Jean-Pierre Basilien est le co-auteur de la note de conjoncture d’Entreprise & Personnel qui paraît chaque automne. Après avoir alterné des périodes en entreprise en tant que directeur des relations sociales, directeur des ressources humaines et chez E & P, il dirige aujourd’hui une filiale d’E&P. Il analyse le positionnement syndical sur le projet de loi Travail.
Au plus fort d’une crise sociale, les praticiens des relations sociales ont appris à relativiser : il faut raison garder et s’interdire les déclarations définitives. Et ne jamais oublier que les acteurs sont condamnés à vivre ensemble. Il y aura d’autres rendez-vous, d’autres négociations, d’autres crises et d’autres accords !
Gestion du personnel
La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :
- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.
Pourtant que de lieux communs et de certitudes entend-on ces dernières semaines sur le dialogue social, l’avenir du syndicalisme, sur la fin de la CGT qui "jouerait son va tout", le réformisme vertueux face au radicalisme des extrêmes et des populistes irresponsables. Positions politiques et idéologiques, jugements de valeurs, distribution des "cartons rouges" et disqualification des modes d’actions syndicales se conjuguent dans la confusion des débats. Sans que le fond soit vraiment abordé.

Comment en est on arrivé là ? Nous ne reviendrons pas ici sur les heurs et malheurs de la loi Travail, dont l’une des particularités est d’être un fourre-tout rendant difficile et même décourageant tout effort de pédagogie en mêlant des sujets que rien ne lie les uns aux autres, des décisions dites techniques à des orientations politiques…
A se perdre dans les discussions sur le désormais fameux article 2 ou encore le 10 (l’introduction du référendum), on en oublie de rappeler d’où tout cela vient et les logiques sous-jacentes, les raisons profondes des désaccords.
Sur le fond tout s’est joué dans les premiers mois du quinquennat… Contrairement à ce que François Hollande avait laissé entendre pendant sa campagne, le traité européen dit TSCG n’a pas été renégocié. Les engagements pris alors par la France ont pesé sur l’essentiel des décisions et textes des dernières années. Du CICE au Pacte de responsabilité.
En fait, la loi Travail n’est que la dernière pièce d’un édifice péniblement construit pour rendre à notre économie sa compétitivité dans le respect des orientations données par le Conseil européen et des préconisations des instances internationales comme le FMI et l’OCDE. C’est aussi la réponse de la France à l’injonction de réformer son marché du travail : "Les réformes menées récemment n'ont donné aux employeurs que peu de possibilités pour déroger aux accords de branche. Cela limite la capacité des entreprises à moduler leurs effectifs en fonction de leurs besoins…(il faut) réformer le droit du travail afin d'inciter davantage les employeurs à embaucher en contrats à durée indéterminée; à faciliter, au niveau des entreprises et des branches, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l'organisation du temps de travail; à réformer la loi portant création des accords de maintien de l'emploi en vue d'accroître leur utilisation par les entreprises…" (Recommandation du Conseil européen du 14 juillet 2015)
Le gouvernement n’a pas osé s’attaquer frontalement ou indirectement au contrat de travail. La réponse est partielle, complexe. La loi Travail est pourtant le texte de trop malgré les efforts faits pour trouver un "équilibre" (est-ce possible?) entre remise en cause et compensations.

La fracture actuelle au sein du monde syndical trouve donc sa source dans un désaccord radical sur le diagnostic de la situation économique de l’Europe et de la France, de la panne de croissance et des causes du chômage de masse.
Deux analyses s’opposent depuis 2012 : celle qui accepte à la fois le diagnostic et les orientations qui en découlent en plaidant la nécessité de la redéfinition de notre "modèle social" (CFDT, CFTC, CFE-CGC), les "réformistes", et celle qui conteste le diagnostic et demande une autre politique en dénonçant "l’austérité" imposée (CGT, FO). Le fossé n’a cessé de se creuser au fil des mois et des dossiers - souvenons-nous de l’échec sur la modernisation du dialogue social. On ne saurait donc réduire les tensions actuelles à de simples considérations tactiques à la CGT, à des postures politiques et des positionnements pour 2017 et au delà, même si bien sûr elles sont aussi présentes. Deux visions de l’évolution de notre système social se font face : pour les uns, une transformation nécessaire, progressive, du paradigme social français avec le passage de droits collectifs à des droits individualisés, différenciés, construits dans la diversité des parcours individuels et des situations d’entreprise ; de l’autre, l’attachement à des garanties collectives attachées au statut, à l’emploi, qu’il s’agit de défendre, des garanties définies par la loi ou l’accord de branche. C’est le vrai débat, celui qui n’a pas eu lieu probablement dans le souci d’aller vite.
Cette précipitation a cristallisé à gauche la "rage" des déçus, de tous ceux qui se sentent "trahis" par le Président. Pour partie, ils sont entrés en résistance, dans une logique purement défensive, sans autre projet que de s’opposer et, pour certains, d’essayer de négocier. Nous parlions, il y a deux ans, dans notre note annuelle de conjoncture sociale de "résignation rageuse" pour décrire l’état d’une partie de l’opinion : l’exaspération a fini par s’exprimer hors les urnes. Ne pas voir que du coté de la CGT et de FO on porte aussi la sensibilité et le désarroi d’une partie de l’opinion serait une erreur. La bataille de l’opinion malgré les violences, les blocages et leurs conséquences sur la vie quotidienne des salariés n’est gagnée par personne : l’opinion reste dubitative et un Français sur deux souhaite le retrait de la loi.

Le gouvernement s’est placé dans une situation où seule la fermeté sur l’essentiel du texte peut lui permettre de sauver sa crédibilité tout comme ceux qui se sont engagés sur ce texte, à commencer par la CFDT. Les opposants pourront toujours dire qu’ils ont tout tenté. Mais il ne faut pas s’y tromper tout le monde en sortira affaibli : tous perdants.
Les effets des mesures seront-ils jamais perceptibles ? Le CPA, un projet juste esquissé autour duquel avait été annoncé un grand débat démocratique à peine engagé, arrivera-t-il à se concrétiser ou rejoindra-t-il les textes ambitieux jamais réellement tangibles dans le quotidien des salariés ? Combien d’entreprises profiteront réellement de l’article 2 ? A l’instar des accords de maintien dans l’emploi ne risque-t-on pas d’être loin, loin des effets escomptés ? Autrement dit la loi Travail est-elle de nature à donner confiance aux employeurs tout en apportant de nouveaux droits aux salariés ? Si ce n’était pas le cas, que pensera-t-on de ceux qui en ont été les inspirateurs et les acteurs ? Tout ça pour ça…
L’image globale du mouvement syndical si souvent réduite aux formes les plus radicales des luttes sociales (les casseurs, les pneus en feu, les cortèges dans les villes, les blocages des transports) n’incitera pas à faire remonter la syndicalisation, en particulier auprès des jeunes actifs. Pas sûr qu’on distingue clairement les réformistes des radicaux dans des débats trop opaques pour que beaucoup puisse se faire une opinion. La CFDT, ancrée sur ses convictions, pourra-t-elle échapper aux critiques d’un gouvernement dont elle apparaît comme le principal soutien dans le mouvement syndical en dépit des distances qu'elle prend en particulier sur la méthode ?
FO ne peut se permettre longtemps d’être un compagnon de route de la CGT et de Solidaires. Il va lui falloir trouver le moyen de sortir d’un front du refus et de revenir dans le jeu social. Mais comment ?
Reste la CGT, qui au delà de ses problèmes internes, est accusée d’une sorte de fuite en avant. Mais qu’importe les attaques de tout bord et les conséquences sur son image, la CGT semble avoir pour stratégie de s’adresser d’abord à la fraction de l’opinion qui rejette les formes contemporaines du libéralisme économique et de la mondialisation en dénonçant les conséquences sociales. La radicalité de l’action peut la servir dans cet objectif tout en l’enfermant dans une posture dont elle aura du mal à sortir avant longtemps. Le paysage syndical est plus éclaté et divisé que jamais. Pour les 80 ans de mai 1936...
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