Dans cette chronique, Alexia Visca et Pierre Marco, respectivement responsable de mission et directeur du développement et des métiers de Secafi, associé au sein du groupe Alpha, invitent le secteur automobile à se réinventer afin de remplir les objectifs industriels de la France : réindustrialisation et souveraineté.
L’automobile doit impérativement se réinventer. Le contrat de filière stratégique automobile a été officialisé en mai 2024. Il a entériné la volonté d’électrifier notre filière, avec l’objectif de produire 2 millions de véhicules électrifiés, hybrides inclus, même si sa faisabilité laisse perplexe. Les volumes de production restent bas en France et s’y ajoutent les perturbations d’approvisionnement persistantes, concernant les composants de toutes sortes, au-delà des seuls électroniques. Les entreprises du secteur automobile sont ainsi toujours, et de manière erratique, en besoin de flexibilité, avec des conséquences pour le tissu industriel :
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
- Les plannings de production sont changeants et peuvent nécessiter des ajustements au quotidien, pénalisant d’autant les marges et, bien sûr, les conditions de travail des salariés, constante première variable d’ajustement.
- Les stratégies d’achat des grands groupes, malgré une politique RSE affirmée et affichant des ambitions fortes de réduction de l’empreinte carbone, continuent de privilégier un approvisionnement lointain à bas coût. Sur ce point, nous observons même une accélération du sourcing hors France, voire hors Europe. Ainsi en résulte-t-il de la présentation récente, en date du 13 juin, du constructeur automobile Stellantis aux investisseurs au cours de laquelle il a clairement affiché son souhait de réaliser 80 % de ses achats en zone à bas coût d’ici 2028. Cette orientation nous semble, d’une part, contradictoire avec le message politique de réindustrialisation et, d’autre part, à mille lieux des vœux de solidarité exprimés par les acteurs de la filière, censés consolider nos emplois industriels en France.
- Les orientations européennes au profit de l’électrification n’ont pas suffi pour créer une impulsion sociétale vers la transformation : les producteurs ont privilégié une électrification vers le haut de la gamme pour maintenir leur marge et répondre à la recherche de la plus grande autonomie. L’électrique n’a ainsi pas trouvé son public de consommateurs et les volumes de ventes ne décollent pas. Ce choix de démarrer par une niche alimente l’idée de certains acteurs que les ambitions doivent être revues. D’autres prônent des contraintes d’accessibilité et de massification en échange d’une politique publique de soutien. Dans les deux cas, une réflexion est nécessaire sur le rôle et les attentes des constructeurs et consommateurs, les moyens déployés et les opportunités industrielles en Europe.
Ces éléments de contexte de stratégies industrielles et financières éclairent les contradictions actuelles entre discours politiques et pratiques sociales sur le terrain, observables au sein de la filière automobile :
- Ecart entre le diagnostic partagé de mutations des métiers et le contenu des accords GEPPMM : les accords sur la gestion des emplois, des parcours professionnels, mixité des métiers sont souvent déceptifs. Loin des ambitions d’anticiper et d’accompagner les mutations des métiers, ils sont souvent défensifs et se réduisent à des plans de départ volontaire et des mesures de mobilités externes. Les dispositifs ambitieux existent pourtant, comme les initiatives autour des batteries (école de la batterie en Rhône-Alpes, Battery Training Center dans les Hauts de France), vitrines du plan de relance, et ce, malgré les incertitudes qui planent sur la vitesse d’adoption de cette technologie. Ces projets d’envergure supposent toutefois un engagement des acteurs privés, l’intégration des organisations syndicales en amont et un soutien public. Les solutions territoriales à plus petite échelle ne semblent toutefois pas encore émerger. On observe un lien quasi-permanent des grands groupes avec les territorialités et les institutions publiques, ce qui n’est pas le cas des entreprises de taille moyenne, notamment des filiales de groupes étrangers, qui sollicitent peu les interlocuteurs publics sur les thématiques d’anticipation des impasses sociales.
- Fossé entre le besoin de maintenir les seniors au travail et les plans d’accompagnement volontaire ciblés sur les fin de carrière : la pyramide des âges du secteur automobile présente un déséquilibre important et devient un levier d’ajustement mécanique à ces perspectives sombres d’activité (18 % des salariés avaient plus de 55 ans en 2020, quatre ans plus tard, une partie est sans doute déjà sortie des effectifs inscrits).
- Plus récemment, distance entre les communications de créations d’emplois et les annonces de restructuration : Valéo, Bosch, Autoliv, Forvia, Continental… La transition vers l’électrique ne constitue pas une justification de ces mouvements, à peine 13 % du marché est effectivement passé à l’électrique. Ces opérations sont la conséquence de la baisse des volumes de production en Europe, qui se soldent par un réajustement des capacités, mais aussi la déclinaison par filière d’objectifs de profitabilité qui n’ont jamais été aussi élevés. L’ensemble des constructeurs, même les généralistes, visent une marge opérationnelle à plus de 10 %.
Si l’on peut se satisfaire de l’idée selon laquelle les ajustements offrent à certains des conditions favorables pour prendre une retraite plus tôt (quand les mesures sont financièrement acceptables) et échapper aux contraintes industrielles et à la pénibilité du secteur, les enjeux restent toutefois posés autour de l’accompagnement des salariés "restants" :
- Pérennité du dispositif d’activité partielle longue durée (APLD) : mis en œuvre pour faire face aux conséquences des confinements sanitaires en 2020, l’accord collectif sur APLD permettait de sécuriser la prise en charge d’une partie des salaires. Si, pour certains secteurs, ce dispositif a été rapidement oublié, le secteur automobile en reste encore consommateur et ce, pour faire face aux ajustements, à court terme, de la production mais également, plus structurellement, au manque de volumes. Plusieurs entreprises arrivent, en cette fin d’année 2024, au bout du dispositif et quelques-unes ont déjà basculé dans l’activité partielle de droit commun, avec une prise en charge qui baisse fortement de 60 % à 36 %, pour l’employeur, et de 70% à 60 %, pour l’employé. Notons que ce dispositif doit être approuvé par les Dreets et n’est pas automatique à la fin de l’APLD.
- Affaiblissement du savoir-faire industriel : la faiblesse des volumes et les nombreux arrêts permettent, à certains égards, de compenser les conséquences de départs de salariés expérimentés et les pertes de compétences induites. Un retour à une cadence de production « normalisée » nous est souvent rapporté comme un défi industriel à surmonter, compte tenu des taux de rendements des outils industriels plus faibles, résultat de plusieurs années de stop and go dans les opérations de maintenance, de priorisation d’investissements au détriment de l’outil productif en France et d’une perte de compétences industrielles pour maintenir en état des outils vieux et capricieux.
- Montée en compétences : la politique de formation n’échappe pas aux réductions de budgets. Elle souffre également d’une contraction des effectifs des services RH qui génère une priorisation des ressources aux sujets du quotidien et aux urgences et limite le temps consacré à l’élaboration de plans ambitieux de rupture et l’animation de ces plans. Par ailleurs, le manque d’ambition des accords GEPPMM prive de cap l’investissement dans la formation. Notons que, du côté salarié, la baisse des effectifs et les différents reports de charge sur les restants restreignent également le temps disponible pour la formation et l’anticipation des mutations.
Pour l’ensemble de ces raisons, les pratiques RH des entreprises automobiles que nous observons dans le cadre de nos interventions n’offrent pas à ce stade de quoi sécuriser l’atteinte des objectifs industriels de notre pays : réindustrialisation et souveraineté. Dans ce contexte, si l’automobile est le premier secteur à concrètement être confronté à la transition écologique, il n’a pas pour autant bénéficié de la balance positive des emplois, souvent espérée dans cette transition. Au mieux, dans certains territoires, les emplois sont reconvertis partiellement mais la destruction d’emplois industriels est déjà une réalité. De nombreuses restructurations l’illustrent malheureusement au sein de nos grands groupes ces derniers mois. Ces annonces ne vont pas faciliter le redressement de l’image du secteur qui reste encore entachée de pénibilité et de casse sociale dans l’esprit de la société, malgré les efforts réalisés et les opportunités d’emplois encore à pourvoir dans certains territoires. Ces évolutions hypothèquent aussi le rebond industriel au travers des réductions de parcours de formation qu’elles engendrent, enfermant le secteur dans une spirale négative. Enrailler cette tendance, nécessite un retour aux volumes (et donc des nouvelles affectations industrielles des sites constructeurs), une politique achat responsable et protectrice d’un tissu industriel français, et le déploiement de nouveaux pans d’économie, comme l’économie circulaire. Une autre dynamique est possible, en partenariat avec les territoires, pour anticiper et construire des modalités de transition professionnelle en s’inspirant des initiatives autour de la filière batteries.
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