin d’années, vacances). Les résultats sont rendus publics tous les 3 ans, devant la direction générale, les organisations syndicales mais aussi un représentant du BIT et un membre de l’équipe du Défenseur des droits.
De l’avis de ces recruteurs, les atouts de cette méthode sont légion. D’une part, la démarche permet de mieux identifier les risques de discrimination pour développer des actions correctives. "Lorsque l’argumentaire d’un collaborateur ne nous semble pas suffisamment à la hauteur de nos attentes, nous sensibilisons l’ensemble des salariés de l’agence, en rappelant les fondamentaux : les règles juridiques, la mise en avant des compétences du candidat et nos labels diversité et égalité", relève Aline Crépin. D’autre part, elle permet d’évaluer la politique mise en place. "Nous pouvons par ce biais valider le bien fondé de nos démarches anti-discrimination", confirme Mansour Zoberi, directeur de la diversité du groupe Casino qui a obtenu le label diversité, en 2009. Surtout, ces initiatives s’avèrent payantes : "en 2012, 8% des réponses des interlocuteurs restaient hésitantes face à une demande discriminante, se rappelle Aline Crépin. Certains étaient pris de court, d'autres restaient évasifs. Mais, aujourd’hui, le taux d’appels non satisfaisants est tombé à moins de 1%". Soit en bond en avant quantitatif et qualitatif.
Enfin, le testing peut devenir un véritable outil managérial. Il permet de réitérer, à chaque opération, les valeurs du groupe, en réaffirmant la volonté de construire une entreprise exemplaire en termes d’intégration.
Reste que tous les employeurs ne sont pas aussi sereins. "Certains DRH s’inquiètent", prévient Jean-Christophe Sciberras. "Une entreprise n’est ni plus ni moins que le reflet de la société", poursuit Mansour Zoberi. Ces éventuelles discriminations ont, en effet, de quoi interpeller les DRH. D’ores et déjà, ce type de dossiers est très difficile à défendre devant les tribunaux. C’est à l’employeur d’apporter la preuve qu'aucune discrimination n'a eu lieu dans son entreprise, c'est-à-dire d'écarter par des raisons objectives les soupçons qui pèsent sur lui, selon la Cour de cassation. Le plaignant devant seulement démonter l’existence d’une différence de traitement. Le problème se pose encore avec plus d’acuité au moment de l’embauche. "Aucune traçabilité en fonction des origines n’est effectuée concernant les candidatures, pointe Jean-Christophe Sciberras. A fortiori lorsqu’elles se chiffrent par dizaines de milliers. Faudrait-il prévoir un registre spécifique pour apporter la preuve que nous n’avons pas discriminé un prétendant à l’emploi ?".
Mais la principale source d’inquiétude est à venir. Elle concerne la création d’actions de groupe, prévue par le projet de loi justice, dont l'examen se poursuit en mars à l’Assemblée nationale. L’existence d’une discrimination sera, en effet, plus aisée à démontrer en créant un groupe de victimes. Avec à la clef le versement d’indemnisations substantielles.
Soit un nouveau casse-tête en perspective pour les DRH. La menace est, d'ailleurs, prise très au sérieux. Pour preuve, l'enquête mondiale sur les évolutions de rémunérations, Salary Survey 2016, publiée le 13 janvier, par Robert Walters, montre une recrudescence des recrutements de spécialistes de la promotion de la diversité au sein des services RH. Nul doute que leur agenda sera bien rempli.
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